Tor des Géants, le voyage au bout de la nuit

Tic tac, tic tac, le compte à rebours a commencé. Il ne reste plus que deux semaines avant le départ du Tor des Géants. Recensée dans le top 10 des ultra-trails les plus difficiles du monde par Red Bull, la “Course des masochistes” rassemble chaque année 750 coureurs désireux de relever ce défi XXL: 336 kilomètres à parcourir en boucle depuis Courmayeur, quasi 31000 mètres de dénivelé, 25 cols à plus de 2000 mètres, des conditions météo souvent dantesques, une privation constante de sommeil…

 

 

J’ai participé aux deux dernières éditions, c’est vraiment du costaud. La première année, j’ai dû abandonner au 280ème kilomètre, après avoir évité de justesse le déchirement de mon quadriceps. En 2017, une double tendinite tibiale m’a contraint à jeter l’éponge au 220ème. Paradoxalement, je n’en garde que de très bons souvenirs.

En fait, c’est une course qui m’a tellement marqué qu’elle fait désormais partie intégrante de ma vie. En septembre, beaucoup se réjouissent des désalpes, des vendanges, des fêtes qui vont avec, de la venue de l’automne. Moi, c’est le Tor que j’attends avec impatience. J’aime l’idée que ce voyage puisse durer jusqu’à 7 jours et 6 nuits. Une course de 100 km, voire de 100 miles comme l’UTMB, a un début et une fin qu’on peut clairement appréhender. Avec le Tor, c’est impossible. On ne peut jamais tout prévoir. C’est une aventure, une vraie.

Nicolas Bouvier disait que le voyage vous fait ou vous défait. C’est la même chose avec cette course. On peut se projeter à deux voire trois jours, et encore. Tant d’éléments peuvent venir chambouler le programme: un pépin de santé, la météo, le moral, un problème de matériel… Le premier jour, on est valide, tout semble faisable. Après 150 ou 200 km, plus rien n’est sûr. La fatigue fait son travail de sape. Elle joue avec les nerfs, triture les émotions. Beaucoup de coureurs ont des hallucinations. Ils voient des choses et des gens qui n’existent pas.

 

 

Je comprends qu’on puisse trouver pareille entreprise démesurée, voire stupide. Je pense pour ma part que c’est justement la longueur de la course qui lui confère toute sa beauté. Dans nos existences millimétrées, où tant de choses sont mesurées et évaluées, le Tor offre une opportunité unique de sortir du temps. Jour après jour, on entre dans une dimension parallèle. Il n’y a plus de jour, plus de nuit. On incarne la progression. On devient le paysage.

Cette année, je me suis mieux entraîné mais à deux semaines du départ, je sais bien que cela ne me donne aucune garantie. Je suis néanmoins impatient de partir pour ce voyage vers les montagnes et de laisser mon esprit vagabonder aussi librement que mes pas à travers les montagnes du val d’Aoste. Quelques jours durant, je serai un pèlerin en baskets qui essaiera de marcher jusqu’au bout de lui-même, au-delà de la nuit.

 

 

Alexander Zelenka

La nuit, Alexander Zelenka enfile ses baskets et allume sa lampe frontale pour voir autrement les montagnes suisses ou plus lointaines. L'obscurité amène le coureur dans un univers onirique où le paysage est transformé, propice aux plus belles aventures. Le jour, Alexander Zelenka est rédacteur en chef du magazine Terre&Nature.

5 réponses à “Tor des Géants, le voyage au bout de la nuit

  1. J’aime tellement la montagne que j’envie ceux qui vont decouvrir ces sommets alpins.
    Evidemment c’est un combat de plusieurs semaines sans interruptions, il n’est pas fait pour tous les hommes ; un entrainement rigoureux avec une bonne sante sont necessaires pour accomplir cet incroyable defi, mais quelle aventure pationnante ce doit-etre de vivre cette experience de nos jours

    1. Bonjour Michel, merci pour votre message ! Ce qui est magnifique avec le Tor, c’est que même avec un bon entraînement, il est impossible de prévoir de quelle manière la course va se passer. A l’image de la vie, sur laquelle finalement on n’a pas autant de prise qu’on le pense. Je suis impatient de me jeter dans l’inconnu, en espérant que les jambes suivront la détermination du coeur. A bientôt !

  2. Plein d’envie en lisant que tu auras la chance de participer une nouvelle fois au “viaggio” du Tor. J’avais été triste pour toi en 2016, lorsque tu avais dû abandonner à Ollomont. J’avais alors eu le grand bonheur d’aller au bout, comme dans un rêve.
    2017, nous ne nous sommes pas vu, car le rêve s’était transformé en enfer avec un estomac en vrac dès le… 1er jour, et un abandon à la 1ère BV. Une semaine pour m’en remettre moralement…
    2018, je n’aurai même pas connu le purgatoire, le tirage au sort m’ayant fait disparaître dans les profondeurs des listes des participants potentiels… Mais grâce à ce blog, j’aurai un voyageur rêveur à suivre !
    Tu as raison, on est marqué à jamais par le Tor, il intègre ta vie pour ne plus en sortir, ou presque. Tu décomptes les jours avant de t’élancer de Courmayeur, je compte les mois avant le prochain tirage au sort ! En attendant, “Buon viaggio, in bocca al lupo” !!

    1. Ciao Charles, merci beaucoup pour ton message, c’est super sympa de prendre le temps de m’écrire ! Ah, ce Tor, qu’est-ce qu’il ne nous fait pas faire, n’est-ce pas ? Et que des choses pas du tout raisonnables, en plus… J’essaierai de poster quelques billets en route, et bien sûr un compte rendu plus détaillé du “viaggio” quand je pourrai, en espérant que tout se passe bien !

      1. L’occasion de te féliciter pour cette édition 2018 qui aura enfin été couronnée d’une arrivée triomphale à Courmayeur ! Un très grand bravo pour avoir apprivoisé la montagne sur ces plus de 330 km afin qu’elle te laisse achever ton rêve.
        Le mien devrait à nouveau prendre forme l’an prochain, si dame chance me prête assistance. J’en ressens assurément le besoin, surtout que j’ai profité de l’ambiance Tor de la dernière semaine pour mettre la dernière main à mon récit du Tor… 2016 !!! Tellement de sensations sont remontées…
        J’aurai beaucoup de plaisir à te lire sur ton épopée 2018, merci de me tenir au courant d’une publication (je t’ai envoyé une demande “d’ami Facebook”).

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