En septante ans, la montre bracelet mécanique est passée d’objet délicat dont il fallait prendre soin en une compagne de tous les instants, prête à supporter presque tous les dommages. La créativité de ses concepteurs n’est plus limitée. Inventaire des progrès faits et effets pernicieux de continuer à porter une antiquité au quotidien. Retrouvailles actuelles avec le prestige de la montre.
Dans les temps anciens, lorsque nos actuels centenaires recevaient leur première montre bracelet, elle était accompagnée d’une kyrielle de recommandations.
Mis à part certaines marques horlogères qui proposaient des montres novatrices, la grande majorité des montres exigeait des précautions particulières.
Fragile, précieuse et sensible à tout, la montre bracelet devait être respectée et soignée pour assurer convenablement son rôle d’indication du temps.
Par exemple, il convenait de la poser bien au milieu de la table de nuit, à l’envers, du côté du verre. Ainsi on lui évitait des chutes, fatales aux pivots du balancier comme un trop brusque refroidissement, source potentielle de condensation à l’intérieur du mécanisme et cause possible d’une rupture abrupte du ressort-moteur. La proximité de la montre avec le poste de radio risquait d’affoler le spiral par un magnétisme hors de propos. Le lavage des mains comme les activités ménagères nécessitait le dépôt de la montre dans un endroit sûr.
Quant aux travailleurs manuels, il leur était encore vivement conseillé de continuer à porter une montre de poche, bien abritée au fond du gilet. Les sportifs déposaient très souvent leur montre avant de s’adonner à leurs activités.
Chaque occasion, via le top horaire à la T. S. F. ou les horloges publiques, était bonne pour s’assurer de la précision de sa montre, encore bien aléatoire.
Les huiles volages et les poussières omniprésentes obligeaient les horlogers, docteurs ès-montres, à entretenir très fréquemment ces délicats mécanismes.
Aujourd’hui, une fantastique liberté de conception, de création
Dans les bureaux d’études, les crayons ont depuis longtemps disparu comme le papier-calque permettant de reporter rapidement les formes de dents. Le projet d’un nouveau mécanisme s’affiche sur l’écran de l’ordinateur dans ses trois dimensions. Les logiciels de simulation ont remplacé les estimations de grandeurs et de proportions. Le projet d’un nouveau calibre est porté par une micro-équipe en lien rapproché avec les mécaniciens, les horlogers.
Pour la construction des composants, l’ordinateur couplé à des machines CNC permet des pièces compliquées, des boîtes de montres novatrices. Epaulée par un parc de machines, par des techniques en perpétuelle évolution, menée par des passionnés repoussant toujours les contraintes matérielles, la conception des montres ne connaîtra bientôt plus de limites.
Grâce à plusieurs innovations, tout a changé et il faut maintenant vraiment faire preuve d’incurie pour détériorer une montre.
Le boîtier
L’évolution des techniques de fabrication des composants a permis à la boîte de gagner en homogénéité. Des joints ont pris place autour des glaces, de la lunette et du fond comme à la couronne. Disposer des boutons de corrections du quantième, des poussoirs de chronographe autour du cadran n’est plus une cause de mise en danger du mécanisme par les, autrefois inévitables, entrées d’eau et de poussières. Fond et lunette peuvent être vissés ; quant au clipsage des éléments, encore pratiqué, il est garanti efficacement par des joints. La couronne, moins sollicitée avec la généralisation des montres automatiques, est souvent vissée. Le cadran est maintenant protégé par une glace saphir inrayable et diablement résistante aux chocs. En parallèle avec l’évolution technique, le changement de ratio entre prix du travail et prix des matières a vu le poids de métal des boîtes augmenter. Faisant fi des cornes creuses, des barrettes soudées pour renforcer les attaches et des carrures si délicatement affinées, les boîtes actuelles sont devenues plus robustes, prêtes à subir chocs, usures et rafraichissements conséquents.
Une nouveauté, presque outrancière, c’est le fond, dit ouvert, qui laisse voir en toute impudeur les délicats rouages et l’apprêt des ponts et des platines. Tout ce qui faisait le charme des déboîtages à l’établi, c’était alors le grand privilège de l’horloger: avoir accès à la beauté délicate du mécanisme.
Le cadran
La réalisation des clichés de décalque par procédé chimique permet une finesse et une multiplication des indications. La réalisation des appliques, des plaques de base avec les CNC autorise des cadrans à plusieurs niveaux, munis de plusieurs index, de guichets. L’évolution des techniques de façonnage fait que les matériaux les plus divers trouvent place sur la face de la montre.
Au cœur du mouvement
Le pare-chocs protège le balancier par l’ingénieuse combinaison d’un chaton mobile et d’un axe spécialement façonné; ce qui permet un report des efforts dus aux chocs sur les tigerons de l’axe car ils sont moins vulnérables que les fins pivots. Accouplé au balancier, le spiral supporte nettement mieux les perturbations magnétiques. A proximité, le barillet, muni maintenant d’un ressort plus stable nommé incassable, fournit en sus une énergie plus constante. Les huiles d’autrefois bousculées par les poussières, par l’imprécision de la réalisation des composants et par leur nature versatile ont laissé place à des produits de synthèse remarquablement sereins et stables. Le laiton des roues et des balanciers peut être remplacé par le cuivre au béryllium, plus stable et plus résistant. La raquette, qui permettait d’ajuster la fréquence du balancier, a disparue échangée pour des balanciers à inertie variable. Les aciers inoxydables sont arrivés, tout d’abord, pour la tige de remontoir située à la délicate intersection entre le dehors et le dedans, puis pour plusieurs autres éléments. La cage du mouvement peut se faire en titane, en saphir synthétique ou encore avec d’autres matériaux bien différents du laiton et du maillechort.
Progrès colossaux dans la réalisation
Pour tous les composants, ceux du mouvement, ceux de l’habillage, cadrans et boîtes, il y eut une grande standardisation de la production, le recours à une stricte méthodologie de réalisation. Les machines CNC ont révolutionné la fabrication des composants de la montre. Les avancées techniques de l’outillage avec l’usage généralisé du métal dur, avec l’arrivée des céramiques ou encore avec certains traitements des arêtes des outils font que les outils sont plus résistants. Comme ils s’usent moins, ils se réaffutent moins; ils peuvent aussi travailler plus vite. Ils garantissent un meilleur état de la surface des pièces, moins de contraintes internes à la pièce et un bien meilleur respect des dimensions demandées. La pratique de l’érosion par fil pour découper des composants, pour élaborer des étampes comme l’usage du laser pour découper, graver et décorer des pièces autorise des formes, des structures de composants inédits. Comme le jeu des tolérances a été impitoyablement resserré, les sempiternels alibrages et les ajustements des temps anciens ont bien diminués. Aujourd’hui la qualité de réalisation des composants permet de les décorer, de les graver sans porter atteinte à leur fiabilité. De l’effacement des imperfections du façonnage, la finition s’est muée en mise en beauté des mécanismes. De nouveaux traitements de surfaces ont été perfectionnés ou mis au point; platines et ponts se parent aujourd’hui de couleurs, de reflets et de décors autrefois inconnus. Que de chemins parcourus; et le pluriel n’est pas de trop car les progrès furent de partout.
Progrès colossaux dans les analyses et les contrôles
Dans le domaine du contrôle, là aussi beaucoup de choses ont changé. C’est la généralisation du chrono-comparateur qui permet d’écouter les bruits du mouvement et d’en déduire un bulletin de santé immédiat. C’est le contrôle optique tridimensionnel qui, rapidement, vérifie cotes, formes et profils des pièces; cet appareil de contrôle qui va aussi intervenir directement sur la machine CNC pour modifier les paramètres du programme de fabrication. Ce sont des appareils d’analyse, de diagnostic des imperfections comme des caméras ultra-rapides saisissant des dizaines de milliers d’images par seconde. Tous ces matériels aident au mûrissement des nouveaux calibres, comme à leur réalisation.
Le grand gagnant : le porteur de la montre
Tous ces progrès ont contribué à accroitre la précision, la fiabilité et l’efficacité de ces appareils mécaniques que sont les montres. La montre mécanique est devenue beaucoup plus accessible, nettement moins fragile. La précision de la montre est largement suffisante pour notre quotidien et la fréquence des rhabillages s’est vue notablement diminuée. La montre mécanique a tout de même failli disparaitre, supplantée par des machines électroniques d’une précision fascinante.
Laissons-les dans les tiroirs !
Cette évolution de la montre bracelet mécanique est presque pernicieuse: c’est la jeune personne séduite par une montre d’autrefois. Inconsciente de sa fragilité, elle va lui faire subir le quotidien d’une montre actuelle. Cette aventure, hors de propos, se finira très vite mal, laissant sur le carreau, sur l’établi, une épave, une doyenne à qui il fut demandé trop, irrévocablement trop de choses à subir.
Oui, s’il nous faut porter les montres du passé, c’est avec l’esprit, le soin et le respect d’autrefois; un vrai et difficile challenge pour les poignets d’aujourd’hui.
Intérêt du passé
Alors où est l’intérêt de se référer à ces montres bracelets anciennes, si fragiles ?
C’est celui de renouer avec l’époque où la montre était un bel objet de prestige. Et de s’inscrire ainsi dans la continuité des passionnés des belles choses.
Benoît Conrath
Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier
Très bel article et toutes mes félicitations!
Bojour, j’ai travaillé chez Bayler à la Jonction dans les années 1961. Je travailliez sur une pointeuse SIP. Je ferai des trous de 0,5 mm. sur une platine. Cette platine était utilisée comme gabarit pour faire des trous sur les cadrans de montres en or. Les monteuses posaient les indexés (chiffres ou autres symboles) sur le cadran, le retournai et rivai les pieds de l’index. Cet article m’a rappelé de bons souvenirs.
Bravo pour cet article , merci beaucoup très proche de la réalité !
Pour ce qui concerne le décolletage CNC et les nouuveaux outils de coupe avec leurs nouveaux revêtements en adaptant les vitesses je suis avec ce que vous décrivez .
Mais les nouvelles matières donnent plus que du fil à retordre , et souvent les vieilles décolleteuse conventionnelles sont toujours en fonction pour sauver les grandes productions à l’année en millons de pièces et les temps requis pour la livraison …
Avec toutes les contraintes à l’ancienne et les nouveaux moyens de contrôle de quaalité inclus nous ne sommes pas encore à 100% du grand changement révolutionnaire voulu .
Article passionnant, écrit par un passionné, qui nous fait comprendre que la montre mécanique et automatique restera toujours un produit de luxe au même titre que les diamants taillés, la haute couture, les chevaux de course, les parfums, l’art en général, etc. Ca a toujours existé mais ça se renouvelle toujours et ce sera toujours demandé.
Bravo pour cet article , merci beaucoup très proche de la réalité !
Pour ce qui concerne le décolletage CNC et les nouuveaux outils de coupe avec leurs nouveaux revêtements en adaptant les vitesses je suis avec ce que vous décrivez .
Mais les nouvelles matières donnent plus que du fil à retordre , et souvent les vieilles décolleteuse conventionnelles sont toujours en fonction pour sauver les grandes productions à l’année en millons de pièces et les temps requis pour la livraison …
Avec toutes les contraintes à l’ancienne et les nouveaux moyens de contrôle de quaalité inclus nous ne sommes pas encore à 100% du grand changement révolutionnaire voulu .