Le Pritzker : on en parle (4)

En mars 2015, à quelques jours de l’annonce attendue par la profession, je prophétisais que David Chipperfield serait le prochain prix Priztker (1). Au jeu des pronostics, je ne suis donc pas le plus fiable, car il aura fallu attendre encore huit années avant que le citoyen britannique n’obtienne cette récompense. A ce jour, elle me semble toujours justifiée pour la très grande qualité de l’ensemble de son œuvre. Entre temps il aura eu le temps de poser quelques jalons de plus dans son parcours à plus d’un titre remarquable : à Zurich, l’extension du Kunstmuseum (2008-2020), à Venise, l’intervention subtile sur les Procuratie Vecchie (2017–2022), à Paris l’ensemble Morland (2015-2022) ou à Berlin, la restauration de la « Neue Nationalgalerie » de Ludwig Mies van der Rohe (1963-1968 pour l’original, 2012-2021 pour l’intervention). Anobli par la reine en 2010, le désormais Sir Chipperfield embrasse programmes complexes et paysages urbains sur quatre continents avec la même précision dans son approche du contexte bâti et du détail constructif.

Cité Morland, Paris ©phmeier

Alors pourquoi maintenant, pourquoi lui et pas un autre ? C’est un peu toujours la même lancinante question qui revient quand on aborde le sujet délicat des prix ou distinctions liés à l’architecture, et à l’art en général. Untel aurait dû recevoir le Goncourt, unetelle aurait mérité un Oscar, celui-ci un Molière, celle-ci un Grammy Award. Obtenir un Pritzker pour un·e architecte est soit l’accomplissement d’une carrière, soit la validation d’une œuvre en cours de développement. Les premiers lauréats appartiennent à la première catégorie, avec des grands maîtres comme Luis Barragán, Kenzo Tange ou Oscar Niemeyer qui arrivaient au crépuscule de leur vie. Autour des années 2000, un changement s’opère avec des récompenses attribuées à des architectes plus « jeunes » comme Christian de Portzamparc, Jacques Herzog et Pierre de Meuron ou Sanaa qui avoisinaient tous la cinquantaine au moment de leur nomination.

Les choix du comité de sélection de la Fondation Hyatt ne se décodent pas toujours facilement : en 2015 Frei Otto n’a pas l’occasion de recevoir sa récompense, le créateur allemand des structures en toiles tendues nous quitte à l’aube de son nonantième anniversaire ; celui qui lui succède, le chilien Alejandro Aravena devient le plus jeune lauréat, alors qu’il avait siégé dans le jury des cinq précédentes éditions. Les quatre précédents récipiendaires de ce que l’on surnomme le Nobel de l’architecture viennent d’horizons aussi différents que leur conception du bâti : en 2019, c’est Arata Isosaki, 88 ans qui reçoit la récompense suprême pour l’ensemble de son travail ; l’année suivante les femmes sont à l’honneur avec la consécration des irlandaises Yvonne Farrell (1951) and Shelley McNamara (1952) ; en 2021, c’est au tour du couple français Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal de voir leur approche très fine sur l’existant s’inscrire dans le prestigieux palmarès (2) ; l’année passée, il y a enfin un représentant du continent africain, en la personne de Francis Kéré, qui voit son nom passer à la postérité sur la désormais longue liste du prix Pritzker. Cet éclectisme manifeste est donc la marque d’une adéquation avec cette diversité qui nous entoure et nous enrichit – ce que d’autres, en d’autre temps, ont justement appelé la « dissémination des langages » (3) – qui fait le ciment des choix proposés chaque année au printemps.

 

PS : En ce 23 juin 2023, le présent texte boucle, jour pour jour (4), neuf années de publication sur les plateformes de l’hebdo.ch, puis letemps.ch, le journal ayant décrété la suppression de cette prise de parole de manière unilatérale à compter du 30 juin 2023. Malgré cette résolution un peu abrupte, je les remercie de m’avoir accueilli pendant toute cette période.

Près de 80 articles plus tard, je me dois donc de prendre congé de ce médium malgré votre intérêt pour le monde de l’environnement bâti. J’ai pris la décision de continuer l’aventure « textuel » sur ma propre page architextuel.ch. Je ne peux que vous inviter à m’y suivre si vous avez pris plaisir à lire ces « architextes », à vous abonner pour être informés des prochaines publications.

+ d’infos

1) https://blogs.letemps.ch/philippe-meier/2015/03/20/le-pritzker-on-en-parle-2/

2) https://blogs.letemps.ch/philippe-meier/2021/06/27/le-pritzker-on-en-parle-3/

3) Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, édition de Minuit, Paris, 1979.

4) https://blogs.letemps.ch/philippe-meier/2014/06/23/eduardo-et-la-crise-europeenne/

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.