Faut-il imposer les successions?

Le 14 juin prochain le peuple suisse fera part de son vote sur l’initiative populaire fédérale «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Réforme de la fiscalité successorale)». Ce sujet a gagné en importance suite à l’augmentation des inégalités de richesse en Suisse et ailleurs, comme l’a révélée au grand public le “best seller” de Thomas Piketty. Ces inégalités, ainsi que celles de revenu, sont l’un des facteurs majeurs à l’origine de l’énorme bulle du crédit qui a enflé de manière démesurée avant d’éclater, avec beaucoup de bruit, durant la première décennie de ce siècle dans le monde occidental.

Les arguments en faveur de cette initiative sont indiscutables au plan macroéconomique (entendez pour l’ensemble de la société). D’abord, cette initiative ne vise que les successions dépassant deux millions de francs. La majorité des successions ne sera donc pas touchée par cet impôt, que la Confédération va prélever si l’initiative emporte la double majorité des voix (peuple et Cantons). Il convient de remarquer à cet égard que, à présent, une partie non-négligeable des successions est imposée dans certains cantons, avec une franchise insignifiante si l’on considère celle de deux millions de francs prévue par les initiants dans l’ensemble de l’économie helvétique. L’attractivité fiscale de la Suisse, dès lors, ne sera pas affaiblie; elle pourrait au contraire augmenter en cas d’adoption de l’impôt sur les successions au niveau national.

En effet, la plupart des petites ou moyennes entreprises (PME) ne sont pas visées par cette réforme de la fiscalité successorale car le texte de l’initiative prévoit des exonérations importantes, notamment afin de ne pas prétériter leurs activités si elles sont reprises pour au moins 10 ans par les héritiers ou les donataires. Les entreprises agricoles ne seront aucunement soumises à cet impôt, tandis que pour les autres PME les initiants ont prévu des réductions particulières, assez généreuses pour préserver la profitabilité de ces entreprises à long terme, considérant à cet égard les difficultés pour les entreprises familiales à organiser leur propre succession.

Aussi, les recettes fiscales récoltées suite à la réforme de l’impôt sur les successions vont-elles être versées, pour deux tiers, au Fonds de compensation de l’Assurance vieillesse et survivants (AVS), et pour le tiers restant aux Cantons suisses. Cela permettra d’étoffer les budgets cantonaux – dont une partie importante sera amputée de beaucoup de recettes fiscales suite à la Réforme III de la fiscalité des entreprises qui entrera en vigueur de manière graduelle dans quelques années – ainsi que de renflouer les caisses de l’AVS – dont la solidité est redoutable à long terme, compte tenu du vieillissement de la population résidante et de l’impossibilité de continuer à augmenter la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour financer les futures retraites.

Par ailleurs, comme l’ont déclaré à la presse Warren Buffett, Bill Gates et une poignée d’autres personnes dont le patrimoine est très élevé, la transmission de la richesse entre les générations n’a rien à voir avec le mérite des héritiers et peut même induire ceux-ci à la paresse, nuisant au développement personnel et social. Une certaine redistribution des richesses ainsi accumulées – au-delà d’un seuil raisonnable, comme celui indiqué par l’initiative soumise au vote le 14 juin – stimule donc le développement de la société, contribuant à renforcer la légitimité de la méritocratie et la cohésion sociale dont l’économie a besoin pour être durable selon les principes de l’éthique sociale et la justice distributive.

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.