En cet hiver 2022-2023, je revisite le patrimoine bâti genevois des années 1980 en collaboration avec la revue Interface. Grâce au relevé photographique de Paola Corsini, un petit retour dans le temps permet de prendre conscience de ce court moment charnière pour l’architecture du XXe siècle où l’histoire vient questionner la modernité qui s’achève.
Au cœur d’un quartier résidentiel de Malagnou, l’école primaire Le Corbusier renoue avec la tradition ancestrale de l’école à cour. En effet, si la modernité avait privilégié des typologies scolaires de composition linéaire, agrégée ou pavillonnaire, le concept qui préside à l’implantation de cet établissement genevois s’appuie sur des intentions qui renvoient à la longue histoire de l’architecture. Lors de la première étape, une « barre pliée », à savoir un volume en « L », a été réalisée. L’architecte explique le choix de la forme urbaine par sa capacité à définir et terminer « les espaces assez ‘flous’ des barres existantes et [à répondre] aux besoins physiques, physiologiques et aux contraintes des nuisances du site » (1).
C’est cependant bien avec la deuxième étape de construction, qui comprend les locaux parascolaires et la salle de gymnastique, que la notion de cour prend tout son sens. Elle est aussi plus riche en terme de composition de plan et d’expression architecturale. D’une part en fermant les deux côtés du premier bâtiment et d’autre part en introduisant une cour intérieure à l’image d’un cloître. Il y a dans cette approche formelle, la mémoire d’une pensée philosophique qui remonte à l’Antiquité, celle du Lycée aristotélicien qui défend l’idée que l’apprentissage se fait dans un lieu clôt avec un portique. Pour l’auteur, il s’agit d’une « architecture ‘méditerranéenne’ ouverte au soleil et à la végétation où le langage des signes et registres architecturaux donne l’échelle d’un espace propre à la récréation » (1). Les préaux sont très minéraux, comme il sied à l’époque, la pierre naturelle recouvrant les sols des aménagements extérieurs.
Dans son écriture architecturale, cette école fait un large usage des citations historiques qui sont en vogue dans cette période dite postmoderne. Au rang de ces dernières on peut citer la colonnade de la cour supérieure, la fenêtre serlienne – célèbre dessin du théoricien de la Renaissance, Sebastiano Serlio (1475-1554), composée d’un arc plein cintre avec deux bas côtés plus étroits – qui se décline dans la cour basse, la petite tour en brique qui évoque des dessins d’Aldo Rossi ou la verrière empruntée à Mario Botta, dont l’auteur est un proche, mais réalisée avec encore plus de maniérisme que la célèbre référence. Enfin les détails de construction sont à relever dans leur précision très helvétique. Tout est dessiné, parfois sur-dessiné, avec une maîtrise de l’assemblage des matériaux – briques de terre cuite sur le pourtour extérieur et éléments de béton préfabriqué blanc dans les deux cours. L’état actuel de l’ensemble qui a plus de trente années démontre tout le savoir-faire d’Ugo Brunoni dont la formation de maçon dans son canton d’origine au sud des Alpes ressort ici de manière manifeste.
+ d’infos
1) AS Architecture suisse n° 76, février 1987, éditions Kraft, Lausanne, p. 5.
Adresse de l’école primaire : rue Le Corbusier 2-6.
Architectes : Ugo Brunoni, avec Imré Vasas (direction des travaux), 1981-1990.
Voir aussi, Interface 36, « Les années 1980 à Genève », décembre 2022, avec des textes de David Hiler, Sabine Nemec-Piguet, Philippe Meier et Patrick Chiché, ainsi qu’une interview de Jacques Gubler.
> https://www.fai-ge.ch/_files/ugd/cba177_251367fab3ef4103b1c361abda063b59.pdf
En re-parcourant le dossier final sur le thème très intéressant de l’architecture des années 80 à Genève, je tombe sur une coquille que je ne peux pas ne pas vous signaler dans la légende des photos du Dossier 8:
‘Ci-dessus : façade de l’immeuble commercial et locatif, angle de la rue de la Pélisserie 16-18 et de la rue Frank-Martin 8-10, 1975-1983, Joseph Farago et Janos Cerutti’
Les 2 prénoms ont été inversés: il s’agit de JANOS FARAGO et Joseph Cerutti
Merci de corriger.
Toujours autant d’élégance dans la description et de fidélité dans la transmission de la volonté de l’auteur. Merci pour cela et pour la qualité également de l’iconographie choisie.
Peut-être pourrais ajouter que l’architecture de cette école revient aussi aux enfants eux-mêmes, que Ugo avait interrogés et à qui il avait demandé de dessiner l’école qu’ils voulaient, la référence au château, tourelles et autre “cocon” revenant de manière récurrente dans leur dessin.
Et aussi la volonté de Ugo, par le traitement en briques de la façade sur la route de Malagnou, de souligner le mur comme une protection, à l’inverse des façades blanches et solaires du côté Cour.
Avec une cordiale impatience de la prochaine chronique.
Diane Schasca-Brunoni
Un grand merci de ce magnifique reportage!
Un pan de ma vie, puisque mes parents, ma soeur et moi-même avions déménagé du 6 chemin de Grange-Canal au 5, rue Le Corbusier…en 1979, au 8ème étage de ces beaux bâtiments flambants neufs!
Quelle chance et quel honneur également d’avoir pu suivre la construction de cette superbe école qui a vu bien des générations se succéder puisque c’est seulement il y a deux ans que nous avons dû la mort dans l’âme restituer l’appartement au décès de nos parents.
Enfin, pour anecdote, il y avait toujours une corneille qui venait se poser chaque jour au sommet de ce magnifique arbre séculaire sis entre l’immeuble et l’école, comme pour se rappeler de ce bon temps désormais révolu…