L’effet papillon de mon chocolat

“Pourquoi tu manges encore du chocolat ?” questionnait mon fils l’autre soir. “Je n’achète plus d’avocat!” m’a confié ma collègue. Aïe, les deux ont raison: ni le cacao ni l’avocat ne poussent en Suisse! Dois-je y renoncer pour autant ? Mes choix de consommation courante sont devenus cornéliens. C’est parti pour un exercice de “triture-méninges”…

Nous avons tous des faiblesses. Je l’avoue, je craque pour le bon chocolat! Désolée pour le traditionnel chocolat au lait suisse, mais celui qui me plaît affiche au minimum 75% de cacao, avec un mimimum d’ingrédients dans sa composition. A l’heure du café après le repas familial du soir, la discussion a porté sur nos choix en matière d’aliments. Que peut-on encore acheter le coeur léger, quand on se soucie (dans l’ordre de mes priorités): pas d’emballages inutiles, de production locale, en production respectueuse de l’environnement et des humains (donc bio et de commerce équitable), naturel (donc sans hypertransformation), sans (trop de) sucre ajouté et abordables pour mon porte-monnaie ?

Aligner les conditions complique passablement l’acte d’achat! Ma tablette de chocolat noir du moment, par exemple, elle est bio est estampillée “fair trade”. Mais la tablette est emballée dans du carton (recyclable) et une fine feuille d’aluminium (recyclable). Carton et alu se recyclent, mais le recyclage n’est pas une bonne solution car cela consomme beaucoup de ressources (transport, énergie, eau…) pour réutiliser la matière première. Toutefois, c’est toujours mieux que la feuille de plastique issue du pétrole, une ressource non renouvellable. Et le plastique léger ne se recycle pas. Quant au chocolat non emballé vendu en vrac, je n’en ai pas encore trouvé à mon goût.

Oui, mais le cacao n’est pas produit en Suisse. Selon mon fils toujours très logique, si je veux être cohérente avec mes idées, je devrais y renoncer.

Mais alors, je devrais aussi ne plus boire ni café, ni thé. Seulement des tisanes produites en Suisse. Fini les avocats (dont la culture est aussi catastrophique au niveau de l’impact environnemental), même bio. Dur! Continuons dans la logique: je ne devrais plus utiliser de citron dans ma cuisine, ni ne manger oranges, mandarines et bananes, fruits qui viennent de loin. Idem pour les noix de cajou, de pécan, les amandes. Fini les poissons d’eau de mer et les crustacés et vive les poissons d’eau douce de nos lacs (il y en a encore assez? Hier peut-être, mais aujourd’hui, c’est l’ouverture de la pêche!).

La question est la suivante: où placer la barre du “lointain”? Est-ce que du saumon de Norvège, des tomates d’Italie, de l’huile d’olive de Grèce, c’est encore trop loin? Voilà qui complique la réflexion…

Micro-fibres diaboliques

Dans le ménage, il est d’autres postes où les choix sont tout aussi compliqués. Que c’est difficile de faire juste!

Un exemple: utiliser des torchons en microfibre permet d’économiser des produits ménagers. Mais ce textile synthéthique, malheureusement, perd des microfibres à chaque lavage (comme tout textile), des fibres que nos stations d’épuration sont pour le moment incapables de retenir.

L’alternative est de choisir ses torchons en coton, comme au bon vieux temps d’avant la microfibre. C’est moins efficace et surtout, le coton est une culture terrible pour l’environment (utilisation de pesticides, gigantestque consommation d’eau, conditions sociales de travail catastrophiques…). Je n’ai à ce jour encore pas vu de torchons en coton bio en vente… En l’état de mes connaissances, je continue donc d’utiliser mes torchons en microfibre…

Les tissus synthétiques sont partout. Il est extrêmement rare de trouver des habits où les composants naturels (laine, soie, coton, chanvre, lin…) ne sont pas mélangés avec un peu de fibres synthétiques issues du pétrole.

Dans le domaine du sport, les habits dits “techniques” sont presque exclusivement fabriqués en fibres synthétiques. Et heureusement, car j’ai encore des souvenirs pénibles de cours de ski de mon enfance, chaussées de chaussures en cuir, avec des chaussettes en laine qui gratte, et habillée de vêtements qui n’évacuaient pas la sueur et pompaient l’humidité de la neige! A midi, j’avais froid et j’étais trempée. J’ai commencé à aimer les sports d’hiver (et le sport tout court) grâce aux équipements modernes… et synthétiques.

Moutons de race mérinos.

Une alternative a vu le jour depuis quelques années: la laine mérinos. Les articles en laine mérinos sont 100% pur laine. Ils ne doivent pas être lavés trop souvent car cette laine ne retient pas les odeurs. Un T-shirt évacue parfaitement l’humidité et protège magnifiquement contre le froid, ce qui en fait une fibre “technique” naturelle par excellence. Tout cela grâce à la taille de sa fibre, de l’ordre de 14 à 22 microns, un peu comme le cashmire, quand le cheveu humain en affiche 45 à 55. Du coup, cette laine ne gratte pas! Sur le revers de la médaille: la laine vient de moutons qui ne broutent pas en Suisse, mais plutôt à l’autre bout du monde (Australie, Tasmanie, Nouvelle-Zélande… et pourtant, la race des moutons mérinos est originaire d’Espagne). Et son prix, assez élevé !

Installer un adoucisseur pour éviter le calcaire dans les conduites de la maison permet de ne pas envoyer du vinaigre et du bicarbonate à tout bout de champ dans les égoûts. Une eau adoucie en calcaire permet d’utiliser moins de lessive, moins de shampoing, même si je les fabrique moi-même et que ces produits ne sont pas chargés en produits chimiques nocifs.

Mais un adoucisseur relâche du sel dans les canalisations lors de la purge de la résine qu’il contient, m’a-t-on un jour reproché. Juste. Et c’est aussi le cas de toutes les machines à laver la vaisselle. Alors devrait-on aussi laver sa vaisselle à la main? Non, car une vaisselle à l’évier utilise plus d’eau qu’une machine à laver moderne. Là, mon fils me remerciera: nous avons passé un mois à faire la vaisselle à la main lors d’une panne de lave-vaisselle, ce n’était pas drôle du tout.

Petits budgets: un ordre de priorités à changer

Bien sûr, chacun de nous a un ordre de priorité différent et je conçois bien que pour beaucoup, c’est le porte-monnaie qui guide la majorité des achats.

Tout de même, la part de notre alimentation dans notre budget s’est contamment réduite au fil des décennies. Elle n’est plus que de 7%, alors que manger représentait 30 à 40% du revenu au milieu du siècle passé. Il est vrai qu’au sortir de la denière guerre, on ne connaîssait pas la caisse maladie et ses primes, internet ou la téléphonie mobile et ses forfaits. Chaque achat était longuement réfléchi , on ne changeait pas de souliers chaque année en fonction de la mode et aller au cinéma était une fête car exceptionnel.

(c) blogdudimanche.fr

Les petits budgets auront quand même intérêt à miser sur la qualité de ce qu’ils mangent car à moyen terme, c’est leur santé qui est mise en danger quand on ne consomme que du bon marché, souvent hypertransformé et plein de sucres. Les petits budgets auront intérêt à changer l’ordre de priorité de leurs dépenses, à renoncer au superflu (oui, oui, il y en a toujours, de la fast fashion aux abonnements à un service de “video on demand”, des sucreries en tout genre aux “actions” en tout genre…) pour se concentrer sur l’essentiel (la nourriture de qualité).

Les petits budgets réaliseront aussi de belles économies en fabriquant leurs produits d’entretien et d’hygiène eux-mêmes. C’est simple, rapide et bon marché.

Une recette miracle?

Bon alors, y a-t-il une recette infaillible pour aider à faire les bons choix?

Je ne crois pas. Pour paraphraser Christophe André, psychiatre et psychothérapeute adepte de méditation, je fais de mon mieux… et je n’oublie pas d’être heureuse! Il faut lâcher la pression de temps en temps.

Pour répondre à mon fils, je dirais que je vais continuer de manger du bon chocolat bio et fair trade, même emballé, mais promis, je vais en manger moins et encore plus me délecter du moindre carré que je croque. Qu’il se rassure: on va garder notre lave-vaisselle, nos torchons en microfibres et notre adoucisseur. Et au prochain t-shirt de sport “fichu de chez fichu”, je vais casser ma tirelire et m’offrir un t-shirt en laine mérinos.

L’important est ailleurs, jr crois. C’est d’être conscient que les choix que nous faisons au jour le jour ont un impact immédiat, ici dans nos poubelles, mais aussi ailleurs, bien plus loin. Une certitude: cet impact me reviendra un jour ou l’autre comme un boomerang en termes de taxes poubelles forfaitaires (sur lesquelles je ne peux pas agir), de réchauffement climatique, de manque de ressources, de personnes migrantes qui recherchent asile dans nos pays confortables et en paix (qui ne ferait pareil?).

N’est-ce pas cela aussi, l’effet papillon?

Valérie Sandoz

Valérie est engagée sur la réduction des déchets à titre privé depuis des années. Elle est l'auteur de plusieurs guides, donne des conférences, des cours et anime des ateliers. Géographe et ethnologue de formation, elle interroge notre façon de consommer et partage ses découvertes. Adepte du «fait maison» (conserves alimentaires, lacto-fermentation, cosmétiques, produits de nettoyage, etc.), Valérie anime un blog personnel consacré à la cuisine sans gluten, à la réduction des déchets et du gaspillage et à un mode de vie simple et joyeux.

2 réponses à “L’effet papillon de mon chocolat

  1. Vous écrivez: pas d’emballages inutiles, de production locale, en production respectueuse de l’environnement et des humains (donc bio et de commerce équitable), naturel. (Nous sommes tous d’accord avec vous.) Par contre:
    L’ENVIRONNEMENT AVANT LES HUMAINS, DONT NOUS PROFITONS DE LEURS ENVIRONNEMENT (CACAO, CAFÉ) AVANT DES HUMAINS QUI TRAIVAILLE LE CACAO POUR UN POURBOIRE! Dernièrement j’ai regardé un reportage sur ce sujet du Cacao. Les gens gagne même pas assez pour envoyer leurs enfants à l’école. Un responsable était interviewé. Sa réponse: Nous avons construit des écoles pour les enfants des ouvriers. Quelle arrogance! S’ils gagneraient assez d’argent, ils n’auriont pas besoin de nos aumônes! J’adore le Chocolat, le Café. Quoi faire? J’aime les articles qui amènent à un monde un peu meilleurs et surtout de lequel résulte une action!
    Cordialement, Mirta Grüter

    1. Bonjour Mirta,
      J’ai aussi regardé ce reportage de ABE sur les labels UTZ et Fairtrade, avec effarement (à revoir ici: https://pages.rts.ch/emissions/abe/10157120-prix-de-lessence-le-cout-de-pompe.html#timeline-anchor-segment-10266840). C’est sans doute celui que vous avez vu. C’était après la rédaction de cet article. Jusqu’à présent, je me suis fiée à l’analyse d’organismes et d’associations reconnues, comme le WWF ou la FRC (voir ici: https://www.frc.ch/labels-alimentaires-evalues/). Il est impératif maintenant d’en savoir plus. Est-ce que ce reportage est emblématique de toute une situation ou seulement un cas particulier, une exception qui a échappé aux contrôles? Il faut interpeller l’émission ABE pour cela. Voilà une première action! La seconde action: en attendant, susprendre la consommation de chocolat… cela ne va pas être facile, en ce qui me concerne!

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