Violences policières, racisme, droits de l’homme : la communauté noire de Suisse se mobilise

Les images de l’arrestation de Georges Floyd aux USA ont fait le tour du monde, démontrant les graves violences policières dont sont victimes les Afro Américains. La colère s’est répandue partout aux USA, mais pas seulement. En Europe également, les Noirs se sentent en danger lors des contrôles de police. Qu’en est-il de la situation en Suisse ?

La communauté africaine de Suisse est estimée à environ 120 000 personnes. Elle est récente puisqu’elle a commencé à se faire connaître au milieu des années 80. Donc beaucoup plus tard que celles issues d’Europe, notamment de France, d’Allemagne, d’Autriche et d’Italie qui sont beaucoup plus anciennes. C’est véritablement au début des années 90, à cause des guerres civiles au Rwanda, en Ethiopie, en Somalie, et dans d’autres pays, que le nombre d’Africains en Suisse a vraiment augmenté. Au départ, la communauté était composée de fonctionnaires internationaux, d’étudiants, d’hommes d’affaires, et plus tard, de demandeurs d’asile et de réfugiés.

Cette présence en Suisse ne s’est pas faite sans douleurs pour les primo arrivants africains. Différences culturelles, préjugés, problèmes d’intégration, et autres, ont d’abord jalonné leur parcours parsemé d’embûches. Une fois ces premières étapes franchies, difficilement, est alors arrivée la dure réalité de la lutte contre les discriminations de toutes sortes.

L’Office fédéral de la statistique a examiné en 2017 l’attitude de la population envers les Noirs : si les Suisses estiment que les personnes noires sont discriminées, ils pensent cependant que ce problème n’est pas leur priorité première. En d’autres termes, c’est aux Noirs de se débrouiller avec.

Le constat de l’Office vient quelque part conforter le rapport d’un expert onusien, d’origine africaine, qui avait osé affirmer haut et fort devant le Conseil des droits de l’homme à Genève « qu’il existe dans la société suisse des partis politiques avec une plate-forme raciste et xénophobe qui cherchent à imposer leur programme ».

Le rapporteur, Monsieur Doudou Diène, qui avait enquêté en Suisse du 9 au 13 janvier 2006, avait regretté une «résistance culturelle profonde au multiculturalisme, notamment à l’égard des étrangers d’origine non européenne. ».

Parmi ses recommandations, il avait émis le souhait de voir les autorités suisses exprimer «une volonté politique ferme pour combattre la dynamique du racisme dans la société suisse ». Il avait plaidé pour un programme national d’action contre le racisme et la xénophobie.

Le Conseil fédéral n’avait pas tardé à réagir en indiquant que “le racisme est malheureusement aussi présent en Suisse et qu’il faut mener un combat permanent contre cette atteinte inacceptable aux droits de l’homme”. Le communiqué ajoutait que “la Confédération est consciente que des efforts supplémentaires doivent être développés aux niveaux fédéral, cantonal et communal pour sensibiliser la population”.

La Commission fédérale contre le racisme (CFR) avait aussi appelé la Confédération et les cantons à suivre les recommandations du rapport présenté par Monsieur. Doudou Diène, en arguant du fait .que l’expert de l’ONU avait mis très justement le doigt sur les points sensibles.

Pour tenter de rectifier le tir, lors d’une votation suisse organisée le 25 septembre 1994, le peuple approuvait à presque 55% l’introduction d’une norme pénale antiraciste qui était censée permettre à la Suisse d’adhérer à la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Cette norme, appelée article 261 bis du Code pénal, « interdit toute discrimination raciale ayant lieu dans le domaine public. Elle rend illégal tout comportement qui rabaisse de façon implicite ou explicite une personne à cause de sa couleur de peau, de sa religion ou de son appartenance ethnique ou culturelle, de même que tout comportement qui nie son droit à l’existence. Ces comportements ne sont cependant interdits que dans la mesure où il n’existe entre les personnes concernées aucune relation personnelle ou empreinte d’une confiance particulière. »

Pourquoi donc, plus de 25 ans plus tard, le racisme d’une manière générale, anti-Noirs en particulier, continue d’être une tare de notre société ? Plusieurs organisations de défense des droits de l’homme estiment que l’article ne permet pas de lutter contre la discrimination raciale qui correspond à la pratique même du racisme et à ses conséquences dans la vie de tous les jours. Les violences policières contre les Noirs existent en Suisse et les quelques plaintes pénales qui ont été déposées par les victimes n’aboutissent pas généralement pour plusieurs raisons.

Une procédure pénale contre la police en Suisse coûte cher. Elle peut être très longue, si elle va jusqu’au Tribunal fédéral, sans garantie de succès qui plus est. D’autre part, les avocats se plaignent du manque de collaboration des services d’aide aux victimes de profilage racial et de leur hésitation à prendre en charge les frais d’avocats des victimes.

Dès lors, la police suisse doit se poser les bonnes questions dans le cadre de sa mission. L’une d’entre elles, centrale, me vient à l’esprit : Quelle évaluation la police doit-elle faire avant toute intervention sur des personnes de couleur noire ? Quels sont les indices objectifs qui justifieraient son intervention ? A-t-elle bien mesuré les conséquences d’une intervention basée uniquement sur le profilage racial ?

Bien des questions auxquelles les autorités devront apporter des réponses satisfaisantes pour éviter des drames à la Georges Floyd, en Suisse. Leur responsabilité est de prévenir les comportements racistes et de sensibiliser la population aux méfaits du racisme. D’autant plus que la société suisse est de plus en plus métissée et que trois quarts des Suisses estiment que le racisme anti-Noirs est un problème. C’est dans ce contexte que plusieurs mouvements de protestation, regroupant des personnes de toutes origines, s’organisent ces jours en Suisse pour dénoncer les violences infligées aux personnes noires vivant en Suisse. No justice, no peace.

Tidiane Diouwara

Tidiane Diouwara est journaliste RP et spécialiste des sciences de l’information. Il est titulaire d’une maîtrise universitaire en linguistique, d’un doctorat 3 ème cycle en sciences de l’information. Il est Directeur du CIPINA (www.cipina.org), une association spécialisée dans la promotion de l'image de l'Afrique. Il est également Conseiller diplomatique et expert des Droits de l'Homme.