La crise des économistes autistes

Une dépêche de l’Agence France-Presse a résumé le 23 janvier 2015 le contenu d’un courrier adressé à la Ministre de l’éducation française par Jean Tirole quelques jours après que celui-ci avait obtenu le «Prix Nobel» en sciences économiques.

Dans son courrier, Tirole affiche ses inquiétudes en ce qui concerne la création d’une nouvelle section du Conseil national des universités (qui détermine la carrière des enseignants–chercheurs dans les universités françaises). Cette nouvelle section, dont la création a été bloquée pour l’heure par les autorités françaises, avait été proposée par quelque 300 enseignants–chercheurs intéressés aux relations entre l’économie et la société dans son ensemble et devrait s’intituler «institutions, économie, territoire et société».

Cela en dit long sur l’état préscientifique des «sciences économiques» en France et ailleurs. Comme le fait remarquer l’Association française d’économie politique dans sa lettre ouverte à Jean Tirole du 29 janvier 2015, «la discipline économique est aujourd’hui verrouillée dans une trajectoire sous-optimale. Il faut lui ouvrir de nouvelles perspectives et offrir à nos collègues comme à nos étudiants le menu varié qu’ils appellent instamment de leurs vœux. La nouvelle section ouvrira un espace de liberté expérimental, modeste mais exigeant. Elle n’enlèvera rien aux courants dominants, sinon leur monopole sur la discipline.»

Cet argumentaire devrait plaire aux économistes qui croient aux vertus de la concurrence pure et parfaite et défendent le principe de la liberté individuelle comme étant un facteur de progrès social. Leur cohérence impose d’abandonner le monopole qu’ils exercent sur la discipline pour faire en sorte que la liberté et la concurrence s’imposent aussi dans les «sciences économiques». C’est la seule façon d’assurer un caractère scientifique à une discipline cruciale pour le sort de l’humanité, dont il faut reconnaître le besoin d’émancipation intellectuelle pour sortir des situations de crise systémique engendrées par les économistes qui se comportent comme les dépositaires de la vérité absolue et prétendent avoir à peu près raison même lorsqu’ils ont parfaitement tort.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.

Une réponse à “La crise des économistes autistes

  1. Un dramatique sous-investissement dans ce secteur décisif pour l’avenir d’un pays a conduit à cette situation: l’université française ne peut plus accueillir les nombreux postulants aux études supérieures. Conséquences: sélection absurde sans critère clair (à l’aveugle), gestion de la pénurie; autoritarisme (à l’image des facs de Paul Valery à Montpellier; Tolbiac à Paris pour ne prendre que ces deux exemples emblématiques). La crise est ancienne et grave: tous les ingrédients sont réunis pour qu’elle explose. 1/3 du corps enseignant des universités françaises est en situation de précarité (y compris sociale, le nombre de vacataires a explosé au cours des 30 dernières années), le budget alloué aux universités (rapporté au nombre d’étudiants) est un des plus faibles de toute l’OCDE, enfin les rémunérations versées aux enseignants sont faibles (indignes?) comparativement aux autres grands pays développés. L’université est devenue négligeable. Ils répètent à l’envi “la réforme, la réforme, la fermeté!!”. Cela n’est pas sérieux. Ce serait cocasse si cela n’était pas ridicule. En vrai, nous le savons bien, réformer selon ces prétendus responsables, revient à liquider. Selon ces gens peu sérieux la France n’aurait pas besoin de gens diplômés et qualifiés.

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