Pauvre Europe!

Le feuilleton grec est ridicule. Les «institutions» créancières de l’État grec n’ont aucunement besoin d’être remboursées dans les délais et pourraient sans faute rallonger les échéances, permettant au secteur public grec de montrer (les premiers résultats de) sa bonne volonté à sortir la population de la profonde ornière provoquée par la crise ainsi que par les mesures d’austérité qui l’ont suivie et aggravée à bien des égards.

Or, il n’en est rien: les dites «institutions» (aucunement démocratiques) veulent visiblement faire d’une pierre deux coups. D’une part, elles vont tout mettre en œuvre pour induire le peuple grec à remplacer le gouvernement dirigé par Alexis Tsipras, qui n’arrivera pas à tenir ses promesses de mettre fin à l’austérité. D’autre part, elles continueront à exercer sur la Grèce une pression insupportable, afin que les bailleurs de fonds ayant largement contribué à cette tragédie pour le peuple grec n’aient pas à supporter toute leur part de responsabilité, qui n’est nullement négligeable et doit faire l’objet d’une commission d’enquête indépendante sur la dette publique grecque. L’appel lancé à cet égard par la société civile a reçu le soutien du parlement grec et déjà récolté l’adhésion de quelque 700 personnalités de renom au plan mondial.

Si les dirigeants des «institutions» mettant sous pression la Grèce ont (encore) un brin de l’idéal européen des pères fondateurs de l’Europe communautaire, ils devraient comprendre tout seuls que leur attitude, au-delà d’être abominable, est contraire à cet idéal et viole même les principes de solidarité et de respect des droits fondamentaux inscrits clairement dans le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Au lieu de continuer à rappeler à la Grèce que «pacta sunt servanda» sans rien entreprendre, les «institutions» doivent en donner l’exemple et faire preuve de bon sens afin de contribuer au bien commun, pour sortir la zone euro de sa propre crise veillant à l’intérêt général avant toute autre chose.

Taxer les flux ou les stocks?

La théorie économique dominante, d’inspiration néoclassique, confond les flux et les stocks, étant donné qu’elle considère comme un flux des grandeurs qui, en fait, sont des stocks, et vice-versa.

Cela est grave car une théorie qui repose sur des concepts erronés ne peut pas donner lieu à des politiques économiques appropriées afin de résoudre des problèmes de la réalité contemporaine.

Toutefois, il y a des erreurs encore plus graves, à l’instar de la Banque nationale suisse (BNS), qui a imposé une taxe sur les stocks de francs suisses (sous la forme des dépôts que les banques ont auprès d’elle), au lieu de taxer les flux de francs suisses sur le marché des devises.

En clair, le taux d’intérêt négatif que la BNS prélève sur une partie non négligeable des dépôts des banques auprès de l’autorité monétaire est un mauvais instrument pour enrayer la surévaluation du franc suisse. Il frappe, indirectement, l’ensemble des déposants en Suisse (y compris, notamment, les caisses de pension) dont la très grande majorité n’est aucunement à l’origine de la dite surévaluation mais en subit souvent les conséquences négatives.

Une bien meilleure mesure pour réduire la force du franc suisse serait celle d’annoncer – et ensuite d’introduire rapidement – une taxe sur les achats de francs suisses dépassant un certain seuil, qui frapperait en particulier les transactions à haute fréquence sur le marché financier. Cela aurait le double mérite de faire déprécier les taux de change du franc suisse et d’apporter des recettes fiscales à la Confédération qui pourraient alors être (en partie) redistribuées aux petites et moyennes entreprises qui, en Suisse, souffrent vraiment (et malgré leurs efforts) de la force du franc.

La BNS crée un risque systémique

La Banque nationale suisse (BNS) pourrait décider prochainement de réduire bien davantage les taux d’intérêt (déjà négatifs) sur le marché interbancaire helvétique, afin de réduire quelque peu la force du franc suisse sur le marché des devises, qui représente un handicap pour la branche touristique et bien des entreprises tournées vers l’exportation de produits suisses.

Le cas échéant, cette décision de la BNS pourrait comporter une crise de liquidité sur le marché interbancaire national, dans la mesure où les banques ayant des liquidités excédentaires rechigneraient à les prêter aux banques déficitaires en Suisse, étant donné que les taux d’intérêt sur le dit marché sont (devenus encore plus) négatifs. Si cela s’avère, il faut craindre alors l’éclatement d’une crise immobilière, parce que le secteur bancaire helvétique pourrait réduire rapidement le volume des nouvelles créances hypothécaires, voire augmenter considérablement les taux d’intérêt sur les nouvelles hypothèques résidentielles, compte tenu de ses difficultés de refinancement sur le marché interbancaire au plan national.

Par ailleurs, l’augmentation du taux d’intérêt prélevé aux bailleurs de fonds sur le marché interbancaire suisse pourrait induire ceux-ci à se détourner de l’économie nationale pour prêter davantage au reste du monde, notamment à travers les marchés financiers globalisés, qui à première vue sont censés offrir une meilleure perspective par rapport au rendement attendu selon la catégorie de risque considérée. Si cet effet de détournement s’avère, la BNS en sera la cause essentielle, au lieu de contribuer à assurer la stabilité financière comme lui impose de faire texto l’article 5, alinéa 2, lettre e de la loi fédérale qui encadre ses propres activités.

Au lieu de persévérer dans l’erreur, la BNS devrait comprendre qu’elle doit œuvrer pour trouver des solutions viables aux problèmes du franc fort au lieu d’être elle-même un facteur majeur de ces problèmes. Il en va de l’intérêt général du pays – qui doit orienter la politique monétaire de la BNS, comme l’indique d’ailleurs la loi fédérale en la matière. Nul n’est censé ignorer la loi, a fortiori lorsque son infraction peut entraîner des effets systémiques négatifs qui seront très difficiles à résorber par la suite.

A quoi servent les économistes?

La publication, en France, d’un petit ouvrage intitulé À quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose? offre l’occasion d’ouvrir un débat de société, urgemment nécessaire, afin de remettre l’Homme dans sa globalité au centre des activités économiques de tout genre. Le sous-titre de cet ouvrage (Manifeste pour une économie pluraliste) est révélateur de l’état absolument lamentable dans lequel se trouvent les «sciences économiques» actuellement. Faisant suite à la pétition pour le pluralisme en «sciences économiques», déjà signée par des milliers d’enseignants–chercheurs, l’ouvrage dirigé par André Orléan, président de l’Association française d’économie politique, lance un cri d’alarme contre la mort annoncée du pluralisme en économie.

Le constat à partir duquel les auteurs dudit Manifeste développent leur analyse critique est alarmant: «Depuis plusieurs années, on assiste à une uniformisation dramatique de la pensée économique. Cette affaire n’est pas anecdotique parce qu’elle affecte la vie quotidienne de tous les citoyens. Elle a pour enjeu le choix des politiques qui ne peuvent se réduire aux seules conceptions néolibérales.»

Se référant au cas français, qui n’est d’aucune manière un cas isolé au niveau mondial, l’ouvrage «raconte comment une orthodoxie a fini par étouffer la diversité des conceptions. Il a pour point de départ une lettre dans laquelle l’économiste Jean Tirole jette tout le poids de son récent prix Nobel pour bloquer une réforme visant à restaurer le pluralisme des doctrines économiques à l’université. Dès réception, sa destinataire, Geneviève Fioraso, à l’époque secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, retire son décret. Voilà donc un économiste libéral qui demande à l’État d’intervenir pour l’aider à maintenir sa position de monopole dans l’ordre universitaire et une ministre de gauche qui obtempère.»

Comme nous l’avions déjà fait à plusieurs reprises dans ce blog, le Manifeste pour une économie pluraliste appelle l’ensemble des parties prenantes «à une restauration du pluralisme, condition sine qua non pour que vive en France une démocratie informée et efficace». Le cri d’alarme et la solution qu’il contient ne sauraient être plus clairs. Il faut leur donner la suite qui s’impose de toute urgence, afin que l’Homme soit remis au centre du fonctionnement du système économique, au lieu d’être considéré comme une marchandise (sous le volet des «ressources humaines») dont on cherche à minimiser les coûts et à maximiser les rendements financiers suivant une optique imbibée de court-termisme pour satisfaire la cupidité illimitée d’une faible minorité de personnes.

Faut-il imposer les successions?

Le 14 juin prochain le peuple suisse fera part de son vote sur l’initiative populaire fédérale «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Réforme de la fiscalité successorale)». Ce sujet a gagné en importance suite à l’augmentation des inégalités de richesse en Suisse et ailleurs, comme l’a révélée au grand public le “best seller” de Thomas Piketty. Ces inégalités, ainsi que celles de revenu, sont l’un des facteurs majeurs à l’origine de l’énorme bulle du crédit qui a enflé de manière démesurée avant d’éclater, avec beaucoup de bruit, durant la première décennie de ce siècle dans le monde occidental.

Les arguments en faveur de cette initiative sont indiscutables au plan macroéconomique (entendez pour l’ensemble de la société). D’abord, cette initiative ne vise que les successions dépassant deux millions de francs. La majorité des successions ne sera donc pas touchée par cet impôt, que la Confédération va prélever si l’initiative emporte la double majorité des voix (peuple et Cantons). Il convient de remarquer à cet égard que, à présent, une partie non-négligeable des successions est imposée dans certains cantons, avec une franchise insignifiante si l’on considère celle de deux millions de francs prévue par les initiants dans l’ensemble de l’économie helvétique. L’attractivité fiscale de la Suisse, dès lors, ne sera pas affaiblie; elle pourrait au contraire augmenter en cas d’adoption de l’impôt sur les successions au niveau national.

En effet, la plupart des petites ou moyennes entreprises (PME) ne sont pas visées par cette réforme de la fiscalité successorale car le texte de l’initiative prévoit des exonérations importantes, notamment afin de ne pas prétériter leurs activités si elles sont reprises pour au moins 10 ans par les héritiers ou les donataires. Les entreprises agricoles ne seront aucunement soumises à cet impôt, tandis que pour les autres PME les initiants ont prévu des réductions particulières, assez généreuses pour préserver la profitabilité de ces entreprises à long terme, considérant à cet égard les difficultés pour les entreprises familiales à organiser leur propre succession.

Aussi, les recettes fiscales récoltées suite à la réforme de l’impôt sur les successions vont-elles être versées, pour deux tiers, au Fonds de compensation de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS), et pour le tiers restant aux Cantons suisses. Cela permettra d’étoffer les budgets cantonaux – dont une partie importante sera amputée de beaucoup de recettes fiscales suite à la Réforme III de la fiscalité des entreprises qui entrera en vigueur de manière graduelle dans quelques années – ainsi que de renflouer les caisses de l’AVS – dont la solidité est redoutable à long terme, compte tenu du vieillissement de la population résidante et de l’impossibilité de continuer à augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour financer les futures retraites.

Par ailleurs, comme l’ont déclaré à la presse Warren Buffett, Bill Gates et une poignée d’autres personnes dont le patrimoine est très élevé, la transmission de la richesse entre les générations n’a rien à voir avec le mérite des héritiers et peut même induire ceux-ci à la paresse, nuisant au développement personnel et social. Une certaine redistribution des richesses ainsi accumulées – au-delà d’un seuil raisonnable, comme celui indiqué par l’initiative soumise au vote le 14 juin – stimule donc le développement de la société, contribuant à renforcer la légitimité de la méritocratie et la cohésion sociale dont l’économie a besoin pour être durable selon les principes de l’éthique sociale et la justice distributive.

Le risque systémique n’a pas disparu

Les propos d’Axel Weber, président du conseil d’administration d’UBS, publiés par la Neue Zürcher Zeitung du 25 avril 2015 montrent que les tenants et les aboutissants du risque systémique dans les marchés de la finance globalisée ne sont pas encore compris par les acteurs de ce système.

UBS a sans doute beaucoup réduit son exposition directe par rapport aux risques posés par (un défaut partiel de) la dette publique grecque. Il n’en reste pas moins que UBS, comme les autres banques de taille systémique, n’est aucunement à l’abri des effets négatifs (tout en étant imprévisibles) qu’une faillite (partielle) de l’État grec comporterait pour l’ensemble de l’économie mondiale, à commencer par celle de l’Union européenne. L’ampleur et la profondeur des interconnexions entre les banques et les autres institutions financières non-bancaires est telle, à présent, qu’aucun acteur financier (y compris les assurances) ne peut prétendre être à l’abri du tsunami qu’un défaut de paiement du secteur public hellénique pourrait provoquer de manière désordonnée et à bien des égards dramatique pour la population du Vieux Continent.

Il est dès lors impératif qu’à la culture de l’introspection constructive qui est mise en avant par Axel Weber dans ladite interview soit associée la compétence de comprendre le fonctionnement du système financier au plan macroéconomique, afin d’éviter que les risques qu’on croyait avoir accompagnés à la porte rentrent par la fenêtre, laissée grande ouverte pour changer l’air devenu toxique suite à l’éclatement de la crise sur le plan systémique.

Grexit entre la morale et la raison d’État

La dureté des discussions entre la Grèce, représentée par son ministre des Finances (Yanis Varoufakis), et ses principaux créanciers au sein du Groupe de Bruxelles semble être le reflet de l’irréconciliabilité des positions sur les deux fronts de ce bras de fer exténuant. D’une part, les représentants grecs font appel à la raison d’État pour induire leurs créanciers à édulcorer leurs propres prétentions financières à l’égard de la population grecque, épuisée par la crise humanitaire provoquée par les mesures d’austérité draconiennes. D’autre part, les membres de l’ancienne Troïka insistent mordicus sur le principe éthique que les dettes doivent être honorées et dès lors remboursées complètement.

En fait, le combat acharné entre ces deux positions irréconciliables en cache un autre, beaucoup plus sournois, visant à éviter, d’un côté, que les créanciers privés (entendez les banques allemandes et françaises) à l’origine du surendettement de l’économie grecque soient appelés à assumer financièrement leur part de responsabilité dans cette crise de la dette et de l’autre côté que les politiciens et les fonctionnaires grecs ayant contribué à ce surendettement durant les trois décennies qui ont précédé le gouvernement d’Alexis Tsipras soient aussi appelés à faire en sorte que les finances publiques grecques puissent être assainies de manière durable.

Quoi qu’il en soit, le bras de fer farouche entre la Grèce et ses propres créanciers ressemble de plus en plus au jeu de la poule mouillée (que Yanis Varoufakis, un spécialiste en théorie des jeux, connaît très bien): lorsque deux voitures se lancent l’une contre l’autre à grande vitesse, le pilote qui dévie le premier de la ligne de collision sort perdant car il révèle sa peur d’être victime d’un accident mortel. Mutatis mutandis, il est facile de comprendre que l’enjeu essentiel dans la confrontation de la Grèce à ses créanciers porte sur l’ampleur des risques systémiques (qu’il est impossible d’évaluer ex-ante) d’un défaut de paiement (voire d’une sortie de la zone euro) de la Grèce, qui pourrait également être suivi par d’autres pays – notamment l’Espagne – dont l’économie est aussi dans un état gravement problématique malgré l’embellie au plan statistique.

Pour éviter la catastrophe, il est impératif de rappeler aux autorités et à la population de l’Allemagne que le «miracle économique» qu’ils ont pu observer dans les années 50 et 60 du siècle passé a été possible suite à l’Accord sur les dettes extérieures allemandes conclu à Londres le 27 février 1953. Comme l’affirme aussi une étude de McKinsey publiée en février 2015, il faut considérer la nécessité d’un effacement partiel des dettes (de la Grèce) afin d’éviter le pire (au Vieux Continent). La fierté des joueurs à la poule mouillée doit venir après le bien commun. Dans le cas contraire, ils seront eux aussi emportés par les vagues du tsunami socio-économique qui provoquera la désertisation de l’Europe.

Les enseignements de la crise

La crise globale et systémique éclatée en 2008 n’a pas (encore) induit les enseignants–chercheurs en «sciences économiques» à changer de fond en comble le paradigme dominant, qui à bien des endroits reste la pensée unique de la profession académique.

L’un des vices les plus durs à déraciner est celui qui amène les cercles académiques à exagérer l’importance des publications dans les revues professionnelles (classées selon leur proximité avec la pensée unique) et des fonds de recherche engrangés par un enseignant–chercheur (et qui sont en général proportionnels à la dite proximité), au détriment de son engagement personnel dans l’enseignement et l’encadrement des travaux des étudiant-e-s de tout niveau (Bachelor, Master et doctorat).

Or, le terme «enseignant–chercheur» (utilisé notamment en France en ce qui concerne le personnel scientifique au sein des universités) n’est pas choisi au hasard: le dit personnel est d’abord un enseignant, avant d’être chercheur, parce qu’il est censé passer la plupart de son temps de travail à s’occuper des tâches (nombreuses et fort variées) liées à l’enseignement.

Lors du recrutement des enseignants–chercheurs il faudrait dès lors ne pas négliger (voire ignorer) leurs engagements dans l’enseignement et l’encadrement des travaux estudiantins, ne serait-ce que pour la raison que des étudiant-e-s insatisfaits ou mal préparés ne sont pas une belle «carte de visite» pour l’institution académique concernée.

Les enjeux de ce problème pour l’ensemble des parties prenantes sont de taille systémique. Il faut espérer qu’ils ne seront pas affrontés par la direction académique avec la vision (simpliste) qui consiste à introduire une série d’incitations, qui plus est établies avec des «questionnaires à choix multiples» répondant à une approche quantitative plutôt qu’à des considérations d’ordre qualitatif. Il en va de la société de l’avenir.

La zone euro n’a pas besoin de vitamine D

Les injections de liquidité par la Banque centrale européenne ne vont pas soutenir l’économie de la zone euro tant que cette vitamine D (de Draghi) est injectée avec l’obligation (morale) de faire des réformes «structurelles» sur le marché du travail, qui consistent à augmenter les incertitudes des travailleurs soumis à la flexibilité (vers le bas) de leurs rémunérations. Cela ne peut que péjorer la situation économique de l’Euroland, à travers une diminution des dépenses de consommation et, dès lors, des investissements privés, grevant alors davantage les finances publiques dans un cercle vicieux dramatique pour bien des ménages européens.

Pour sortir de sa propre crise, l’Euroland a besoin d’un changement en profondeur de la politique économique de matrice néolibérale. Il faut en l’occurrence profiter des taux d’intérêt historiquement bas pour financer un plan de relance du secteur industriel européen à travers la dépense publique des pays qui, comme l’Allemagne, ne sont pas sous le «joug» des marchés financiers mais dont les titres de la dette publique ont des rendements désormais négatifs.

Les domaines industriels dans lesquels le déficit d’investissement est évident, même en Allemagne, ne manquent pas: au-delà du domaine des transports (privés et publics), il suffit de penser à l’ensemble des investissements nécessaires pour assurer le développement durable des activités économiques. Ce véritable «Green New Deal» peut être également un élément important afin de fédérer les peuples d’Europe autour d’un projet véritablement pan-européen, qui obligerait les Etats-nations à se coordonner afin d’assurer l’interopérabilité des systèmes à l’échelle du Vieux continent.

On l’aura compris, le déficit le plus important à éliminer, en l’état, n’est pas celui des finances publiques, mais le déficit d’idées permettant de réaliser le projet des pères fondateurs de la Communauté européenne.

Deux poids, deux mesures et un risque systémique

Les discussions tragi-comiques entre la Grèce et ses créanciers réunis dans le Groupe de Bruxelles (le nouveau nom politiquement correct de la Troïka) ont montré, une fois de plus, l’utilisation de deux poids, deux mesures lors du traitement des débiteurs, privés ou publics, en grande difficulté financière suite à la crise de l’Euroland.

Alors que les banques problématiques dans la zone euro ont reçu plus de mille milliards d’euros à cheval des années 2011 et 2012 et sans la moindre condition par la Banque centrale européenne, celle-ci n’arrête pas, avec les autres membres du Groupe de Bruxelles, d’exiger que le gouvernement d’Athènes rembourse jusqu’au dernier euro l’encours de sa dette dont tout le monde sait qu’elle est inexigible à 100 pour cent. Il faudrait en effet bien des dizaines d’années de croissance économique en Grèce avant que son gouvernement puisse réunir les sommes dont il a besoin pour satisfaire ses créanciers étrangers, alors que les plans d’austérité draconienne ont aggravé le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut de la Grèce.

Par ailleurs, l’assouplissement monétaire entamé le mois passé par M. Draghi va enfler une nouvelle bulle du crédit privé car les banques qui, au sein de l’Union bancaire, doivent augmenter leur rentabilité afin que les actionnaires contribuent à les recapitaliser, vont prendre davantage de risques en octroyant généreusement des crédits aux activités qui (à première vue) sont censées dégager des rendements élevés.

Au lieu d’être faible avec les forts et fort avec les faibles, il faudrait que le Groupe de Bruxelles s’occupe et se préoccupe du risque systémique que l’assouplissement monétaire européen va engendrer à l’échelle de l’ensemble du continent et qui affectera également la Suisse à moyen–long terme.