La Suisse, un exemple de stabilité. La marque, une notion récente. Une marque fondée en xx ou active depuis xx années, une grande différence. Importance d’un fondateur qui trace un chemin. Justesse de la démarche d’une refondation inspirée. Souhait d’un ancrage pour référence. La légitimité, un tremplin pour bondir dans le futur
La Suisse est stable
A la fin du Moyen-Age, notre pays choisit la neutralité à l’extérieur de nos frontières. A l’intérieur, c’est un peu différent car entre les catholiques et les protestants, les citadins et les campagnards, les francophones et les germanophones, les progressistes et les conservateurs, les occasions de s’égratigner ne manquent pas. Cependant, à de rares exceptions près, il s’agit plus de querelles que de véritables conflits déstabilisant le pays et son économie. Deux exemples d’une belle continuité : fondée au début du Moyen-Age, l’abbaye de Saint-Maurice en Valais a fêté dernièrement 1500 ans d’activité continue. Quant au château de Neuchâtel, mentionné à partir de l’an 1011, c’est toujours le siège du pouvoir, aujourd’hui concédé par le peuple, via les urnes, à nos élus.
Longévité des activités
Dans ce contexte de stabilité, l’horlogerie se développe d’abord à Genève, puis dans les montagnes jurassiennes avant de prendre place au pied du jura. Ponctuée de difficultés économiques comme de succès, de mutations technologiques surmontées, l’histoire de cette activité se heurte à un obstacle presque fatal : la crise du quartz. Rares sont les entreprises qui continuent à produire des montres dans ces années difficiles. Dans sa longue histoire, c’est la première fois que l’horlogerie est confrontée à la totale désuétude des objets qu’elle réalise. D’une quinzaine d’années, cette période désolante se conclue par un nouvel intérêt pour les montres mécaniques autour de la mise en place du concept de la Haute Horlogerie, idée neuve inspirée par l’industrie du luxe.
Difficulté de se repérer dans les premières années
La notion de marque est un concept récent, d’à peine 200 ans. Auparavant c’est la signature de l’horloger qui certifie l’origine de la montre. Avec tous les homonymes comme avec les faussaires, déjà actifs, il n’est pas toujours facile d’identifier les premiers objets construits par les lointains fondateurs des ateliers horlogers devenus des marques. Les prénoms à rallonges, l’ajout au nom de famille d’un surnom ou d’un nom d’alliance permettent un peu mieux de s’y reconnaitre entre les horlogers ; surtout lorsqu’ils avaient la courtoisie de mentionner leur nom en totalité sur leurs ouvrages.
Fondée en xx ou active depuis xx années, une différence de taille
Il est parfois difficile de ne pas sourire lorsque certaines marques se targuent d’avoir été fondées dans un temps si lointain que la montre en était encore à ses balbutiements. Oui, c’est sûr, elle a retrouvé un homonyme actif comme horloger dans une ville suisse de renom.
Cela n’est pas le cas face à des comptoirs horlogers des siècles passés, notoirement connus, évoluant petit à petit vers des entreprises avec des ateliers et des marques déposées.
Il existe aussi une grande différence entre la marque qui n’a pas cessé ses activités et celle qui les a réactivées il y a peu.
Deux manières d’être légitime
La première façon est d’avoir une si longue histoire, une si longue activité ininterrompue que personne ne viendra à s’étonner de votre légitimité. Bien sûr, ces marques n’ont pas toujours traversé les siècles avec le sourire. Elles ont dû s’adapter, leurs propriétaires ont changé, certaines se sont vu brader sordidement lors des périodes de crise. Néanmoins, elles ont toujours construit et commercialisé des montres.
La deuxième manière est de renouer avec une histoire qui s’est perdue, soit par manque de successeur, soit pour des raisons économiques ou autres.
La continuité, un exercice difficile
Pour les premières, c’est souvent une chance d’être si vieilles. Bien compris, le long passé de l’entreprise donne une certaine assurance aux dirigeants actuels. Pensez-vous ; la marque a tant vécu, elle a tant souffert et, pleine d’expérience, elle est toujours là. Bien menée, l’entreprise sait faire les bons choix, elle peut s’appuyer sur des valeurs internes vécues au quotidien depuis si longtemps. Parfois une figure du passé sert de parangon, de référence pour les choix à prendre.
Mais il faut aussi avancer, faire fi des habitudes sclérosées et continuer d’inventer, continuer d’imaginer de nouvelles manières d’être présent au monde car durer pour une marque c’est souvent se réinventer.
Légitimité de la démarche d’une nouvelle création inspirée
Reprendre une histoire interrompue n’est pas plus simple. Ici, il faut construire à neuf avec une vieille histoire qui s’est diluée lentement. Alors les repreneurs se penchent sur le passé et font ce que le temps a sans doute fait pour les marques ininterrompues. Ils trient. Ils séparent le bon grain horloger de l’ivraie des compromissions, des tâtonnements et des errements communs à toute histoire artisanale puis industrielle. Débarrassé de la gangue du passé, leur fondateur historique en devient presque mythique ; il est beau, pur et vaillant. Nous en sommes presque à nous demander pourquoi les ateliers, le comptoir ou la marque qu’il a fondé ont tous sombré dans un passé parfois très lointain.
Aujourd’hui, la marque se relance, elle cherche à renouer le fil de cette histoire rompue. La référence à l’héritage restitué, à ce que l’on appelle parfois le legacy branding, oriente les choix. Un peu comme leurs sœurs qui ont toujours construit des montres ; ces marques, que l’on pourrait nommer recommençantes, vont oser certaines choses et en sanctionner d’autres d’emblée. Il est si important de construire en cohérence…
Une variante sans ambiguïté : la volonté d’ancrage
Pour compléter le tableau des marques, il y a une variante, une autre voie suivie par plusieurs acteurs horlogers. Ici, pas de fondateur mythifié, ni d’horloger ayant quitté simultanément le monde terrestre et celui des affaires, juste la volonté d’asseoir des activités dans une région horlogère, Genève ou ailleurs, voire de pouvoir inscrire le Swiss made sur les objets produits. Ainsi en choisissant un nom très commun dans le village horloger de Fleurier, Vaucher Manufacture justifie sa présence au cœur de l’arc jurassien. Quant aux références de l’entreprise, à l’orientation à donner aux objets réalisés, elles se construisent petit à petit, à la lumière des idées partagées par beaucoup sur la belle horlogerie.
Pour finir, les mêmes défis
Oui, il n’y a pas beaucoup plus de libertés à renouer avec une histoire horlogère qu’à la continuer ou à s’y référer. Ces marques, actives depuis des années ou actives il y a plusieurs années, comme celles se référant à un lieu, à un nom, doivent s’appuyer sur l’Histoire pour en faire un tremplin ; un bon tremplin bien solide pour bondir dans le futur.
Benoît Conrath
Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier