Le 13 mai dernier a été inaugurée la très belle restauration de la bibliothèque des Conservatoire et jardin botanique de Genève. A l’origine cette institution constituait la troisième étape d’une réalisation débutée à la fin des années soixante par l’architecte Jean-Marc Lamunière et ses associés. Par sa conception particulière le bâtiment « BOT 3 » interroge notre pensée contemporaine à plus d’un titre. Issu d’une période où l’architecte genevois réfléchit aux solutions pour sortir du carcan de la pensée moderne toute puissante – dont il fut à une époque l’habile dépositaire –, le projet s’inscrit dans une approche où la structure n’est plus un simple réseau de colonnes autour desquels le concepteur de la Modernité développait enveloppes et cloisons, les fameux « cinq points de l’architecture ». Ici l’expression d’une nouvelle forme de « vérité constructive » voit le jour. Les influences sont clairement générées par la pensée de l’architecte américain Louis I. Kahn que Lamunière côtoie durant ces années-là, mais pas seulement. Il émane de ce projet quelque chose de plus personnel, de plus intime, voire de plus sensible, qui inscrit cette bibliothèque au rang de ses œuvres remarquables et en phase avec son temps.
Ecrin métallique. A ce titre, l’ouvrage bénéficie d’un subtil dosage entre l’expression forte de la structure, matérialisée par des colonnes et des poutres « creuses », et la présence d’une façade abstraite et rythmée, entièrement composée en verre. Le métal y est omniprésent. Ce choix permet de mettre en forme « l’épaisseur » de ces éléments porteurs dans les trois dimensions. Son caractère modulaire très abouti ne verse cependant pas dans la métaphore de la machine ou de l’imitation du monde de l’industrie, comme ont pu le postuler à une certaine époque des théoriciens comme Le Corbusier. Ici une préciosité dans le dessin des pièces en acier confère à l’objet un sens qui le place en juste adéquation avec sa fonction : un réceptacle pour des livres anciens consacrés à la science botanique. Avec le recul que confère l’inexorable temps qui passe, on pourrait y voir une réponse architecturale poétique, où la fragilité des feuilles – des arbres ou de papier – se voit entourée par l’élégance des profilés métalliques laissant se diffuser de manière douce la lumière naturelle, elle aussi issue de la même source solaire qui chlorophyllise la création du monde végétal.
Sa rénovation a requis une attention de tous les instants pour ne pas dénaturer le principe très soigné des éléments assemblés les uns aux autres et pour ne pas introduire une carapace isolante que les contraintes thermiques du vingt-et-unième siècle exigent d’introduire de manière univoque dans tout le domaine bâti d’aujourd’hui, fusse-t-il patrimonial. Cette intervention talentueuse a aussi eu pour mérite de ne pas tomber dans le piège narcissique d’un auteur qui cherche à laisser sa trace par une ingérence intrusive. En effet, elle n’a fait que laisser son empreinte modeste et réfléchie, avec les instruments actuels, dans une fusion qui rend hommage autant à l’auteur d’origine qu’à celui d’aujourd’hui.
Un travail réussi qui fait souffler une agréable brise nostalgique apte à rafraîchir nos mémoires engourdies par la vacuité d’un trop-plein d’images dont les écrans en tous genres nous abreuvent quotidiennement.
+ d’infos
Architecte d’origine : Jean-Marc Lamunière, avec Rino Brodbeck, Alain Ritter, Jacques Roulet (1967-1973)
Architecte de la rénovation : Christian Dupraz (2013-2016)
PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch