Le Suisse, un macho (mais ce n’est pas entièrement de sa faute)

Mes amies étrangères de toute provenance (Italie, Espagne, États-Unis, Colombie, Brésil), dont quelques-unes cadres « expats » de haut niveau dans des organisations ou des entreprises multinationales dont le siège fiscal se trouve opportunément sur notre territoire, me font toutes remarquer qu’elles sont surprises à la fois par le niveau de rustrerie ambiante, par le manque de femmes suisses à des niveaux de direction et par ce qu’elles pensent être le manque d’ambition de la femme suisse en général.

C’est sûr, on n’associe pas nécessairement le mot « macho » – qui fait naître des visions de latin lover poilu, dépoitraillé, avec gros colliers en or d’où pend, entre autre une Vierge éplorée (cadeau de La Madre) et, peut-être, une dent de requin ou tout autre talisman lié à la virilité – avec le Suisse moyen plutôt discret, réservé, voire pudibond dans sa mise et son comportement, même si la chevalière n’a pas complètement disparu de nos contrées et même si la bague tête-de-mort ou tout autre joyau rock, avec ou sans tatouage(s) assorti(s), est très tendance, comme on dit dans les grands magasins.

LA SUISSE, PAYS MARTIAL

Mais on n’associe pas non plus notre pays, officiellement neutre (depuis 1515 proclament les nationalistes, depuis 1848 corrigent les réalistes) à une nation martiale, malgré une longue tradition militaire mâle qui, si elle est née d’une nécessité absolue – cette neutralité imposée par les pays environnants puis revendiquée par orgueil, il a bien fallu la défendre –, a profondément imprégné le pays et les mentalités, et notre système de milice, avec ses soldats à vie (recrues, soldats, gradés, réservistes), n’arrange pas les choses.

Rappelons qu’il n’y a pas si longtemps, un homme qui n’avait pas fait son service militaire obligatoire était un raté, et que, jusqu’à aujourd’hui encore, une carrière militaire – sous-entendu : où l’on apprend à diriger et à dominer, quelles que soient les autres compétences – assurait à coup sûr un siège très rémunérateur dans les instances dirigeantes, en politique ou à la tête des plus grandes entreprises ou des plus prestigieux conseils d’administration (souvent, les trois à la fois).

LE TREILLIS, UNE GROSSE BARRIÈRE

C’est à se demander si, en Suisse, le fameux « plafond de verre », si difficile à dépasser pour les femmes, n’est pas composé, en grande partie, de treillis militaire, un machisme  inconscient, profond et historique, une sorte de Surmoi national, dans lequel ont pataugé, bon gré mal gré, les hommes comme les femmes, ce qui expliquerait pourquoi plusieurs changements de générations n’arrivent pas à faire évoluer la situation aussi vite qu’on le voudrait.

Sans parler d’égalité – un terme qui porte à confusion et qui touche des domaines très controversés, tant du côté des femmes que des hommes –, mais d’équité pour tous les citoyen(ne)s, quels que soient leur genre et leur sexe, on a beau se dire qu’on est dans une des démocraties les plus représentatives du monde, dans tous les sens du terme, et une des plus prospères malgré des disparités criantes, notamment du côté des femmes, on ne peut s’empêcher de remarquer que côté salaires, en particulier, l’équité n’est encore pas appliquée, et que côté mentalité, ça bouge lentement, très lentement.

LA CONSTITUTION, TOUJOURS LA CONSTITUTION…

Rappelons une fois encore que notre Constitution – on se demande bien à quoi elle sert, j’en ai parlé dans un article précédent (Pauvreté en Suisse, aide sociale, crise du logement: et la Constitution, bordel?) –  stipule dans son Article 8 que « Tous les êtres humains sont égaux devant la loi », et ça vaut donc autant pour les citoyens que pour les citoyennes, et que « Nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique », et, je souligne, que « L’homme et la femme sont égaux en droit. La loi pourvoit à l’égalité de droit et de fait, en particulier dans les domaines de la famille, de la formation et du travail. L’homme et la femme ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale. »

Vous avez dit démocratie ?

P.S.

J’aimerais aussi rappeler qu’être féministe n’est pas réservé aux femmes, et que chaque homme est concerné, qu’il ait fait ou pas son service militaire : rien d’abstrait, rien d’idéaliste, ce sont les droits de la mère, de la soeur, de l’amie, de la petite amie, de l’épouse et de toutes les femmes de la famille étendue dont il est question.

De même, j’aimerais lancer un appel aux dirigeants des différentes entités, privées ou publiques, et aux responsables des différents Départements des Ressources Humaines : il y a un travail de première urgence à effectuer dans chaque organisation et dans chaque entreprise au sujet de la politique salariale, et notamment remettre à plat  toute la grille salariale afin d’appliquer la règle « À travail égal, salaire égal » pour que les disparités, dans ce domaine-là, au moins, ne soient plus qu’un mauvais souvenir.

VIVE LES MEUFS!

Je signale aussi, pour les hommes comme pour les femmes, que la série MEUFS, de la réalisatrice Josépha Raphard, est absolument passionnante, qui traite de l’évolution de la condition féminine en rapport avec l’évolution de la condition masculine.

C’est comme si, en tant qu’homme, on discutait avec sa meilleure amie de choses très personnelles qu’elle ne nous avait jamais vraiment confié avec autant de sincérité.

D’une certaine manière, cette série web prend brillamment le relais du travail vidéo et féministe accompli par la grande documentariste suisse Carole Roussopoulos, à qui j’ai rendu hommage dans plusieurs articles précédents (Valaisanne, de gauche et féministe: Carole Roussopoulos ou la vidéo militante1969, année érotique (mais pas pour tout le monde) et Féminisme sixties vs Féminisme Post-Millenial)