Le dimanche du blaireau

Quel bonheur de faire la grasse matinée le dimanche, après une semaine de travail intense et de réveils difficiles…

Mais d’abord, un petit footing. Courir avant le chant du coq ce jour-là conduit forcément à être taxé de malade, de drogué de l’effort et autres noms d’oiseaux. Heureusement, le risque est faible de croiser ses meilleurs amis ou ses voisins. On peut donc garder ces manies secrètes. Pourquoi vouloir toujours tout raconter ?

Bien décidé quand même à faire la grasse matinée et donc à rentrer à une heure suffisamment raisonnable pour cela – après l’effort, le réconfort ? – j’ai opté pour un circuit d’une quinzaine de kilomètres entre ville et campagne. Parti du pont du Mont-Blanc, j’ai longé le quai Gustave-Ador, les yeux fixés sur le lac, noir comme de l’encre. Sur ma lancée, j’ai attaqué la rampe de Vésenaz et bifurqué en direction de Cologny.

Comme une chauve-souris naviguant au sonar, j’ai poursuivi ma route entre les propriétés des hauts de Cologny et de Vandoeuvres, puis à travers champs. Dans une zone villa de Chêne-Bougeries, à deux cent mètres de la Voie verte du CEVA, j’étais mentalement en train de composer le menu du petit-déjeuner quand soudain je vois surgir d’une rue perpendiculaire… un blaireau !

Plutôt pataud, le plus grand membre de la famille des mustélidés – 70 centimètres de long quand même, et 90 si on compte la queue – sait se montrer rapide quand il le faut. Ni une ni deux, il a filé dans la direction opposée, ses griffes grattant bruyamment l’asphalte.

La suite a viré au tragi-comique. Après un sprint en ligne droite sur une dizaine de mètres, il a cherché à se faufiler dans un jardin en passant entre les piquets d’une clôture. C’était sans compter avec son embonpoint. Là où un écureuil serait passé tout droit, le blaireau s’est… coincé ! La deuxième tentative a été sanctionnée par un échec tout aussi retentissant.

Finalement, un trou lui a permis de se faufiler sous un grillage et de se fondre dans l’obscurité. Désolé de lui avoir causé tant de peur, j’ai repris mon chemin, songeant à cette rencontre aussi fortuite que chanceuse.

Trottinant le long de la voie verte du CEVA, un cheminement piétonnier et une piste cyclable reliant la gare de Genève-Eaux-Vives à la frontière, je me suis réjoui en pensant que la création de cet espace de détente ferait désormais aussi office de corridor écologique pour la faune.

D’ici quelques années, les rencontres entre les coureurs du dimanche matin et les blaireaux seront peut-être plus fréquentes. Ce serait en tout cas une belle perspective: un safari de proximité avant la grasse matinée, c’est plutôt pas mal !

Alexander Zelenka

La nuit, Alexander Zelenka enfile ses baskets et allume sa lampe frontale pour voir autrement les montagnes suisses ou plus lointaines. L'obscurité amène le coureur dans un univers onirique où le paysage est transformé, propice aux plus belles aventures. Le jour, Alexander Zelenka est rédacteur en chef du magazine Terre&Nature.