Les années 1980 à Genève (3)

En cet hiver 2022-2023, je revisite le patrimoine bâti genevois des années 1980 en collaboration avec la revue Interface. Grâce au relevé photographique de Paola Corsini, un petit retour dans le temps permet de prendre conscience de ce court moment charnière pour l’architecture du XXe siècle où l’histoire vient questionner la modernité qui s’achève.

L’église de la Sainte-Trinité s’inscrit dans une vaste opération foncière qui requalifie un îlot définit par les rues de Lausanne, du Valais, Ferrier et Rothschild. Le lieu ne commence à s’urbaniser qu’autour de la période de la première guerre mondiale avec tout d’abord la présence de petites bâtisses non contiguës. Avant celles-ci ce n’était que champs et terres sans affectations. Paradoxalement la rue de Lausanne, une des plus anciennes traces de voiries reliant le centre de la ville de Calvin à ses voisines d’une Suisse plus orientale, n’était bâtie à cet endroit que sur son côté sud. 

Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que l’architecte Ugo Brunoni se voit mandaté pour réaliser un ensemble urbain comprenant principalement des logements s’implantant autour d’une cour allongée. A l’angle nord de l’opération, s’implante un édifice cultuel sous la forme d’une sphère pure surmontée d’un cube et d’une verrière. Cette dernière est divisée en quatre prismes transparents indépendants recouverts de toits en verre à quatre pans. Au centre de ceux-ci s’érige la croix chrétienne en métal. Peu de concepteurs ont eu l’opportunité d’être confrontés à ce type de mandat qui touche à la religion. L’architecte annonce donc clairement ses références pour aborder le thème du sacré : le cercle, le carré, le chiffre « 4 », etc., des emprunts qui renvoient aussi aux formes platoniciennes. 

Eglise Sainte-Trinité, vue de la rue du Valais ©pcorsini

La sphère comme élément géométrique a rarement été utilisés dans l’histoire de l’architecture (1). Le premier exemple qui vient à l’esprit est celui du célèbre « Cénotaphe à Newton », projet non réalisé d’Etienne-Louis Boullée (1784) dont nous sont parvenus seulement trois dessins : une élévation et des coupes. L’objectif du grand architecte dit « révolutionnaire » était de concevoir un espace intérieur de forme sphérique absolue pour rendre hommage aux découvertes fondamentales de l’illustre savant anglais du 17ème siècle. Ce ce fait le volume de la sphère est enchâssé dans un socle qui permet l’accès de manière souterraine pour déboucher à la base de l’espace. Cependant, il est juste de rappeler que son confrère et contemporain Claude-Nicolas Ledoux avait dessiné quelques années auparavant le projet pour la maison des gardes agricoles du parc de Mauperthuis (1763-1767). Là encore une seule planche montrant l’objet sphérique, exprimé de manière complète et posé dans un environnement construit en creux, est archivée à Paris. On y décèle la volonté de trouver un accès dans le premier tiers du volume.

Le projet d’Ugo Brunoni se caractérise, à l’instar de celui de Ledoux, par une division de l’espace sphérique en deux parties distinctes : dans le socle une maison de paroisse et par dessus l’église à proprement parlé dans laquelle on accède depuis la cour couverte. Si cette coupe fait perdre un peu de l’imaginaire que l’on se fait d’une forme platonicienne aussi pure, elle a le mérite d’offrir un lieu de culte de grande qualité avec sa douce lumière zénithale. Très récemment rénovée, on constate que le choix d’une spatialité simple avec des revêtements de couleur presque blanche en ont renforcé la perception.

Eglise Sainte-Trinité, vue de l’intérieur ©pcorsini

On ne saurait conclure cette courte description sans évoquer le travail de la mise en forme du granit qui recouvre le volume en béton. Il s’agit d’une des premières expériences où le monde encore artisanal de la taille est associé à celui du numérique afin de polir en arrondi la roche naturelle dans les trois dimensions en usine avant la pose. En effet, chaque pierre est différente en fonction de la « latitude » qu’elle occupe sur la périphérie sphérique. Le travail a ainsi permis de rendre de manière très précise la volumétrie particulière de l’église.

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1) Dans l’architecture plus récente, on peut encore citer l’Atomium de Bruxelles, réalisé pour l’exposition universelle de 1958 par l’ingénieur André Waterkeyn. L’aménagement intérieur des 9 sphères a été confié aux architectes André et Jean Polak. Peu après, l’architecte américain Richard Buckminster Fuller conçoit une géode de 80 mètres de diamètre pour le pavillon des USA à Montréal lors de l’exposition universelle en 1967. On citera enfin la « Géode » d’Adrien Fainsilber et Gérard Chamayou, inaugurée en mai 1985 dans le cadre de la cité des Sciences et de l’Industrie du parc de la Vilette à Paris.

Adresse de l’église : rue Ferrier 16.

Architecte : Ugo Brunoni, 1987-1992.

Voir aussi, Interface 36, « Les années 1980 à Genève », décembre 2022, avec des textes de David Hiler, Sabine Nemec-Piguet, Philippe Meier et Patrick Chiché, ainsi qu’une interview de Jacques Gubler. 

> https://www.fai-ge.ch/_files/ugd/cba177_251367fab3ef4103b1c361abda063b59.pdf

 

Eglise Sainte-Trinité dans son environnement urbain ©pcorsini
Cénotaphe à Newton, coupe, Etienne-Louis Boullée (1784), source : wikipedia
Cénotaphe à Newton, coupe, Etienne-Louis Boullée (1784), source : wikipedia
Maison des gardes agricoles du parc de Mauperthuis, Claude-Nicolas Ledoux (1763-1767), source : wikipedia

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.

Une réponse à “Les années 1980 à Genève (3)

  1. Cher Monsieur,
    Nous nous sommes croisés certainement au long de ces années de partage avec mon cher Ugo et je voulais juste vous remercier pour la justesse de votre article sur la Sainte Trinité. Très bien documenté et aurait bien plus à Ugo. Très belles photos de l’œuvre et iconographie parfaitement choisie dont certaines trônaient sur le bureau du chef!
    Vous qui êtes architecte naval, je vous livre une anecdote: la construction de la charpente de l’Eglise a été vous l’imaginez une gageure, vous qui prenez si justement la peine de souligner dans votre article que le revêtement de granite était taillé arrondi, d’ailleurs sur site de la carrière, et livré sur le chantier déjà taillé, avec une marge d’erreur quasi insignifiante. La construction de cette charpente sphérique causait des migraines aux architectes et ingénieurs et savez vous qui a débloqué la situation en apportant un savoir faire ancestral?: de vieux ouvriers de Ambrosetti/Zchokke, EG, qui étaient charpentiers navals!
    Voilà j’espère vous avoir diverti et ne saurais terminer sans vous signaler l’existence de la Fondation UrBanités que j’ai récemment constitué pour abriter l’œuvre de Ugo, dont les droits d’auteur m’échoient désormais avec la responsabilité que je mesure de transmettre, recenser, conserver, et devenir surtout un lieu de discussion et de partage sur les Urbanités. J’en suis la Présidente et bien entendu à votre entière disposition si vous le souhaitez ou nécessitez quelques éléments que cela soit qui sont tous désormais recueillis dans les locaux provisoires de la Fondation (www.fondstionurbanites.ch). C’est un chantier gigantesque mais passionnant!
    Je vais abonner la Fondation à Interface et demander humblement d’obtenir un exemplaire de votre numéro de décembre 2022 qui contient plusieurs œuvres de Ugo compte tenu du sujet: les années ‘80, pour les archives de la Fondation.
    Encore un grand merci et au plaisir de vous rencontrer.
    Bien cordialement
    Diane Schasca-Brunoni

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