Chronique d’un curieux silence médiatique

Le 7 juin 2019, l’Autorité indépendante d’examen des plaintes en matière de radio-télévision (AIEP) a rendu une décision constatant que la télévision publique alémanique SRF avait violé le droit des programmes institué par la loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV), s’agissant d’un reportage intitulé « Fall Maudet : dis Spur des Goldes » (affaire Maudet : la piste de l’or) diffusé dans l’émission Rundschau.

Pour celles et ceux qui l’ignoreraient, et ils sont nombreux de ce côté-ci de la Sarine, est une autorité fédérale qui vise à assurer le respect des exigences minimales auxquelles sont soumis les programmes de radio et de télévision ; ses décisions contraignantes prises par neuf membres éminents désignés par le Conseil fédéral, peuvent faire l’objet d’un recours direct au Tribunal fédéral.

Cette autorité a estimé que l’émission en question violait le principe fondamental de présentation fidèle des événements.

Par souci de transparence, j’entends souligner que je suis intervenu comme Conseil du Conseiller d’Etat Pierre Maudet dans cette procédure.

Le jour même, soit le 7 juin 2019, l’AIEP a diffusé un communiqué de presse détaillant les griefs et la décision prise à l’encontre de SRF.

Celui-ci a été immédiatement et intensément repris en Suisse alémanique, par d’innombrables publications et médias de tous bords.

En Suisse romande, hormis un article dans Le Temps, un entrefilet dans la Tribune de Genève et une courte mention dans le journal matinal de La Première (RTS), le silence règne.

Est-ce à dire que le sujet n’intéresse pas le public romand ?

A voir.

Certes, l’émission Rundschau n’est pas l’émission la plus regardée par le public romand, et cela explique en partie un intérêt moindre de ce côté-ci de la Suisse.

Cela étant, ma publication du communiqué de presse du Conseiller d’Etat Pierre Maudet sur le réseau LinkedIn a engendré à ce jour près de 18’000 vues, auxquelles se sont succédées des interactions de qualité. L’intérêt du public est donc là, que ce soit pour saluer cette décision, pour les uns, ou en relativiser la portée, pour les autres. Mais qu’importe, l’intérêt est là.

Mais revenons à notre sujet : est-ce à dire que certains médias romands auraient une inclination pour un journalisme asymétrique, étant très présents pour révéler les « affaires » et les scoops, mais se faisant plus discrets lorsqu’il s’agit d’évoquer des éléments proposant une lecture différente des faits ?

Il faut se méfier des raccourcis de toute sorte et rappeler, avant toute chose, le principe fondamental d’autonomie rédactionnelle qui gouverne les médias de tous pays, dans lesquels la parole est libre et la liberté d’expression correctement protégée.

C’est un principe, intimement rattaché à la notion de responsabilité, auquel je tiens et que j’enseigne au demeurant sans relâche aux journalistes en formation lors de leurs études au Centre romand de formation au journalisme et aux médias (CFJM).

Sous cet angle, les médias peuvent donc librement choisir les sujets qu’ils évoquent.

Cela étant, lorsqu’est en jeu l’image publique d’un politicien, et que celui-ci a été le sujet d’innombrables articles en lien, plus ou moins direct, avec la procédure pénale dont il fait l’objet, se pose immanquablement la question de savoir si un tel silence est légitime.

Rappelons à cet égard que les normes déontologiques applicables, soit en particulier la Déclaration des devoirs et des droits du/de la journaliste, rappellent que « du droit du public à connaître les faits et les opinions découle l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes ».

Est-ce à dire que les médias qui ne l’ont pas fait auraient dû évoquer cette décision et lui donner la même publicité qu’ils ont donnée à d’autres événements ou hypothèses ?

La règle fondamentale de l’autonomie rédactionnelle m’interdit de répondre à cette question mais, me semble-t-il, me commande de la poser.

Nicolas Capt

Né en 1978, Nicolas Capt est avocat aux Barreaux de Genève et Paris (liste des avocats communautaires). Spécialisé en droit des médias et des technologies de l’information, il intervient régulièrement sur des sujets ayant trait au bouleversement sociétal induit par les technologies.