L’économie a perdu ses valeurs

La crise de l’économie globale, qui est aussi une crise des «sciences économiques» essentiellement, est beaucoup plus profonde qu’on ne le croit habituellement. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les objectifs de l’activité économique sous le régime de la financiarisation: l’augmentation du taux de profit est plus importante que la satisfaction des clients et des collaborateurs de n’importe quelle entreprise. Cela a pour conséquence que les politiques économiques visent avant tout la croissance du Produit intérieur brut (PIB), comme si cela était suffisant (voire nécessaire) afin de réduire le chômage involontaire qui frappe, à l’heure actuelle, l’ensemble de l’économie mondiale.

En fait, l’économie contemporaine fonctionne sur la base d’une échelle de valeurs renversée par rapport à la période précédant les années 80 du siècle passé, lorsque la plupart des entreprises, au-delà du secteur public, veillaient tout d’abord à respecter la dignité des personnes dans leurs dimensions physique, psychique, spirituelle et émotionnelle.

À une époque où bien des économistes et des acteurs politiques visent à mesurer (pour l’augmenter) le Bonheur intérieur brut (BIB), il faudrait commencer par reconnaître que le bonheur individuel est tributaire des capacités personnelles d’exercer une activité professionnelle, pouvant dès lors satisfaire les besoins de consommation par un niveau salarial cohérent avec les valeurs éthiques que les activités et les «sciences» économiques doivent urgemment retrouver pour le bien commun.

La crise n’est pas finie

La mise en œuvre, ce mois-ci, de l’«assouplissement monétaire» de la Banque centrale européenne (BCE) a suscité une vague de réactions, notamment des milieux politiques proches des institutions financières, selon lesquelles la crise de l’Euroland serait désormais surmontée, en ce qui concerne l’avenir de la zone euro dans sa composition actuelle.

En clair, malgré les tensions et les étincelles au plus haut niveau entre la Grèce et l’Allemagne, représentées par leurs propres ministres des Finances, le «bazooka» monétaire déployé par Mario Draghi induit les institutions européennes à être confiantes en l’avenir de la zone euro.

Or, si les acteurs sur les marchés financiers vont continuer à profiter de la «manne» jetée par l’hélicoptère piloté par M. Draghi, soulageant nombre de banques «zombie» dans les principaux pays de l’Euroland, force est de remarquer que le chômage involontaire d’un nombre très élevé de jeunes et de moins jeunes à travers la zone euro ne diminue pas (et ne va pas diminuer dans les prochaines années) suite à la très accommodante politique monétaire de la BCE.

À la différence de la Grande Dépression des années 1930, lorsque les chômeurs dans le secteur agricole ont pu migrer (de la campagne vers les villes) pour trouver une place de travail dans l’industrie naissante et à faible valeur ajoutée, la Grande Récession qui frappe, depuis déjà au moins 5 ans, les pays «périphériques» de la zone euro, n’offre aucune possibilité d’embauche à une grande partie des chômeurs involontaires dans ces pays, parce qu’ils n’ont pas en général les compétences pour décrocher un emploi (ne serait-ce qu’à temps partiel et avec un contrat à durée déterminée) dans les activités (de service) pour lesquelles les entreprises cherchent à recruter des collaborateurs très bien qualifiés.

Au lieu des politiques d’austérité, qui aggravent et prolongent la crise, la zone euro a urgemment besoin de politiques permettant à bien des chômeurs de trouver un emploi dans des activités où le capital humain est prépondérant pour la production de biens et services à forte valeur ajoutée. Le secteur public doit contribuer à cela par une augmentation des dépenses pour l’instruction et la formation continue, qui ne doivent plus être considérées comme des coûts (à réduire dans les budgets de l’État) mais comme des investissements (à augmenter) qui ne doivent pas être inclus dans le calcul des soldes budgétaires suivant le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union monétaire européenne.

Le bien commun ne doit pas dépendre d’une formule de calcul aride et dépourvue de sens au plan macroéconomique. Il en va du destin du processus d’intégration européenne et de la réalisation des États-Unis d’Europe.

La révolution des sciences économiques

L’histoire de la pensée économique est riche d’enseignements, même si elle a été écartée du bagage fondamental des économistes formés – ou formatés? – dans les soi-disant meilleures universités occidentales, pour être reléguée dans des cours facultatifs qui ne comptent pas pour l’obtention d’un diplôme académique quelconque car ils n’utilisent pas l’approche mathématique dominante pour étudier les questions d’ordre économique touchant l’ensemble de la société.

Or, un nombre croissant d’initiatives estudiantines apparaissent, surtout aux États-Unis et dans l’Union européenne, afin que les programmes d’étude en sciences économiques s’ouvrent à des approches alternatives à l’économie mathématique, offrant une perspective pluraliste permettant l’émancipation intellectuelle des nouvelles générations d’économistes, appelés à développer leur propre esprit critique afin de résoudre les problèmes réels de nos sociétés, plutôt que de répondre à des questions (à choix multiple) visant l’évaluation des connaissances mathématiques des candidats aux examens en sciences économiques.

Comme le disait Mark Twain, l’histoire ne se répète pas mais montre des similitudes à travers le temps. Après la révolution keynésienne des années 1930 et la contre-révolution néolibérale des années 1970, y aura-t-il donc une autre révolution en sciences économiques avant la fin de cette décennie? Une chose est sûre: si cela s’avère, ce ne sera pas le résultat d’un choix volontaire des facultés d’économie des pays «avancés», mais découlera de la demande des étudiants suite à leur incapacité de comprendre le monde réel avec les outils mathématiques appris durant leurs cursus académiques.

Dans l’intervalle, le monde continuera de souffrir, bien au-delà de la souffrance imposée dans les auditoires aux économistes en devenir.

Franc fort et idées faibles

Deux mois après le «tsunami» monétaire provoqué par l’abandon du taux de change plancher entre l’euro et le franc suisse, la force de la monnaie helvétique sur le marché des devises continue d’aller de pair avec la faiblesse désopilante des idées proposées pour y faire face de manière appropriée.

Le débat au niveau politique n’a livré que trois solutions erronées:

1.   Demander à la Banque nationale suisse (BNS) de réintroduire un taux plancher, que ce soit au niveau de 1,10, 1,20 ou 1,30 franc pour un euro.

2.   Mettre sur pied un fonds souverain financé par les sommes que la BNS a créées de toutes pièces, afin de dégager des recettes utiles pour l’économie helvétique.

3.   Distribuer de l’argent aux ménages en utilisant la planche à billets de la BNS, afin de relancer les dépenses de consommation et induire de l’inflation en Suisse.

Le caractère erroné de ces «fausses idées claires» est évident.

1.   La BNS a perdu toute crédibilité lors de son annonce du 15 janvier 2015. De ce fait, elle serait soumise à des attaques spéculatives intenables le jour même où elle annoncerait la réintroduction d’un taux plancher quelconque. De surcroît, l’augmentation exorbitante de la masse monétaire suisse augmenterait visiblement le degré d’instabilité financière du marché hypothécaire helvétique.

2.   Un fonds souverain alimenté par la création monétaire de la BNS reposerait sur «le néant habillé en monnaie» (Jacques Rueff) et ne servirait pas l’intérêt général de la Suisse car ses placements seraient essentiellement en devises, bénéficiant ainsi le reste du monde sans véritablement aider l’économie helvétique, malgré la possibilité d’augmenter timidement les exportations suisses vers les pays au sein desquels le fonds souverain aurait investi.

3.   La distribution de francs suisses par l’hélicoptère friedmanien piloté par Thomas Jordan ne ferait pas augmenter les dépenses de consommation (ni donc le niveau des prix sur le marché des produits) tant que les perspectives des ménages suisses sur le marché du travail restent sombres à cause de la crise en zone euro.

En fait, si le franc est fort, la faute n’est pas de la BNS (et le mérite n’est pas de la classe politique suisse). Le péché originel se trouve dans l’Euroland dont tant la structure économique que la gouvernance politique ne sont pas viables mais sont véritablement la cause ultime de la crise européenne.

Il faudrait alors dépêcher à Bruxelles et Francfort les meilleures têtes pensantes suisses. La mise au concours ne devrait pas tarder, mais il est nécessaire tout d’abord de définir les membres du jury…

La crise des économistes autistes

Une dépêche de l’Agence France-Presse a résumé le 23 janvier 2015 le contenu d’un courrier adressé à la Ministre de l’éducation française par Jean Tirole quelques jours après que celui-ci avait obtenu le «Prix Nobel» en sciences économiques.

Dans son courrier, Tirole affiche ses inquiétudes en ce qui concerne la création d’une nouvelle section du Conseil national des universités (qui détermine la carrière des enseignants–chercheurs dans les universités françaises). Cette nouvelle section, dont la création a été bloquée pour l’heure par les autorités françaises, avait été proposée par quelque 300 enseignants–chercheurs intéressés aux relations entre l’économie et la société dans son ensemble et devrait s’intituler «institutions, économie, territoire et société».

Cela en dit long sur l’état préscientifique des «sciences économiques» en France et ailleurs. Comme le fait remarquer l’Association française d’économie politique dans sa lettre ouverte à Jean Tirole du 29 janvier 2015, «la discipline économique est aujourd’hui verrouillée dans une trajectoire sous-optimale. Il faut lui ouvrir de nouvelles perspectives et offrir à nos collègues comme à nos étudiants le menu varié qu’ils appellent instamment de leurs vœux. La nouvelle section ouvrira un espace de liberté expérimental, modeste mais exigeant. Elle n’enlèvera rien aux courants dominants, sinon leur monopole sur la discipline.»

Cet argumentaire devrait plaire aux économistes qui croient aux vertus de la concurrence pure et parfaite et défendent le principe de la liberté individuelle comme étant un facteur de progrès social. Leur cohérence impose d’abandonner le monopole qu’ils exercent sur la discipline pour faire en sorte que la liberté et la concurrence s’imposent aussi dans les «sciences économiques». C’est la seule façon d’assurer un caractère scientifique à une discipline cruciale pour le sort de l’humanité, dont il faut reconnaître le besoin d’émancipation intellectuelle pour sortir des situations de crise systémique engendrées par les économistes qui se comportent comme les dépositaires de la vérité absolue et prétendent avoir à peu près raison même lorsqu’ils ont parfaitement tort.

L’aléa moral de la dette publique grecque

Les autorités politiques allemandes insistent sur l’exigence de restituer aux créanciers étrangers l’intégralité de la dette publique grecque car il en va du respect des accords (d’abord ceux entre les débiteurs et leurs créanciers, ensuite ceux pris dans le cadre de la fameuse Troïka, sous la menace de couper les vivres à l’économie grecque, comme l’a fait la Banque centrale européenne par sa décision du 4 février 2015). Or, les Allemands doivent considérer deux points majeurs:

–      d’une part, le «miracle économique» dont leur pays a bénéficié dans les deux décennies suivant la Deuxième guerre mondiale tient aussi à l’Accord sur les dettes extérieures allemandes conclu à Londres le 27 février 1953. Cet accord, qui a effacé plus de la moitié des dettes allemandes face à de très nombreux créanciers étrangers, a permis, en réalité, un nouveau départ de l’économie allemande, lourdement touchée par les événements tragiques durant la première moitié du XXème siècle.

–      d’autre part, comme l’a fait remarquer Joseph Stiglitz, l’«aléa moral» que bien des économistes mentionnent pour indiquer le danger que, en cas d’annulation partielle de la dette publique grecque, d’autres pays (à commencer par l’Espagne, si Podemos sortait gagnant des élections générales prévues à la fin de cette année) vont exiger des annulations de leurs dettes extérieures, ne doit pas faire oublier les responsabilités (et les risques d’aléa moral) du côté des créanciers, surtout au vu des aides financières que ceux-ci ont obtenues par les États, suite à l’éclatement de la crise de l’Euroland.

En clair, l’évidence empirique est double. Elle montre, historiquement, qu’une remise partielle de dettes ne nuit pas mais, au contraire, profite à la fois au débiteur et à ses créanciers. Elle montre également que la socialisation des pertes des acteurs financiers globalisés pousse ceux-ci à continuer avec leurs stratégies prédatrices, capturant des rentes et des profits qui, eux, avèrent le véritable aléa moral induit par le régime de la financiarisation des activités économiques au détriment du «bien commun».

La Grèce a ses propres problèmes à régler. Mais ses créanciers ont le devoir moral d’être responsables des comportements prédateurs qu’ils ont mis en œuvre avec la garantie que l’Euroland est trop grande pour faire faillite.

La Grèce est dans une position de force

La Grèce est dans une position de force face à ses créanciers, malgré le fait que ceux-ci pensent le contraire. En l’état, tant qu’il existera une banque au moins dans le système économique grec, le secteur public hellénique pourra toujours emprunter auprès de cette banque l’argent nécessaire pour financer la dépense publique dépassant les recettes fiscales – à condition, bien entendu, que la dite banque soit d’accord d’octroyer un crédit à l’État grec. Contrairement à la pensée dominante (devenue unique dans la très grande majorité des facultés de sciences économiques du monde occidental), une banque (soit-elle centrale ou secondaire) n’a aucunement besoin de récolter une épargne préalable afin d’octroyer des crédits à n’importe quel type d’agent économique. Il s’agit de reconnaître, à l’instar de J.A. Schumpeter, que les crédits font les dépôts au sein du système bancaire (alors que tout acteur financier non-bancaire, comme un fonds de pension, ne peut faire aucun prêt s’il n’a pas récolté au préalable suffisamment de fonds prêtables).

Dès lors, comme le sait l’actuel ministre des Finances en Grèce, Yanis Varoufakis (que votre serviteur connaît personnellement), l’État grec a la possibilité de remettre en question les accords pris avec ses propres créanciers étrangers dans le cadre de la Troïka, exigeant de réduire sa dette extérieure (que l’économie grecque ne sera jamais en mesure de pouvoir honorer à 100 pour cent) car en cas de refus de ses créanciers le gouvernement grec pourra se passer de toute aide internationale (et des marchés financiers globalisés) dans la mesure où son déficit public sera financé par des lignes de crédit auprès des banques grecques. Si, par hypothèse, aucune banque locale n’est disposée à ouvrir une telle ligne de crédit, l’État grec peut nationaliser cette banque ou l’ensemble du système bancaire et trouver ainsi les ressources financières dont il a besoin pour satisfaire les nécessités du peuple grec, souffrant d’une crise humanitaire beaucoup plus grave et dramatique que la crise des finances publiques nationales.

Si le gouvernement grec sait mettre en œuvre une véritable politique économique de relance, la croissance économique apportera alors la confiance nécessaire aux ménages et aux entreprises grecques pour soutenir l’État et l’ensemble de l’économie nationale, évitant le spectre de la course aux guichets bancaires qu’une nationalisation partielle ou totale des banques locales pourrait entraîner de prime abord.

Comme l’a fait remarquer une pétition pour le pluralisme en sciences économiques, «la situation actuelle ne révèle pas seulement une crise de l’économie, mais également une crise intellectuelle profonde, celle de la pensée économique». L’Europe entière, non seulement la Grèce, doit urgemment reconnaître cela. Dans le cas contraire, elle sombrera à jamais dans la dépression.

Les erreurs de la BNS

La série des graves erreurs commises par la Direction générale de la Banque nationale suisse (BNS) depuis l’introduction du taux plancher (un cadeau empoisonné pour les banques et le marché immobilier de la Suisse) et l’avènement des taux d’intérêt négatifs (un autre poison, qui renforce l’effet du précédent et affecte également les épargnants dont les caisses de pension helvétiques) a été assortie récemment par l’annonce que la BNS et le Département fédéral des finances (DFF) ont convenu de verser un milliard de francs supplémentaires aux cantons et à la Confédération au titre de la distribution du bénéfice que la BNS a réalisé durant l’exercice 2014.

Cette annonce a eu un écho absolument positif, notamment au sein des cantons dont les caisses publiques sont vides. La Confédération a aussi de quoi se réjouir, étant donné qu’elle va recevoir 666 millions de francs suisses de la BNS (au lieu des 333 millions lui revenant selon la Convention entre le DFF et la BNS du 21 novembre 2011).

Si la BNS pense que, en doublant le versement du bénéfice distribué à la Confédération et aux cantons suisses au titre de l’exercice 2014, elle réussit à faire oublier à la population suisse ses graves erreurs passées dont les conséquences les plus négatives pour l’économie nationale ne seront visibles que dans bien des années (comme l’a montré l’Histoire, après l’abandon du taux plancher du franc par rapport au Deutschmark à la fin des années 1970 et l’éclatement d’une bulle immobilière à la fin de la décennie suivante), elle se trompe à nouveau. En l’état, la BNS a ignoré que, au titre de l’exercice 2015, elle devra vraisemblablement enregistrer d’importantes pertes suite à la forte dévalorisation de ses propres réserves de change libellées en euros (comptabilisées au taux de change de 1,20 franc pour un euro au 31 décembre 2014).

Il est tout aussi clair, en effet, que la BNS ne pourra pas se libérer lors de l’exercice 2015 des euros qu’elle a accumulés dans son bilan, étant donné qu’une telle vente massive d’euros sur le marché des devises a comme résultat la dépréciation de la monnaie unique européenne – et impacte de ce fait négativement les résultats comptables de la BNS au titre de l’exercice 2015.

La Confédération et les cantons suisses ne doivent donc pas se réjouir de la manne supplémentaire qu’ils vont recevoir de la BNS, car celle-ci ne va pas leur éviter de devoir faire face aux problèmes induits par les erreurs de l’autorité monétaire helvétique depuis le 6 septembre 2011.

Une «taxe Tobin» sur le franc suisse

La Confédération suisse doit introduire rapidement une «taxe Tobin» sur les achats de francs qui n’ont rien à voir avec les exportations de la Suisse, entendez qui ne reposent que sur des motifs spéculatifs. Cela est d’autant plus urgent que l’imposition d’un taux d’intérêt négatif sur une partie des dépôts que les banques gardent auprès de la Banque nationale suisse (BNS) comporte au moins deux effets négatifs d’ordre systémique:

–      d’une part, cela pousse les banques à enfler sans retenue le volume des crédits hypothécaires dans leurs bilans, afin de préserver leurs propres profits, mis à mal par la décision de la BNS de leur imposer un taux d’intérêt négatif;

–      d’autre part, ces mêmes banques sont amenées à facturer des frais aux caisses de pension en Suisse, sous le prétexte qu’elles doivent elles-mêmes s’acquitter d’un taux d’intérêt négatif auprès de la BNS (le Credit Suisse a ouvert la voie et ses pairs vont suivre bientôt).

Ces deux effets vont induire les acteurs concernés à mettre en œuvre des comportements plus risqués dont les conséquences négatives ont le potentiel de faire éclater une crise financière en Suisse.

Une «taxe Tobin» sur les achats spéculatifs de francs suisses réduira la surévaluation de cette monnaie nationale sur le marché des devises et apportera aux caisses publiques des recettes pouvant être utilisées, après avoir défini les critères d’allocation, pour soutenir les entreprises qui souffrent vraiment de la dite surévaluation et qui méritent une aide financière étatique.

À défaut de convoquer les deux Chambres du Parlement fédéral pour une session spéciale urgente, il faut prévoir une journée de débat lors de la session ordinaire du printemps prochain, qui doit être précédée par des auditions ciblées dans le cadre des différentes commissions parlementaires en charge des questions économiques et financières.

Il faut absolument éviter que les banques et les caisses de pension en Suisse augmentent la fragilité et l’instabilité financières de ce pays car cela induirait un risque systémique insupportable pour le contribuable.

Une fois la poussière retombée

La chute brutale et inattendue du taux de change de l’euro par rapport au franc suite à l’annonce de la Banque nationale suisse (BNS) d’avoir abandonné le taux de change plancher entre ces deux monnaies, le 15 janvier 2015, a soulevé beaucoup de poussière, notamment en Suisse.

Une fois la poussière retombée, il est possible de saisir plus clairement les effets d’une telle décision historique, assortie de l’introduction d’une commission (de 0,75 pourcent) que les banques et d’autres institutions financières devront désormais payer pour déposer une partie de leurs avoirs à la BNS.

L’appréciation du taux de change du franc suisse comporte certes des difficultés pour les entreprises helvétiques tournées vers l’exportation. Il faut toutefois remarquer que les grandes entreprises transnationales, notamment dans l’industrie pharmaceutique, ainsi que celles vendant des objets de luxe, ne vont pas souffrir de cette appréciation ou, dans le cas contraire, leur manque à gagner est insignifiant par rapport aux pertes qui devront être enregistrées par bien des entreprises de taille petite ou moyenne, surtout dans les activités liées au tourisme au sein de l’économie suisse.

Par ailleurs, il faut reconnaître que la majorité des entreprises suisses de toute sorte importent une bonne partie de leurs «intrants» (matières premières et produits semi-finis), qui leur coûtent moins cher lorsque le taux de change du franc suisse s’apprécie de manière considérable. Il faut donc relativiser le problème de l’industrie suisse d’exportation ainsi que de l’ensemble de l’économie helvétique par rapport au «franc fort» et à la nécessité de réduire la charge fiscale des entreprises en Suisse (dans le cadre de la troisième réforme de l’imposition des entreprises).

En revanche, il faut s’inquiéter des effets déstabilisants du prélèvement d’une commission sur une partie des avoirs déposés par les banques à la BNS. Celles-ci vont être induites à placer leurs avoirs ailleurs, c’est-à-dire sur les marchés financiers, et à augmenter encore leurs crédits hypothécaires afin de récupérer ainsi leurs manques à gagner sur les comptes de virement qu’elles ont auprès de la BNS. Le cas échéant, il faut craindre (et empêcher) que la fragilité financière des banques aille en augmentant au fur et à mesure que celles-ci profitent de la situation pour enfler une bulle financière et/ou une bulle immobilière en Suisse.

Si cela s’avère, la décision annoncée par la BNS le 15 janvier 2015 va être inscrite dans les livres d’histoire suisse, sous le chapitre consacré aux erreurs monumentales des autorités helvétiques. Il est facile alors de prédire que la poussière s’accumulera sur ces ouvrages tant que la mémoire collective ne tirera pas les leçons qui s’imposent des erreurs, commises par myopie ou négligence, des acteurs dont l’importance au plan national est d’ordre systémique.