Spiritualité et écologie : un impératif coranique ?

Autant le Coran et les Hadits en parlent beaucoup, autant les savants musulmans classiques parlent peu de l’écologie en Islam en ces termes contemporains. Cela est certainement dû à l’absence d’une nécessité particulière en termes d’écologie au moment des grands classiques et de l’âge d’or de la civilisation islamique à Bagdad ou en Andalousie. Et il est vrai que ces derniers siècles notre communauté n’est pas à l’hauteur de sa gloire au niveau de l’interprétation moderne de nos sources religieuses. Beaucoup de rattrapage reste à faire et l’écologie en est une des portes d’entrée fondamentales. Rien que l’herméneutique coranique nous expose immédiatement à la prise en considération de la nature, par exemple quand Dieu utilise le même terme pour révélation (Awhâ) concernant ses transmissions verbales aux Prophètes ainsi que pour celles aux abeilles pour leur enseigner la technique pour récolter leur nectar. Et c’est encore plus fort quand le même mot est utilisé pour désigner les versets du Coran (Âya) ainsi que pour les signes (Âya) qui, selon le Coran, se trouvent dans la création des cieux et de la terre, dans l’alternance de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue, dans l’eau qui descend du ciel, dans la propagation des bêtes, dans la variation des vents et dans les nuages soumis entre le ciel et la terre. Tout comme les sources scripturaires, la nature et son observation sont sources de la voie islamique.

Il nous faut une réactualisation des textes fondamentaux en fonction de l’impératif écologique très présent dans ces textes, en ces temps où la dégradation de l’environnement est devenue préoccupante et risque d’être irrémédiable.

Fazlun M. Khalid (chercheur et activiste Sri lankais basé en Angleterre), pionnier du mouvement écologique islamique, applique quatre principes coraniques fondamentaux à la protection environnementale. Le Tawhid, l’unicité de Dieu et donc l’interdépendance de toutes les composantes de la création ; la Fitra, la nature originelle de la création, l’état naturel de l’Homme en harmonie avec la nature ; le Mizan, l’équilibre harmonieux parfait de toutes les composantes de la création ; et la Khilâfa, l’intendance que Dieu a transmise aux Hommes pour la sauvegarde de sa création. On y rajoute le principe du Taskhir, donc la jouissance des fruits de la création, sans contrepartie, dont les Hommes bénéficient. Elle implique deux dimensions, l’accès aux ressources de l’univers, et le partage équitable de ces dernières. Puisque ce principe s’applique à l’ensemble des êtres humains, aucune nation, aucun groupe ne peut faire valoir un accès particulièrement avantageux à ces ressources. Le principe de la Maslaha (le bien commun), doit donc être étendu aux considérations environnementales ou, selon une déclaration attribuée au Prophète Mohamed : « Je ne crains pas pour vous le retour au paganisme, je crains pour vous la richesse de ce monde ». Ainsi retrouvons-nous un fort rejet du système capitaliste et du consumérisme en islam. Le bonheur et la libération ne se trouvent pas dans l’accumulation des biens, ils se trouvent dans la suffisance (Qana‘a), dans le fait de faire du bien aux autres et dans la générosité. A plusieurs reprises, le Coran met en garde contre l’excès (Isrâf) et le gaspillage (Tabdhîr), il promeut une véritable éthique de la consommation qui s’inscrit d’abord dans la modération et le partage. Ces deux dernières valeurs sont un bien spirituel en soi, par respect de la création. Un grand nombre de textes promeuvent également la protection et le respect des animaux, ainsi que des ressources limitées comme l’eau.

Pour Mostafa Brahami (imam et auteur vaudois), les finalités (Maqâsid) même de la foi islamique visent, parmi d’autres, la préservation de la vie sur terre et de la progéniture de toute chose créée, une véritable priorité écologique !  Un enseignement prophétique précise que l’Homme devrait, même en voyant arriver le Jour de la Résurrection, planter une pousse, il ne dit pas d’accomplir une prière ! Prier lui profiterait individuellement, planter par contre est bénéfique au donateur et aux nombreux bénéficiaires (humains, animaux, nature), même la veille du Dernier Jour.

En conséquence, il n’existe pas en Islam l’idée d’une domination de la nature et des animaux par l’Homme, l’être humain n’est pas au centre de la création, l’islam ne connait pas d’anthropocentrisme. L’humain est en Unité avec la nature, avec un rôle spécifique de Khilâfa certes, mais ce rôle implique des responsabilités plutôt que des droits, l’Homme est Khalifa, mais il est aussi ‘Abd, serviteur. Il s’agit d’un « Je » soumettant, en totale contradiction avec le « Je » centralisateur cartésien. Les bienfaits des Lumières ont été accompagnés d’une déconnexion de l’humain de la nature par supériorité imaginée, et c’est depuis ce moment que nous l’avons perçu comme “autre”. Cette pensée a conjuré la nature dans un autre espace, séparé de l’Homme et objectifié. Nous sommes désormais aliénés de ce qui nous alimente. Une ré-sacralisation de la nature pour surmonter la crise écologique est urgente.

Pascal Gemperli

Pascal est entrepreneur, écologiste et médiateur assermenté. Il s'engage également pour l'intégration et dans la coopération au développement.

4 réponses à “Spiritualité et écologie : un impératif coranique ?

  1. Aucune religion ne peut se prévaloir de connaitre la nature et ses phénomènes , ni même l’évolution des espèces très longtemps enfermée dans des mythes .
    Les textes fondamentaux ne permettront pas non plus de résoudre les problèmes d’aujourd’hui , qu’ils soient écologiques ou non .
    Ce serait comme essayer de faire de la physique en s’appuyant sur la théorie des 4 éléments !
    La science a pris le relais des connaissances passées et elles a l’avantage d’être universelle au contraire des religions qui restent cloisonnées dans des cultures locales non partagées .
    Le concept de “Dieu” reste du domaine de la croyance et ne peut même pas être discuté logiquement ce qui est la base de construction rationnelle nécessaire à tout progrès autant du point de vue humaniste que technique.
    Darwin a remis l’homme a sa place parmi les différentes espèces sans avoir besoin de se référer à des textes anciens, seulement par observation méticuleuse. La génétique a largement confirmé ses hypothèses et bien au-delà puisque nous savons combien de gènes nous partageons avec nos cousins proches ainsi qu’avec des espèces plus éloignées jusqu’à l’être premier .
    La surpopulation pose un très grand défi à l’humanité qui ne peut être infinie sur une planète restreinte, mais aucune religion n’a pris ce paramètre en compte, au contraire , elles continuent de privilégier des familles nombreuses sans se préoccuper des ressources !
    Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir dans le dédale des inconnues, mais les anciennes traditions forment des filtres ou des blocages nous empêchant de voir distinctement sans préjugés …

  2. Votre article me touche particulièrement, et pourtant je ne suis ni écologiste engagé, ni attaché à une religion, mais fatigué de ces combats sans fin, dans une humanité qui ne cesse de s’affronter, chacun faisant ses déclarations de vérités ou de bon sens…

    Ces paroles de Tariq Ramadan, lors d’une émission d’Infra-Rouge, m’avaient très désagréablement heurté : « L’Islam ne s’adaptera pas à la société (occidentale), c’est la société qui sera islamisée… » Mais cela ne m’empêche pas de garder dans ma bibliothèque le petit livre de Khalil Gibran que j’avais découvert il y a cinquante ans dans mon adolescence, que je n’ai lu qu’une fois sans oublier les messages de paix qu’il m’a apporté dans des moments difficiles.
    J’ai retrouvé une deuxième fois, en vous lisant, cette sagesse humaniste qui peut sensibiliser un complet ignorant de l’Islam !

    Je ne voudrais pas que l’on touche à la religion, la nôtre ou celle des autres, en modifiant ses textes. Je suis d’avis que cela ajouterait des vagues encore plus hautes au débat sur l’environnement et au-delà ! Mais pourquoi ne pas tenter de mieux se comprendre pour ce qu’on partage en commun. Puisque les musulmans ont une vision écologiste qui précède la nôtre, alors accueillons les mieux dans notre société où on ne veut rien savoir d’eux, ce sera une occasion de rapprochement des personnes dans un environnement où tout le monde veut vivre. Je pourrais alors moi aussi considérer que les écologistes n’arrivent pas pour m’écologiser, et que Monsieur Alberto Mocchi n’est pas notre Allah en robe verte (j’exagère, bien sûr, mais ce n’est que l’avenir qui pourra dire si cela reste de l’humour).

  3. Merci pour ce poste. Je partage ton point de vue que les anciens savants musulmans n’ont pas écrit sur l’écologie dans les termes d’aujourd’hui. Cela n’était tous simplement pas possible et peut être pas nécessaire. Là où je pense pouvoir ajouter quelques idées, c’est sur l’existance de la notion de l’environnement dans le Coran et dans les hadiths du Prophète, la notion de sa destruction et de sa préservation existe aussi. Beaucoup d’intellectuels musulmans et autres savants se sont attelé à la tâche de traiter ce sujet. Malheureusement, avec les priorités essentielles de survie dans beaucoup des pays musulmans l’écologie reste parfois marginale. Aussi, pas mal de choses sont communiquées en Arabe ce qui limite l’accessibilté. Un livre que je viens de lire cet été (en Arabe) s’intitule l’environnement et est le travail d’une femme Syrienne Dr. Azza Al Rabbat. Très intéréssant et instruisant.

    1. Merci Khaldoun, pourrais tu partager en quelques mots les principales thèses de Mme La Rabbat ?

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