La Suisse vote ce 29 novembre 2020 pour juger sur son sol les entreprises voyous qui violent les droits des enfants dans certains pays du Sud, principalement d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. En effet, plusieurs multinationales très connues, dont le siège est en Suisse, opèrent dans ces régions dans des activités controversées, engrangeant au passage des bénéfices considérables au mépris de la protection des enfants et de l’environnement de ces pays. Quelles seront les conséquences de ce vote sur l’Afrique qui compte 80 millions d’enfants obligés de travailler sur un total de 152 millions répertoriés dans le monde ? Partisans et opposants à cette initiative dite des multinationales responsables avancent leurs arguments sur fond d’une crise qui pourrait bien laisser des traces sur le plan politique, non seulement en Suisse, mais aussi au Burkina Faso.
Les chiffres fournis par les Nations-Unies sur le travail des enfants font froid dans le dos, à tel point que l’institution semble décidée à mettre fin au travail des enfants d’ici à 2025. Ce ne sera pas une tâche facile, notamment en Afrique, où certaines multinationales peu scrupuleuses usent de leur toute puissance et influence pour faire régner leurs lois.
L’Afrique, il faut le rappeler, est le continent le plus touché par le travail des enfants, car plus de 40 % d’enfants âgés de 5 à 14 ans sont sollicités, qui pour travailler dans des mines, qui dans des champs de coton, qui dans l’orpaillage, sans oublier les travaux domestiques, entre autres. Ce pourcentage, le plus élevé au monde, représente plus de 80 millions d’enfants sur qui l’Afrique ne pourra guère compter pour rattraper son énorme retard en matière de développement. Si rien n’est fait, ce chiffre devrait dépasser les 100 millions à la fin de l’année 2020. Pratiquement toute l’Afrique est touchée par le phénomène. C’est le Nigéria, pays le plus peuplé du continent africain, qui arrive en tête de ce triste classement, avec 12 millions d’enfants au travail, selon l’UNICEF. En Afrique du Sud, 400 000 enfants pauvres, issus des bidonvilles, ont été recensés dans des vergers, tandis qu’en Egypte on compte entre 500 000 et 1 million d’enfants qui travaillent dans des champs de jasmin, environ 10 000 au Maroc dans la fabrication de tapis, d’articles de cuirs, dans la poterie, etc. Le domaine de l’agriculture est également très concerné par le travail des enfants, par exemple dans les plantations de vanille à Madagascar et de cacaoyers en Côte d’Ivoire qui exploite jusqu’à 600 000 enfants.
Dans une étude sur le travail agricole publiée par des chercheurs au Cameroun, au Ghana, au Nigéria et en Côte d’Ivoire, il a été prouvé que des enfants, souvent très jeunes, étaient employés à des tâches qui mettaient en danger leur santé, voire leur vie, à travers la pulvérisation d’insecticides et le débroussaillage à l’aide de machettes, par exemple. L’étude a été réalisée avec la collaboration de l’USAID, du ministère américain du travail, de l’industrie chocolatière, du Programme international sur l’élimination du travail des enfants (IPEC), de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de gouvernements d’Afrique occidentale.
Le secteur agricole n’est, de loin, pas le seul à être en cause dans le travail des enfants. En effet, celui des mines, attire particulièrement l’attention des ONG et organisations de protection des droits des enfants. Plusieurs pays, dont la Côte d’Ivoire et ses mines d’or, le Zimbabwe et ses mines de chrome et la République Démocratique du Congo avec ses gisements de diamants et de coltan font l’objet de condamnations par ces ONG.
Après ce bref état des lieux de la situation dans certains pays d’Afrique, nous nous attarderons un peu plus sur le cas du Burkina Faso. Dans ce pays, des enfants à peine âgés de 8 ans passent leurs journées à creuser dans des mines d’or, se retrouvant dans des puits profonds de 60 mètres de profondeur, prenant ainsi des risques incommensurables.
Si nous nous intéressons précisément à ce pays, c’est qu’une polémique a été créée par la récente visite en Suisse de son ministre du commerce, M. Harouna Kaboré. Ce dernier, accompagné d’une parlementaire suisse au rôle pour le moins trouble dans ses rapports avec le gouvernement du Burkina Faso, s’est fendu d’un discours qui contredit une réalité pourtant constatée par plusieurs ONG, organisations des droits de l’homme et par l’OIT. Ce faisant, il s’oppose donc, tout comme la parlementaire suisse, Madame Isabelle Chevalley, à l’initiative qui vise à poursuivre en Suisse les multinationales dont le siège est en Suisse et qui favorisent le travail des enfants au Burkina Faso. A Berne, le ministre Harouna Kaboré, a déclaré en substance que « Au Burkina Faso, les formes les plus graves de travail infantile n’existent pas. Je suis moi-même producteur de coton et je peux vous affirmer que le travail des enfants n’est pas possible dans les champs de coton. »
Suite à ces propos, des organisations de la société civile du Burkina Faso et d’Afrique ont dénoncé les « déclarations irresponsables » du ministre qui est allé « à contresens des engagements internationaux de son propre pays en matière de protection des droits humains ». Voici, à ce propos, un large extrait du communiqué de deux d’entre elles bien connues au Burkina Faso et en Afrique. «Le CERDE et ACCA tiennent à rappeler l’évidence que représentent les méfaits de l’activité de certaines multinationales sur les droits humains et l’environnement. C’est le lieu de rappeler que dans le contexte du boom minier que connait le Burkina, l’activité extractive a suscité une série de problèmes liées au respect de l’environnement, à la (sur)vie des communautés locales ainsi qu’au respect des droits des travailleurs. Cela a occasionné ces dernières années des tensions et incidents malheureux entre communautés locales et entreprises minières. Ces problèmes ont été pointés du doigt par la société civile burkinabé à maintes reprises, y compris lors de l’examen périodique universel dans le cadre des Nations Unies. Le CERDE et ACCA saluent l’engagement des autorités Burkinabé à protéger les droits des citoyens et souhaitent que cet engagement soit traduit de manière forte dans les faits. Considérant que la sortie malheureuse du ministre Harouna Kaboré ne constitue en aucun cas la position officielle du Burkina sur cette question, nos deux organisations encouragent le gouvernement à communiquer pour rassurer la société civile et les populations burkinabé désireuses de plus de progrès, de justice sociale et davantage de responsabilité dans l’activité des acteurs économiques privés.»
A travers cette déclaration commune on ne peut plus limpide, le CERDE et ACCA condamnent sans réserve l’attitude du ministre Burkinabé. Selon les 2 organisations, le ministre s’est discrédité en allant contre les positions officielles de son pays qui s’est positionné en faveur du respect par les multinationales des droits humains et de l’environnement. Cette sortie constitue également une remise en cause des engagements internationaux du Burkina. Cette sortie malheureuse, selon ces organisations «affecte ainsi l’image et la respectabilité internationale du pays. »
Pour rappel, le Centre d’Études et de Recherches sur le Droit de l’Environnement (CERDE) est une association de Droit Burkinabé spécialisée sur les questions environnementales. Quant à l’African Coalition for Corporate Accountability (ACCA), il s’agit de la plus grande coalition de la société civile africaine qui regroupe plus de 130 organisations intervenant sur les sujets relatifs aux entreprises et aux droits humains. L’ACCA est basée au Centre for Human Rights à l’Université de Pretoria, en Afrique du Sud.
Au niveau suisse, plusieurs centaines d’hommes et de femmes politiques, 650 paroisses, 300 dirigeants d’entreprises, des centaines de personnalités de la société civile, 130 organisations de la société civile sont engagés pour un OUI à l’initiative. La société civile africaine en Suisse n’est pas en reste. L’Association CIPINA (Centre d’Information et de Promotion de l’Image d’une Nouvelle Afrique, www.cipina.org) a appelé les Africains de Suisse à voter en faveur de l’initiative. Le Secrétaire exécutif de l’Association des Burkinabé de Suisse (environ 1 200 personnes), M. Désiré Yirsob Dabiré, s’est également exprimé à titre personnel sur cette affaire : « Je ne partage absolument pas les propos du ministre Harouna Kaboré, plusieurs membres de la communauté burkinabé en Suisse sont de mon avis. Le travail des enfants existe bel et bien au Burkina Faso. En venant en Suisse pour affirmer le contraire, on a plutôt l’impression que c’est le ministre qui est infantilisé par les opposants à l’initiative. Le Burkina Faso a pris des mesures pour condamner fermement l’exploitation des enfants sur son territoire. Si elle est adoptée, l’initiative contribuera sans doute à renforcer la protection de ces enfants et des populations vulnérables. Concernant Mme Chevalley, il est de notoriété publique qu’elle entretient d’excellents rapports avec les autorités actuelles de mon pays. Je m’interroge toutefois sur la légalité des conditions dans lesquelles elle a pu obtenir un passeport diplomatique burkinabé, un privilège dont peu de Burkinabé bénéficient, a fortiori des non Burkinabé. Il y a là certainement matière à enquête, aussi bien en Suisse qu’au Burkina Faso “.
Au-delà de cette polémique, il est urgent que les États africains protègent leurs enfants. Pour cela, il faudrait qu’ils disposent de plus de moyens financiers. Une des solutions pour accroître leurs ressources financières serait de taxer les multinationales qui échappent à l’impôt. Selon plusieurs spécialistes, l’Afrique perd chaque année entre 30 à 60 milliards de dollars, à cause de ces multinationales irresponsables qui échappent à l’impôt. Ce montant représente plus que l’aide internationale que l’Afrique perçoit.
A la lumière de toutes ces informations, un OUI massif est recommandé pour protéger les droits des enfants en général, Africains en particulier, ainsi que notre environnement qui est un objectif transversal pour toute notre planète.