Traditionalisme ou avant-garde, l’horlogerie mécanique est-elle à deux visages ?

Traditionalisme ou avant-garde, l’horlogerie mécanique est-elle à deux visages ?

La technique horlogère a continuellement évolué. Face aux souhaits des civilisations, les garde-temps ont presque toujours répondu présents. Aujourd’hui pourtant techniquement dépassés, les appareils mécaniques continuent à être utilisés. Entre une tradition revisitée et une application immédiate des progrès techniques, il y a de la place pour de nombreuses montres. Quand on travaille avec le cœur, l’essentiel est aussi visible pour les yeux.

 

Les techniques horlogères accompagnent la perception du temps dans les civilisations

Historiquement l’horlogerie a évolué en parallèle avec les besoins des civilisations. La notion du Temps s’est précisée, l’évolution de la société a demandé aux horloges des progrès. Les machines horaires y ont répondu efficacement, évoluant en symbiose avec la demande de fractionnement des journées par l’affichage visuel et sonore de repères dans la journée.

Une seule fois, une seule notable fois, l’évolution de la technique n’a pas répondu rapidement aux exigences de précision. C’est sur le maintien du Temps en mer que les horlogers ont trébuché. Avidement demandés par les puissances maritimes, attendus pour sécuriser la navigation et pour raccourcir les routes suivies, ces appareils nommés chronomètre de marine ont nécessité plusieurs décades voire des siècles pour assurer leur rôle.

Dernièrement, enfin à l’échelle du Temps, le développement de l’électronique a permis de construire des appareils horaires d’une très grande précision à des coûts parfois dérisoires. Le quartz, l’atome et les facilitées des télécommunications ont condamnés définitivement l’usage rationnel des appareils horaires mécaniques.

Et pourtant les montres mécaniques sont encore là.

A bien plus grande échelle que pour d’autres objets techniquement dépassés, des mouvements mécaniques continuent d’entrainer les aiguilles des montres. Toujours portée au poignet, la montre mécanique reste un appareil qui sert à donner l’heure. Et malgré sa désuétude, son mouvement continue d’être amélioré, il est de plus en plus fiable, de plus en plus précis ; même s’il ne pourra jamais égaler les performances chronométriques des montres électroniques.

Beau paradoxe que celui de continuer à vouloir parfaire des machines totalement obsolètes…

 

La part du rêve

Cette passion pour ces objets s’explique-t-elle par la nostalgie des temps qui ne sont plus ? Oui un peu, et pourtant les mécanismes qui animent ces machines ont tellement changé. Ou alors comparé à leurs confrères électroniques, le propre de ces montres d’être fantasque rappelle-t-il à certains d’entre-nous nos faiblesses bien humaines ? C’est un peu de cela et aussi beaucoup d’autres choses.

Loin d’un phénomène de mode, la montre mécanique a réussi son retour, son maintien. Bien que devenue superflue, elle est restée un objet-repère, un symbole de standing. Et surtout, oui, surtout elle continue de faire rêver générations après générations. Comme d’une voiture de prestige, beaucoup rêvent d’une montre et, en plus, elle leur sera plus proche car elle ne les quittera que pour la nuit.

 

La montre mécanique actuelle n’est pas un témoin du passé

Pour désigner les vieux objets, comme les personnes d’un âge respectable, les anglophones utilisent le terme d’old-timer. Bien que techniquement dépassée, la montre mécanique n’en fait pas partie. C’est toujours un objet actuel, une machine à indiquer l’heure dans des critères pas si simples à tenir et dans des conditions d’usage véritablement ardues.

En référence à un lointain passé d’excellence, beaucoup de composants reprennent, dans les grandes lignes, le même type de finition. Autrefois comme aujourd’hui, il s’agit de mettre en valeur le mouvement de la montre en choisissant des formes, des angles, des états de surface qui permettront à la lumière de jouer dans le mécanisme. Par-contre, la grande nouveauté du renouveau horloger est de permettre à chacun d’accéder à toutes ces finitions par un fond de boîte dit « ouvert », c’est-à-dire fermé par une glace.

 

Ce n’est pas du traditionalisme

Si le traditionalisme est bien l’attachement parfois compulsif aux valeurs, aux coutumes et aux habitudes de toujours, alors non la montre mécanique n’est pas de ce courant-là. Il suffit de mesurer les colossaux progrès accomplis en moins de 70 ans tant en fiabilité, qu’en précision et aussi en techniques de conception et de construction. Alors traditionaliste la montre mécanique d’aujourd’hui ? Délibérément non ! Au mieux peut-on parler d’inspirations, de références à une tradition de bienfacture. Car l’hérésie serait de construire aujourd’hui une montre comme autrefois. Elle serait alors trop délicate, trop fragile, trop sensible aux facteurs extérieurs et pas assez solide, ni assez précise, ni encore assez fiable. Elle nécessiterait aussi beaucoup, beaucoup de temps pour pallier, par de longues opérations d’ajustement et de correction, les anciennes et révolues imprécisions de réalisation des composants. Tangibles, flagrants, les progrès sont partout, Dieu merci !

 

Les montres d’aspect résolument moderne sont aussi liées à cette tradition.

Et les montres différentes, modernes et innovantes ? Ce n’est pas la boîte de Pandore qui a été ouverte avec les techniques modernes. C’est l’accès à des possibilités inimaginables aux yeux des horlogers d’il y a 50 ans par la conception en 3D, l’usage des CNC, l’utilisation de métaux comme le titane ou de matières comme la céramique, le corindon, le silicium ou encore l’application de procédés tels les différentes technologies additives et tant d’autres encore.

Et ces techniques s’appliquent aussi bien aux montres s’inspirant d’une tradition horlogère de bienfacture qu’à des montres d’avant-garde qui laisseraient pantois des horlogers d’il y a cent ans. Il n’y a pas de frontières entre la montre suivant des canons esthétiques se référant à une finition multiséculaire et d’autres montres délibérément pensées et construites comme novatrices. Toutes ces montres de qualité sont construites dans le même esprit, le même enthousiasme et la même tradition de bienfacture. Toutes ces montres laissent voir les connaissances mises en œuvre pour les construire. Toutes affichent fièrement le soin et les compétences des personnes qui se sont penchées sur elles.

 

L’essentiel reste l’émotion

Oui, elles témoignent toutes de l’intérêt renouvelé pour la montre mécanique et toutes, de la plus moderne à la plus fidèle au passé, sont des montres d’aujourd’hui. Elles existent pour et par la passion des amateurs, de ceux qui aiment les réaliser comme de ceux qui aimeront les porter. Avec elles, alors, pourra se construire une belle histoire de compagnonnage.

Benoît Conrath

Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier

http://www.vauchermanufacture.ch

 

Vaucher Manufacture Fleurier

Vaucher Manufacture Fleurier (VMF) est une manufacture de mouvements mécaniques, de kits horlogers et montres haut de gamme. Elle a pour clients et partenaires des grands noms de l’horlogerie suisse. Pour eux, elle réalise des calibres offrant différents niveaux de personnalisation, ou développe des mécanismes exclusifs de haute horlogerie à partir d’une feuille blanche.

2 réponses à “Traditionalisme ou avant-garde, l’horlogerie mécanique est-elle à deux visages ?

  1. J’ai toujours compris que l’obsolescence était le fait d’un objet en parfait état de marche dont l’usage avait disparu du fait de l’évolution (technique ou autre). L’informatique présente donc de merveilleux exemples d’obsolescence: à quoi peut servir un PC 8086 aujourd’hui, même en parfait état de marche?

    Moi qui ne mettait plus de montre depuis plusieurs années déjà, je me suis fait plaisir avec une mécanique durant la pandémie. Même si je passe plus de 10h par jour devant un écran, j’avais repris des habitudes pré-années 1920, en sortant mon téléphone de ma poche et en débloquant l’écran pour savoir l’heure, tel une montre gousset – il ne manquait que la petite chaînette.

    J’ai maintenant au poignet une Rado mécanique, étanche à 220 m, indestructible, durable, éco-responsable, qui n’entrera jamais en obsolescence contrairement à mon Apple Watch et qui n’aura jamais besoin de maintenance / de changement de pile ou branchement quelconque. En prime, c’est un bel objet, une petite oeuvre d’art.

    Avec une montre au poignet, je sais toujours l’heure qu’il est, sans même devoir la regarder. Dans mon cas, tout ce qui contribue à me décoller les yeux d’un écran est le bienvenu.

    Certes, j’ai sacrifié la précision… Mais qui a besoin de l’heure à la fraction de seconde près?

  2. Votre blog est une petite merveille qui oscille entre la fine mécanique et la poésie. Continuez de nous faire rêver. Quand je suis dans ma ville préférée, je rentre dans le vieilles échoppes et j’y retrouve les temps anciens qui me manquent tant. Vos écrits produisent les mêmes effets: une douce félicité m’envahit et je me dis que suis à la bonne place.

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