Le transfert de la responsabilité du fabricant sur le dos des consommateurs est un enfumage bien connu du lobbyisme économico-politique, qui fonctionne depuis des décennies! Il a court en matière de déchets (surtout plastiques), et avant cela, dans celui des aliments trop sucrés, trop gras et trop salés. Le même principe était à la base des actions du lobby du tabac. Dernier avatar: le domaine de la santé. Récapitulons…
Res-pon-sa-bi-li-ser! C’est le leitmotiv, le mantra qui viendra à bout de tous les problèmes! Car c’est dit: si on a des problèmes en ce bas monde (de santé, d’environnement, de budget…), c’est de notre faute en tant qu’individus! Les entreprises veulent bien vous coacher pour vous aider dans votre tâche, comme le dit si élégamment la directrice du groupe d’assurance maladie CSS, Philomena Colatrella. Grâce à des apps qui vont siphonner vos données et lever le voile sur tous les détails de votre vie privée. C’est tout bénéfice pour les entreprises puisqu’au passage, les assurances auront gagné gratuitement des millions de “data” qui valent très chères…
Dans un monde économique qui fonctionne bien, le producteur d’un bien est responsable de la qualité de ce qu’il produit. Cette responsabilité ne se limite pas à la qualité du produit qui sort de ses usines: elle s’étend aussi aux effets sur ses consommateurs. Elle devrait être étendue au delà encore. Notamment en ce qui concerne les effets sur l’environnement de son élimination (ou de sa réutilisation).
L’industrie est la seule responsable de ses produits et de leurs effets
C’est en raison de ce principe que l’on exige de l’industrie pharmaceutique des études sur les effets directs et secondaires de ses médicaments. Ou que le législateur a inscrit une étude d’impact obligatoire pour tout projet relevant de la Loi sur l’environnement. Ou bien encore que les marques de cosmétiques doivent fournir une “évaluation de sécurité”, qui tienne compte “de l’usage auquel le produit cosmétique est destiné ainsi que de l’exposition systémique attendue aux différents ingrédients dans la formulation finale.”, comme le stipule l’ordonnance sur les cosmétiques révisée en 2016 (OCos, art. 4 al. 2).
Quand on découvre que les effets de l’amiante, du tabac ou du sucre à longue échéance sont invalidants et souvent mortels pour les êtres humains qui y ont été exposés (activement, comme passivement), les choses se corsent. La logique voudrait que les fabricants, quand ils ont connaissance de ces effets délétères et/ou mortels, soient tenus pour responsables des coûts de traitement ou des décès que leurs produits ont engendrés. Dans le cas du tabac, il a été démontré que l’industrie connaissait parfaitement, depuis des décennies, les effets dévastateurs de leur produit sur la santé de leurs consommateurs réguliers, ainsi que des personnes soumises à l’exposition de la fumée du tabac de manière passive.
L’enfumage de l’industrie de l’emballage
Devinez quoi! En matière de déchets, la responsabilité du fabricant n’est jamais engagée. Jamais ! Ou alors elle s’arrête dès que son produit est entre les mains du consommateur. Les effets sur l’environnement? Tant qu’elle n’a pas à en assumer les frais, elle les ignore et les fait payer à d’autres.
Ainsi il est démontré que l’entreprise Coca-Cola sait depuis les années 70 que la bouteille en verre consignée et réutilisée est la meilleure en termes d’impact sur l’environnement que toute autre matière (verre perdu, plastique, PET…). Elle a donc troqué son système de bouteilles en verre consignées par des bouteilles en plastique. C’est bien moins cher pour elle! Les coûts à charge de l’environnement seront payés par Mère Nature ou par l’argent du contribuable.
L’industrie du tabac a montré la voie, suivie de près par l’industrie alimentaire et des produits sucrés (dans laquelle la première a bien vite investi quand elle a senti le vent tourner pour elle). Le poids de la responsabilité, pour ces industries, repose clairement sur le consommateur. Selon leur communication, seul le comportement individuel est à même de mettre un frein et un terme à l’épidémie d’obésité, de diabète de type II et autres maladies liées au syndrome métabolique. Il est si simple d’être rai-son-nables! “Si vous êtes malades, c’est de votre faute, c’est que vous avez manqué de volonté!” Voilà le message que ces industries ont réussi à faire passer. En oubliant au passage que les produits du tabac sont addictifs (à cause de la nicotine) et que le sucre l’est tout autant. Or, une addiction ne se combat pas avec de la seule volonté, interrogez n’importe quel-le spécialiste de santé publique!
En matière de déchets, c’est pareil. Si tant d’emballages et de plastiques étouffent les rivières, les lacs, les mers et les océans, si la faune aquatique meurt d’en ingérer au quotidien, si au final nous les mangeons aussi en retour sous forme de microparticules, c’est de notre faute! Si nous n’avions pas jeté à tout vent tous ces emballages, il n’y aurait pas de problèmes environnementaux, notre santé ne serait pas mise en danger.
Bons princes, les industriels de l’emballage – au lieu de se remettre en question – lancent de gigantesques opérations de nettoyage des plages… et de leur conscience.
Ainsi, Pack2Go Europe – les professionnels de l’emballage alimentaire – martèle que tout est question d’éducation. L’industrie de l’emballage a lancé l’association “Clean Europe Network”, qui nous organise des journées “Clean Up” où les stupides et seuls responsables – les consommateurs bien sûr – vont ramasser les déchets ici, là ou ailleurs. Pack2Gp Europe et Clean Europe Network sont logés à la même adresse à Bruxelles, et leurs sites internets sont quasiment identiques. L’enquête de Cash investigation de France 2 sur le plastique (“Plastique: la grande intox“) a découvert le pot aux roses.
Cette stratégie est celle du prestidigitateur: “regardez ma main droite!” pendant que le tour de magie s’opère dans la main gauche. “Aidons le consommateur à prendre ses responsabilités, et ainsi détournons le regard sur une autre cible que nous-mêmes!”. Voilà le message !
Avatar suisse du réseau “écolo” de l’industrie de l’emballage : IGSU
En Suisse, c’est aussi le message délivré par l’association IGSU ou Communauté d’intérêts Monde propre, un membre du réseau mis sur pied par l’industrie de l’emballage Clean Europe Network !
C’est simple: au lieu de participer à l’un de leurs prochains “Clean Up Day”, je préfère ramasser au jour le jour ce que je vois traîner sur la voie publique. Je fais ainsi ma part sans offrir un coup de pub gratuit et indirect à l’industrie de l’emballage qui s’achète une bonne conscience au passage. Car il est démontré qu’un déchet attire d’autres déchets. Voir un truc qui traîne nous “autorise” à jeter le nôtre en se disant: “bah, puisqu’il y en a déjà un…!”. Le film “Fenêtre sur déchets” du cinéaste italien Salvo Manzone, récemment projeté durant le Festival du Film Vert, l’a bien mis en images: à Palerme ou à Naples, il suffit d’un premier sac de détritus pour qu’une décharge sauvage se constitue très vite. En ramassant ce que vous voyez, vous êtes bien plus efficaces que de participer à ces actions de bonne conscience de l’industrie.
Mais bon, si le coeur vous dit de participer à une action collective et de sensibilisation, ce qui peut être sympa avec les enfants, préférez les actions “Coup de balai” que la Cosedec (Coopérative romande de sensibilisation à la gestion des déchets) organise avec votre commune.
Parce que finalement, qui donc les produit ces emballages plastiques? Ce n’est pas le consommateur! Le consommateur consomme le produit. Il ne peut être tenu responsable de son emballage. Si sa salade lui est vendue dans un emballage réutilisable, recyclable ou biodégradable, il va la consommer pareil que si elle est vendue en barquette plastique.
Rendez à César…
“Rendez à César ce qui appartient à César… et à Dieu ce qui est à Dieu!” a répondu un certain Jésus, que les Pharisiens avaient voulu piéger avec une question portant sur la conformité à la loi juive le fait de payer des impôts romains.
Pour paraphraser cet immense révolutionnaire à l’origine de notre culture judéo-chrétienne (dont les propos m’épatent à chaque fois que je les lis!), on peut dire aujourd’hui: “Rendez à l’industrie du plastique et de l’emballage la responsabilité de tous les ennuis que ces matières ont engendrés!”
Et fichons la paix aux consommateurs!
Bonjour,
Beaucoup de mélanges dans ce billet, on en perd le but et la logique.
Quel est le but du billet ? La production de déchets due à la grande quantité d’emballage ? Du moment qu’une filière d’élimination existe et que cette filière est “propre”, en quoi est-ce un problème ? On peut pointer une problème de consommation de ressources, mais en quoi brûler du mazout pour se chauffer ou du gaz pour produire de l’électricité est moins nocif que de brûler du plastique issu du pétrole ?
En Suisse, les déchets ménagers sont brûlés, et leur combustion sert à produire de l’eau chaude et de l’électricité. On peut toujours argumenter qu’il existe de moyens plus propres de produire ces 2 types d’énergie, il n’empêche que les usines d’incinération sont très utiles dans la gestion de l’énergie, car ces unités peuvent stocker de l’énergie en début d’hiver pour répondre aux besoins saisonniers. Si les plastiques d’emballage devait disparaître, il faudra bien trouver une autre source d’énergie et jusqu’à ce que l’on dispose des moyens de stockage d’énergie a grande échelle, cela sera toujours des énergies fossiles ou nucléaire qui feront ce job.
Bref, les industriels de l’emballage ne sont pas le grand satan tant qu’il existe des filières organisées de traitement des déchets. Or le traitement des déchets ménagers n’est pas la prérogative des industriels, mais de l’Etat et des citoyens. Si l’Etat et les citoyens ne veulent pas mettre en place un système correct de traitement des déchets et se plier aux contraintes que cela impliquent pourquoi les industriels devraient être plus vertueux ? Est-ce la faute des industriels si la plupart des Etats utilisent encore des décharges à ciel ouvert ou si les gens jettent leurs déchets dans la nature ?
Avant de pointer les industriels, il faut que la société définisse des principes qui doivent s’appliquer à tous et surtout à elle-même:
– interdire les décharges qui ne font que retarder dans le temps la pollution
– définir des filières propres, clairement identifiables qui traitent l’intégralité des résidus jusque dans leur état définitif
– faire payer le coup d’élimination à la source et non pas au moment de l’élimination afin que chacun puisse se rendre compte au moment de l’achat du coup réel de l’objet
Mettez en place ce principe et les industriels se deviendront vertueux: réduire les emballages ou trouver des alternatives sera enfin payant
Cher CRerat, nous voilà bien dans le paradoxe du recyclage!
Comme on balaie la poussière et on la cache sous le tapis, l’incinération n’est pas la solution du problème des déchets en augmentation constante. Incinérer ne fait que réduire le volume des déchets, mais n’en supprime pas la toxicité. La filière d’élimination qu’est l’incinération n’a rien de propre. Elle produit des scories et des mâchefers qui doivent être traités comme de véritables déchets toxiques en décharge contrôlée.
Certes, on en récupère la chaleur, autant que faire ce peu. Certes, les collectivités publiques ont beaucoup investi dans la construction de ces fours; il faudra bien leur trouver une autre fonction.
Vous pointez à merveille le cynique de la situation: nous voilà prisonniers de la filière du déchet pour entretenir ces usines. A tel point que la Suisse importe (sans doute par la route) des déchets pour les faire tourner sans discontinuer: quelle logique peut-on trouver à cela?
Pourquoi les industriels devraient être tenus pour responsables de ce qu’ils produisent? Pourquoi devraient-ils se sentir concernés par les tonnes de plastique dont ils innondent le marché et nos poubelles (en 2010, les emballages représentaient 37% de la consommation suisse de plastiques, selon l’OFEV) ? Parce qu’ils en sont les premiers responsables! Ce sont eux qui ont opéré des choix, dont les coûts externes sont supportés par d’autres. A eux d’imaginer d’autres façons de vendre leurs produits.
Là où je vous rejoins, c’est sur les principes que notre société doit définir pour elle-même, afin d’y contraindre aussi les industriels. Ce ne sont pas tout-à-fait les mêmes, vous vous en doutez bien…
– Le premier sera de contraindre les industriels (selon le principe du pollueur-payeur) à prendre leur entière responsabilité quant au gâchis et à l’épuisement des matières premières, à la dispersion de déchets toxiques et dangereux dans la nature sans contrôle, à la pollution engendrée par leur “traitement”, à l’intoxication de la faune puis de la population par les micro-particules de plastique, entre autres joyeux coûts externes qui ne sont jamais pris en considération…
– Le second est de contraindre tout le monde à produire uniquement dans le cadre du modèle d’économie circulaire, où rien de se jette ni ne se brûle, mais où tout se réutilise selon un cycle infini.
Pour votre information, les décharges comme on les connaît en France sont interdites en Suisse.
– Le troisième, subséquent aux deux premiers, est d’amender sévèrement quiconque laisse un déchet non biodégradable dans la nature.
Mais ce dernier principe ne devrait même pas être nécessaire si les deux premiers deviennent réalité!
Quel chef d’oeuvre cette bouteille de Coca et Coca, soi-même, essaie de la relifter en vain.
Que d’efforts perdus et de coûts ainsi générés .
Bon il est toujours bien connu qu’un nouveau patron, change même ce qui marche et seulement pour poser son empreinte (le dernier cas amusant est l’EPFL).
Mais je m’éloigne un peu de votre sujet, traité brillamment pour vous dire la pertinence de votre approche.
Et aussi qu’étant un lecteur assidu de ces blogs (d’aucuns diront un commentateur chiant:), je trouve que les blogs des femmes sont toujours beaucoup plus percutants que ceux des hommes.
Donc bravo les femmes y adelante
Merci Olivier! Votre commentaire vient à point nommé après celui de CRerat…!