Les investissements “verts” font du bien à la finance de marché

Les acteurs sur les marchés financiers considèrent en général que les investissements dans les activités favorables à l’environnement sont moins rentables que ceux dans les énergies polluantes – produites en utilisant du charbon ou du pétrole. Cela explique en grande partie le retard accumulé pour effectuer le virage énergétique nécessaire afin d’éviter une catastrophe environnementale sur le plan mondial dans les prochaines décennies.

En réalité, comme plusieurs études scientifiques l’ont montré récemment, les investissements dans les activités économiques favorables à l’environnement ont des rendements qui dépassent les rendements moyens des entreprises liées aux énergies non-renouvelables (comme le charbon et le pétrole). Les sociétés financières visant la maximisation du rendement de leurs investissements devraient dès lors investir leurs avoirs dans des activités économiques qui se caractérisent par leur impact positif sur l’environnement, associant ainsi la rentabilité financière à la soutenabilité environnementale à long terme.

Cela réduirait également l’instabilité financière de l’ensemble du système économique, parce que le secteur financier serait moins exposé à une crise engendrée par la chute du prix des actions des entreprises liées aux énergies non-renouvelables, lorsque les pays signataires de l’Accord de Paris mettront en œuvre les mesures nécessaires pour éviter des changements climatiques dangereux pour la population mondiale.

D’ailleurs, un nombre croissant de banques centrales – parmi lesquelles n’apparaît pas (encore) la Banque nationale suisse – sont en train d’adopter des mesures contribuant à la stabilité financière de l’économie nationale par des investissements favorables à l’environnement. Dans le cas de la Banque centrale européenne (BCE), par exemple, on étudie comment intégrer dans ses interventions les critères de soutenabilité environnementale des investissements, pour faire en sorte que le système financier soit capable de faire face à une crise majeure sur le plan économique. La BCE cherche aussi à intégrer les risques climatiques dans ses propres choix de politique monétaire, utilisant pour ce faire les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance qui définissent les investissements soutenables aussi bien dans le temps que dans l’espace.

Les institutions financières de toute sorte, à commencer par les banques, devraient évaluer les risques climatiques et réorienter par conséquent leurs propres choix d’investissement, vu que les changements climatiques induisent des effets sur la rentabilité des entreprises ainsi que sur les prix de leurs titres en bourse. Les banques centrales, pour leur part, devront mener des analyses évaluant différents scénarios climatiques et effectuer des tests de résistance climatique pour les banques au sein de leur propre pays.

Sans cette contribution du secteur financier dans son ensemble, les changements climatiques auront des effets néfastes pour la santé de la population et de notre planète, qui est la seule dont nous disposons et que nous ne pouvons pas nous permettre de détruire.

Quelle politique monétaire pour la Suisse?

La politique des taux d’intérêt négatifs que la Banque nationale suisse (BNS) applique aux banques n’induit pas celles-ci à augmenter le volume des crédits octroyés aux entreprises, étant donné que ces dernières n’investissent pas de manière productive car elles n’arrivent pas à écouler toute leur production, suite à une demande insuffisante sur le marché des produits.

La BNS devrait donc changer de fusil d’épaule afin de soutenir réellement l’activité économique en Suisse. Elle pourrait par exemple rémunérer avec des intérêts (positifs) les dépôts que les banques ont chez elle suite aux crédits octroyés aux entreprises qui créent des places de travail correctement rémunérées ou qui investissent dans les technologies favorables à l’environnement. La BNS pourrait aussi récompenser les banques qui achètent des titres émis par des entreprises en Suisse plutôt que de spéculer sur les marchés financiers globalisés. La BNS devrait donner le bon exemple à cet égard, vu qu’une grande partie de son portefeuille de titres est formée par des actions et des obligations d’entreprises situées au-delà des frontières helvétiques.

De toute manière, la contribution majeure que la politique monétaire peut donner à l’ensemble de l’économie revient à financer les dépenses publiques excédentaires, achetant sur le marché primaire les obligations que l’État émet lorsque ses recettes fiscales ne suffisent pas pour assurer l’équilibre budgétaire. Pour la Suisse, comme pour bien d’autres pays, il faut changer le statut de la banque centrale mais surtout la mentalité de celles et ceux qui sont appelé.e.s à prendre des décisions de politique monétaire. Les banquiers centraux ont été habitués à croire que la politique budgétaire ne doit pas être soutenue par des interventions de politique monétaire afin d’augmenter la demande sur le marché des produits. Cette vision monétariste veut éviter l’augmentation des prix à la consommation, imaginant que cette augmentation est à l’origine d’une pression inflationniste lorsque la banque centrale crée trop de monnaie dans le système économique. Cependant, la BNS, comme les autres banques centrales, ignore l’inflation qui induit l’augmentation des prix sur les marchés immobiliers et/ou financiers, suite aux crédits octroyés par les banques spéculant sur ces marchés afin de faire augmenter de manière démesurée leurs profits et dès lors les dividendes de leurs actionnaires.

La politique monétaire devrait donc pénaliser les institutions bancaires qui augmentent l’instabilité financière du système économique, leur faisant payer une taxe, entendez des intérêts négatifs, sur les dépôts qu’elles détiennent à la banque centrale. Ainsi, la «taxe sur les dépôts bancaires» serait une incitation pour les banques à ne pas spéculer, au lieu d’amener celles-ci à spéculer davantage pour faire augmenter leurs rendements, comme c’est le cas à présent en Suisse.

Le travail précaire fait vieillir la population

Un rapport scientifique publié récemment en Irlande fait remarquer que les hommes et les femmes qui ont un travail précaire mènent une vie précaire car ils (elles) se privent de biens et services de première nécessité, comme la nourriture, le logement, la formation et les soins personnels. Les travaux précaires sont en effet peu rémunérés et ont un horizon temporel de court terme. Les personnes qui ont un travail précaire vivent ainsi une situation de fragilité financière et doivent faire très attention à combien elles dépensent chaque jour.

Il n’est pas nécessaire d’être un économiste pour comprendre que le travail précaire freine les dépenses de consommation et réduit dès lors le taux de croissance économique, diminuant en fin de compte aussi les profits de bien des entreprises ainsi que les ressources fiscales du secteur public. La qualité de vie individuelle et collective en pâtit, contribuant à engendrer de l’insécurité, des rancunes, de l’instabilité politique et des tensions sociales – comme on peut l’observer actuellement en Europe et ailleurs.

La qualité de vie des personnes ayant un travail précaire est évidemment inférieure au niveau de vie que ces personnes pourraient avoir si leurs conditions de travail étaient correctes, entendez suffisamment rémunérées et avec un contrat à durée indéterminée. Cette remarque a été faite par beaucoup d’économistes qui ont critiqué la pensée dominante durant les vingt dernières années. Ce dont personne ne parle concerne l’impact du travail précaire sur l’évolution démographique.

Une personne qui travaille de manière précaire hésitera longtemps avant de décider d’avoir des enfants, pour une raison financière évidente, et bien des familles de travailleurs précaires ne voudront pas avoir plus d’un enfant, parce que leur capacité d’achat ne leur permet pas d’avoir une descendance plus nombreuse.

Vu le nombre croissant de travailleurs précaires, surtout de genre féminin, il est facile de comprendre que cette précarité se trouve à l’origine du vieillissement de la population de nombreux pays européens. Le Vieux continent est en train de devenir un continent de vieux car les jeunes ont toujours plus de difficulté à trouver une place de travail correctement rémunérée et avec un contrat les rassurant sur la possibilité financière d’avoir des enfants et de s’en occuper de manière adéquate pour bien des années.

La politique économique pourrait facilement contribuer à rétablir la forme originale de la pyramide démographique dont la base élargie permettrait également de financer les assurances sociales qui se basent sur le principe de la répartition (comme l’AVS), sans peser sur les dépenses de consommation ou spéculer sur les marchés financiers (comme le font désormais les caisses de pension) pour chercher des rendements aussi bien volatils qu’éphémères.

Où mènent quatre années de taux négatifs?

Quatre années se sont écoulées depuis que la Banque nationale suisse (Bns) a introduit un taux d’intérêt négatif sur une partie des dépôts bancaires auprès d’elle. L’introduction de cette «taxe» sur les dépôts était censée remplacer le seuil de change minimum du franc par rapport à l’euro, afin de réduire la surévaluation du franc suisse sur le marché des devises.

Après quatre années de taux d’intérêt négatifs, il est possible de tirer quelques conclusions de cette politique monétaire «non-conventionnelle» en Suisse.

D’un côté, comme Thomas Jordan l’avait affirmé en 2016, «sans le taux d’intérêt négatif, le franc se serait apprécié encore davantage, la croissance [économique] aurait chuté, le renchérissement aurait été encore plus bas, et le chômage aurait augmenté». Cependant, il n’est pas correct d’affirmer, comme l’avait fait Jordan, que «les lois économiques ne changent pas fondamentalement lorsque les taux [d’intérêt] deviennent négatifs». La pensée dominante prétend en effet que les entreprises augmentent leurs dépenses d’investissement pour produire davantage chaque fois que les taux d’intérêt diminuent – sans tenir compte de l’évolution conjoncturelle.

En fait, comme Keynes l’observa déjà de son temps, les entreprises n’investissent pas davantage si les perspectives de vente ne sont pas encourageantes pour accroître le niveau de production. Cela signifie qu’il n’est pas suffisant (voire qu’il n’est pas nécessaire) de réduire les taux d’intérêt de la politique monétaire pour induire les entreprises à investir davantage dans le système économique.

De l’autre côté, l’introduction de taux d’intérêt négatifs incite les banques à prendre davantage de risques sur le marché immobilier, octroyant plus facilement des crédits hypothécaires aux débiteurs privés et institutionnels qui veulent avoir accès à la propriété de leur logement ou gagner des rentes suite à la location de leurs immeubles. Cette bulle du crédit induit une surchauffe des prix immobiliers qui peut créer les conditions pour l’éclatement d’une crise immobilière et bancaire.

Il est vrai que la Bns a amené le Conseil fédéral à introduire (en février 2013) et ensuite à augmenter (en janvier 2014) le «volant anticyclique de fonds propres» que les banques doivent avoir par rapport aux crédits hypothécaires octroyés sur le marché immobilier résidentiel en Suisse. Toutefois, ce volant n’empêche pas les banques de continuer à enfler le volume des crédits hypothécaires ni les aidera pour éviter des situations d’insolvabilité si une crise bancaire éclate au plan national. Son application est en réalité tardive et sa portée trop faible pour empêcher une telle crise.

Celles et ceux qui pensent que la plus grande dotation de fonds propres des banques et le durcissement des règles pour les banques dont l’importance est systémique pourront éviter une autre crise similaire à celle éclatée en 2008 au plan global devront se rendre à l’évidence dans quelques années, si la stratégie de politique monétaire ne va pas changer de manière radicale afin de soutenir vraiment les entreprises et les ménages en Suisse.

La Suisse a dix années de retard

Les politicien.ne.s et les économistes helvétiques répètent souvent que la Suisse se situe au sommet des classements internationaux en ce qui concerne la compétitivité et l’attractivité pour les entreprises et les titulaires de très grosses fortunes.

Ce dont personne ne parle jamais est le fait que la Suisse a dix années de retard en ce qui concerne la dégradation du niveau de vie d’une partie importante de la population par rapport aux autres pays «avancés» sur le plan économique. Concrètement, cela signifie que dans une dizaine d’années la situation économique en Suisse sera similaire à celle que l’on peut observer actuellement dans les autres pays occidentaux qui ont été frappés par la crise économique éclatée il y a environ dix ans. En effet, le pourcentage des personnes qui font appel à l’aide sociale en Suisse est en train d’augmenter, surtout pour les personnes âgées de 50 à 64 ans. La part des bénéficiaires de l’aide sociale est de 3,3 pour cent en Suisse. Dans le cas de la France, par exemple, cette part est d’environ 30 pour cent. Il n’est dès lors pas difficile de comprendre la colère et la frustration des gilets jaunes qui en France se battent de manière cacophonique pour essayer d’améliorer leur niveau de vie.

Par rapport à ses voisins, qui ont adopté la monnaie unique européenne il y a vingt ans, la Suisse va mieux car elle garde sa propre souveraineté monétaire et dispose d’un secteur agricole encore protégé partiellement des effets négatifs de la concurrence internationale – qui ne se soucie aucunement de l’environnement et de la qualité des produits agricoles.

La politique économique de matrice néo-libérale adoptée en Suisse – ainsi que dans bien d’autres pays en Europe et dans le reste du monde – n’a pas encore induit les désordres sociaux que l’on peut observer au-delà des frontières helvétiques. Ce qui se passe dans ces autres pays «avancés» sur le plan économique devrait néanmoins faire réfléchir les politicien.ne.s et les institutions en Suisse, pour éviter que dans une décennie l’économie helvétique se trouve dans une situation similaire à celle de nombreux autres pays européens, surtout dans la zone euro.

Quelles prévisions économiques pour 2019?

Le début de l’année est caractérisé par une panoplie de prévisions économiques à l’échelle régionale, nationale et globale. Les plus sages savent que l’avenir est inconnaissable, a fortiori lorsque les variables à considérer sont très nombreuses et s’influencent de manière réciproque à travers une dynamique trop complexe pour être capturée correctement par des modèles mathématiques.

Pour avoir une idée de l’évolution économique en 2019, il suffirait d’observer la trajectoire suivie par l’économie durant l’année qui vient de se terminer. En particulier, les problèmes à l’égard de la croissance économique, du marché du travail, des finances publiques et de la répartition de la richesse, qui sont très clairement visibles en Suisse comme ailleurs, devraient induire davantage de réflexions et des analyses plus approfondies par les parties prenantes au plan macroéconomique, entendez les politiciens, les chefs d’entreprise et les institutions financières, sans oublier les économistes au niveau académique.

En général, ces sujets économiques se contentent de prévoir le taux de croissance du produit intérieur brut (PIB), le taux de chômage et le taux d’inflation mesuré à partir de l’évolution des prix à la consommation.

Il y a toutefois au moins trois grandes questions ignorées par les économistes qui s’inspirent de la pensée dominante. La première porte sur la contribution de la croissance du PIB pour le développement économique. Depuis les années Nonante du siècle passé, la croissance du PIB ne contribue plus au développement économique dans les pays «avancés». Elle est en fait devenue instrumentale pour enrichir les institutions financières, au détriment de la majorité de la population de ces pays. Durant la dernière décennie, la croissance économique dans ces pays n’a pas créé de manière proportionnelle des nouvelles places de travail. Si le nombre de ces places a augmenté, il faut aussi s’interroger sur les conditions de travail, y compris le niveau des salaires et la durée des contrats de travail.

Cette réflexion devrait soulever une deuxième question, en ce qui concerne la répartition du revenu et de la richesse dans les pays «avancés» sur le plan économique. On observe notamment l’absence d’effet de «ruissellement» vers la classe moyenne des politiques néo-libérales qui enrichissent de plus en plus les personnes nanties au détriment de la cohésion sociale et du développement économique.

La troisième question porte alors sur l’inflation: au lieu de se préoccuper que les prix des biens de consommation n’augmentent pas, malgré les politiques monétaires ultra-expansives de ces années, il faudrait se soucier de l’inflation qu’on peut observer sur les marchés financiers et immobiliers, où les prix augmentent bien au-delà des grandeurs «fondamentales» du système économique, avec le risque d’enfler une bulle du crédit qui pourrait éclater faisant alors des dégâts majeurs pour l’ensemble du système économique.

Comme le rappelle un vieil adage, «il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir». 2019 sera donc similaire à l’année qui vient de se terminer, vu que les décisions de politique économique sont de toute manière dictées par la pensée dominante.

L’euro est un facteur de crise systémique

L’introduction de l’euro remonte au 1er janvier 1999, lorsqu’il remplaça onze monnaies nationales (sous forme scripturale) au sein de l’Union européenne. La zone euro a ensuite été élargie et comporte de nos jours 19 pays membres.

L’adoption de l’euro reflète les modalités de fonctionnement anti-démocratique de l’Union européenne. Les décisions sont imposées par le haut, sans rien demander au peuple, qui a perdu dès lors sa propre souveraineté.

La crise systémique éclatée à la fin de 2009 dans la zone euro est, en dernière analyse, une crise induite par la construction européenne, qui favorise les grandes entreprises transnationales et les institutions financières d’ordre systémique au détriment de l’ensemble de l’économie et de la société – créant ainsi bien des sentiments anti-européens au sein de la population du Vieux continent.

L’abandon de la souveraineté monétaire nationale, centralisée à Francfort (où se trouve la Banque centrale européenne), et les fortes contraintes à respecter par les politiques budgétaires des pays membres de l’Euroland, ont transformé l’euro en une camisole de force, qui est en train d’étrangler les économies nationales obligées à réduire les dépenses publiques même si la situation économique aurait besoin en réalité du contraire.

Il n’est dès lors pas étonnant que, vingt années après l’adoption de l’euro et une décennie de crise, les mouvements souverainistes resurgissent en Europe et notamment en Italie et en Allemagne – ce qui montre le fait que même la population allemande souffre des conséquences négatives de la politique économique néolibérale en vogue à travers la zone euro.

Certes, même sans l’euro les pays membres de l’Euroland suivraient la même politique économique. Néanmoins, si ces pays avaient encore leurs propres monnaies nationales, ils pourraient faire en sorte de soutenir leurs systèmes économiques.

Leur souveraineté monétaire leur permettrait d’associer les dépenses publiques à la politique monétaire de leur banque centrale nationale, adoptant un «policy mix» ayant la finalité d’assurer le plein emploi. Si le secteur public était libéré de la contrainte de l’équilibre budgétaire, il pourrait faire en sorte d’offrir une place de travail correctement rétribuée à toute personne voulant et pouvant travailler. Cela induirait les entreprises privées à verser des salaires équivalant (voire plus élevés) à ceux versés dans la fonction publique. Tout cela soutiendrait les activités économiques, avec des retombées positives aussi bien pour l’État que pour l’ensemble de la société. La cohésion sociale et le développement économique en bénéficieraient grandement.

Les cinq étapes de la guerre (in)civile en économie

La crise financière globale éclatée en 2008 au plan mondial a mis en échec la pensée dominante, montrant bien des faillites du “libre marché” et des politiques économiques néolibérales. Or, contrairement au passé (lorsque l’échec d’une théorie économique comportait son remplacement par une autre théorie, permettant de mieux comprendre et résoudre les problèmes contemporains), de nos jours la pensée économique dominante reste celle qui a induit la crise en 2008 et qui continue à prétendre la résoudre avec la même approche qui en est à l’origine.

Les tenants de cette pensée dominante ont d’ailleurs entamé une sorte de guerre (in)civile contre la minorité des économistes qui critiquent cette pensée sur le plan conceptuel ou méthodologique – au-delà des choix de politique économique. Cette guerre comporte cinq étapes similaires à celles que les psychologues ont identifiées lors d’un deuil, à savoir, le refus, la rage, la peur, la négociation et l’acceptation. Dans l’analyse économique, ces cinq étapes sont le refus, la rage, la peur, la négation et la prétention que la pensée dominante soit correcte.

La première étape se résume dans le fait de refuser de reconnaître qu’une crise existe ou peut éclater sous peu. Un exemple de cela est représenté par les affirmations faites par le Président de la banque centrale américaine lorsque la crise des «subprime» était proche d’éclater à la fin de 2006.

La deuxième étape consiste à faire preuve d’une grande rage par les économistes de la pensée dominante envers celles et ceux qui osent critiquer cette pensée, en montrant ses erreurs fondamentales qui en invalident toute analyse. Par exemple, lorsque la Reine Elisabeth II du Royaume-Uni observa que les économistes britanniques n’ont pas vu venir la crise financière globale éclatée en 2008, elle fut l’objet de critiques farouches par les économistes orthodoxes.

La troisième étape est celle de la peur: les économistes orthodoxes affirment que leur théorie est correcte, même si les modèles qu’ils utilisent ne sont pas «parfaits» sur le plan méthodologique. La crise serait dès lors le résultat du comportement des institutions financières et de leurs «top managers» dont l’avidité a fait enfler une bulle du crédit qui a fini par éclater, donnant lieu à une «tempête parfaite» sur les marchés du monde entier.

Les deux dernières étapes, à savoir, la négation et la prétention que la pensée dominante n’a pas d’erreur fondamentale, cherchent uniquement à en préserver la position de domination absolue dans les centres du pouvoir (académique et politique).

En dernière analyse, la pensée économique dominante va devoir être abandonnée et ses disciples devraient le reconnaître sur le plan scientifique. Autrement, la crise sera pérenne comme la guerre entre les économistes.

Baisser les impôts pour les entreprises nuit à l’économie

Dans bien des cantons latins, le gouvernement veut réduire la charge fiscale des entreprises, parce que cela est censé induire celles-ci à investir davantage dans leurs activités de production, de telle manière à créer des places de travail pour la population résidente. En fin de compte, le secteur public obtiendrait davantage de recettes fiscales et pourrait ainsi compenser les recettes fiscales qu’il n’a pas obtenues suite à la baisse des barèmes d’impôts sur le bénéfice des entreprises.

Cette vision idéologique ne sera pas confirmée par la réalité des faits. Les entreprises qui paieront moins d’impôts auront davantage d’argent pour verser des dividendes à leurs actionnaires et pour faire des placements financiers. Dans ces deux cas de figure, il n’y aura aucune retombée positive pour l’économie cantonale dans son ensemble. Les actionnaires sont très souvent des personnes nanties, qui n’augmentent pas leurs dépenses dans l’économie cantonale lorsqu’ils gagnent davantage. Cet argent est placé sur les marchés financiers, faisant augmenter le prix des titres sans aucun fondement dans les activités de production des entreprises sous-jacentes.

Aussi, les bénéfices des entreprises qui sont placés sur les marchés financiers n’induiront-ils aucun effet positif dans l’économie cantonale, vu le caractère autoréférentiel de la finance de marché, qui est globalisée et détachée de l’économie réelle. Les entreprises évitent d’augmenter leur capacité de production, lorsqu’elles observent (à l’instar de ces dernières années) qu’elles ont de la peine à écouler toute leur production courante. Les «managers» préfèrent placer les profits sur les marchés financiers, augmentant ainsi les bénéfices des entreprises au lieu de le faire grâce à des investissements dans le processus de production.

Somme toute, la baisse des barèmes d’impôt sur le bénéfice des entreprises nuit à l’ensemble de l’économie, parce qu’elle amène l’État à réduire les dépenses publiques dont bénéficient tant les ménages que les entreprises, suite à la diminution des recettes fiscales que ladite baisse entraîne à long terme.

Digitalisation, salaires et emploi: la prochaine crise économique est programmée

Selon une étude publiée ce mois-ci par McKinsey, la digitalisation de l’économie suisse induira la suppression nette de quelque 200’000 places de travail, surtout dans le commerce de détail, le secteur industriel et les activités financières. Certes, il ne s’agit pas de la première étude qui aboutit à des conclusions pessimistes en ce qui concerne l’évolution du niveau d’emploi suite à la «quatrième révolution industrielle» dont la vitesse augmente de plus en plus dans l’économie globale. L’aspect intéressant dans l’étude de McKinsey est la remarque que les nouvelles places de travail créées grâce à la digitalisation des activités économiques pourront être occupées par des personnes ayant des compétences différentes de celles que l’on acquiert en général durant sa propre formation (scolaire, professionnelle ou académique). Il faudra en fait avoir des capacités émotionnelles et d’analyse critique, ainsi qu’une créativité éprouvée même là où (dans le secteur des services) la dimension physique du produit est absente.

Il s’agit indubitablement du défi majeur auquel doivent faire face les écoles de toute sorte ainsi que les institutions académiques en Suisse et dans le reste du monde. La globalisation pousse les entreprises à produire là où le coût unitaire du travail est le plus faible, exerçant de ce fait une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs moyennement qualifiés ou qui ont un niveau élevé de qualifications mais dans des branches d’activités ayant un taux de chômage élevé.

L’affirmation que les travailleurs très qualifiés pourront recevoir des salaires plus élevés grâce à l’augmentation de la productivité induite par la digitalisation s’avérera rapidement une illusion: la financiarisation des activités économiques est telle que ce seront les profits, au lieu des salaires, à augmenter suite à l’automatisation de la production et au développement de l’intelligence artificielle, surtout dans le secteur des services. Les seuls salaires qui pourront augmenter – même s’il n’y a aucun lien avec la méritocratie – vont être ceux des «managers», notamment dans les grandes entreprises transnationales.

Nul besoin d’être un économiste hétérodoxe pour comprendre que l’augmentation de ces salaires, ainsi que celle des profits, nuira à la croissance économique et, par là, au niveau d’emploi. Les personnes qui gagnent des salaires très élevés ont une propension à consommer plus faible que celle de la classe moyenne – qui est le vrai moteur de l’économie. La plupart de ces salaires sera en fait placée sur les marchés financiers, sans aucune retombée positive dans l’économie réelle. Même les bénéfices des entreprises sont en grande partie placés sur ces marchés, vu que la demande sur le marché des biens et services est insuffisante pour absorber toute la production, suite à la polarisation de la répartition des revenus vers le haut de la pyramide sociale et sans aucun effet de ruissellement vers la classe moyenne. La «quatrième révolution industrielle» péjorera davantage cette situation.

La prochaine crise économique est dès lors programmée, mais ce ne sera pas un ordinateur à pouvoir la résoudre.