L’architecture monumentale de nos rebuts (2)

Au début il y avait la nature. La grande forêt de Bremgartenwald qui bordait les collines du Nord bernois aux confins de l’Aar. Puis, dès le milieu des années soixante, il y eut le nouveau ruban de bitume de l’autoroute A1 qui permit de relier à plus grande vitesse la Romandie à la ville fédérale. La belle boisée fut scarifiée pour faire place nette au progrès. En ces temps, les décideurs ont considéré que les troncs centenaires pouvaient être sacrifiés sur l’autel de la mobilité à quatre roues. Près de cinquante ans plus tard, c’est un autre morceau de cette étendue verte que cent vingt-cinq mille mètres cubes de béton ont remplacé. Et là encore pour une bonne cause. Une de celles qui élèvent au rang de marqueur sociétal un des défis majeurs du vingt-et-unième siècle : la transformation de nos déchets.

Ici s’est échoué un vaisseau minéral de trois-cents mètres de long dont la cheminée culmine à soixante-cinq mètres au-dessus des coteaux. Sa massive silhouette est visible à travers le filtre des quelques rares arbres ayant survécu à la coupe nécessaire à la marche en avant de l’homme moderne. A la scansion verticale et aléatoire des colonnes ligneuses répond le module déterminé de la construction préfabriquée, composée de centaines de panneaux répétés en alternance, à l’intérieur de raidisseurs verticaux, dressés à la mémoire de l’ancien territoire naturel.

Ouverte au public. Lancé en 2005, le concours d’architecture pour la nouvelle infrastructure prévoyait dans son cahier des charges fonctionnel un parcours de visite pour le citoyen. Cette donnée programmatique a été majestueusement interprétée par les architectes lauréats sous la forme d’une immense galerie vitrée égrainant des vues ponctuelles sur les activités de la centrale à travers des « hublots ». Ce parcours rythme la disposition des différents postes de la transformation des consommables en fin de cycle. Toute la région bernoise est concernée. La ronde incessante des camions-bennes est là pour en témoigner. Le site dépasse par sa dimension hors norme celui de l’industrie locale dont il reprend néanmoins toutes les caractéristiques : structure à grande portée, ponts roulants, réseau de tuyauteries de toutes tailles, salle de contrôle, ou encore immenses pâles de turbines refroidissant l’air et tournant silencieusement au cœur de la sourde rumeur du lieu.

Cette « machine à énergie » permet d’alimenter en électricité un tiers de la ville de Berne et de la sortir des contrats qui la lie à des centrales atomiques. La réalisation fut à l’image des enjeux environnementaux engagés. Après plus d’une année de travaux de type traditionnel, c’est-à-dire une construction en béton coulé sur place qui a concerné la mise en œuvre des fondations et de deux étages hors sol, les entreprises ont observé une longue pose, plus d’une demi-année, permettant à la technique de s’installer sur cette plateforme gigantesque. Des équipements aux proportions évoquant les images futuristes du Metropolis de Fritz Lang furent assemblés sur cette table de béton, pour finalement être emballés par la résille préfabriquée.

De cette masse minérale ancrée le long de l’autoroute émerge la tour des cheminées dont l’ascension est rendue possible par un monte-charge public. Ce volume vertical, évoquant le beffroi des plaines du nord de l’Europe est coiffé d’un système d’éclairage qui rayonne sur le paysage nocturne. A l’origine cette lumière rouge devait filtrer à travers des toiles perforées ondulant au gré des brises. Métaphore d’un cœur battant au rythme d’une production perpétuelle, elle rappelle aux consommateurs effrénés de la région que pendant leur nécessaire sommeil réparateur, la machine veille. Elle ne devrait cependant pas nous dédouaner d’une prise de conscience quant à la pertinence de notre mode de vie dont elle tire sa genèse.

+ d’infos

Architectes : Graber Pulver AG, Bern-Zurich

www.http://graberpulver.ch/projects/energiezentrale-forsthaus/

http://www.ewb.ch

PS: ce blog a été publié la première fois sur la plateforme de l’hebdo.ch

Philippe Meier

Né à Genève, Philippe Meier est architecte, ancien architecte naval, enseignant, rédacteur et critique. Depuis plus de trente ans, il exerce sa profession à Genève comme indépendant, principalement au sein de l’agence meier + associés architectes. Actuellement professeur de théorie d’architecture à l’Hepia-Genève, il a également enseigné durant de nombreuses années à l’EPFL ainsi que dans plusieurs universités françaises. Ses travaux et ses écrits sont exposés ou publiés en Europe et en Asie.