Une politique de la religion

Au mois d’octobre se tiendra à Rome un deuxième synode des évêques catholiques consacré à la famille. La question centrale est le statut des divorcés remariés civilement : selon la règle actuelle ils sont exclus des sacrements et ne peuvent ni se confesser, ni communier, sauf à promettre de vivre un mariage blanc. Bien entendu, cette règle ne vaut ni pour les Eglises réformées, ni pour les Eglises orthodoxes, moins rigides ou plus charitables

Le consensus des fidèles à ce sujet est assez clair : une large majorité s’est dégagée dans une consultation pour que cette règle soit abandonnée. En revanche certains évêques la défendent. D’une part l’Eglise catholique d’Allemagne est favorable à son abrogation, d’autre part les évêques africains y sont opposés. Et donc une règle de vie, une pratique morale sera discutée puis décidée par une assemblée d’une centaine d’évêques au terme de ce qu’il faudra bien appeler un débat politique. Un rapport de force, une lutte de pouvoir tranchera.

La centralisation excessive de l’Eglise catholique romaine la met ainsi dans la situation délicate de faire une politique de la religion. L’Eglise allemande a déjà annoncé que, si la règle était maintenue, elle ne l’appliquerait pas en son sein. Et donc la Rome vaticane se trouve devant une menace de schisme, totalement démesurée par rapport à l’objet qui la suscite. Dès lors un point de détail, le statut des divorcés, suscite une interrogation fondamentale : peut-on, doit-on organiser une Eglise quelconque sur un modèle centralisé ou bien faut-il accepter une diversité d’opinions et de pratiques, en fonction de la géographie ou de la sociologie ?

En Suisse on sait par expérience qu’un modèle centralisateur de l’Etat est destructeur de l’unité réelle qu’il prétend incarner dans une uniformité de façade. Si l’on prétend imposer la même « religion » à un Suédois et à un Zaïrois, on court à l’échec, tant les cultures, les sensibilités, les circonstances sont différentes. Il serait temps que les prélats prennent la mesure des avancées de la société civile, qui est devenue plus tolérante, plus ouverte, plus bienveillante, plus respectueuse : en un mot plus chrétienne que certaines Eglises.

La haine de la culture est un réflexe pour la droite

Le parlement fédéral se penche sur le message « pour l’encouragement » de la culture qui courra sur les cinq prochaines années. Toujours aussi maigre : 220 millions par an, 10% du soutien des finances publiques à la culture. Si c’était possible, la Confédération ne ferait rien du tout. Mais il y a le cinéma suisse qui est manifestement d’intérêt national, Pro Helvetia qui diffuse à l’étranger, etc… On est bien obligé de subventionner ce qui est considéré comme une perte de temps et d’argent, la cinquième roue de la charrette, la cerise sur le gâteau, un investissement qui ne rapporte rien. Croit-on. En fait c’est 260 000 emplois et un chiffre d’affaire de 73 milliards. Du point de vue comptable, la culture est rentable. Alors pourquoi cette haine ?

Petite avancée : le budget annuel augmentera de 13 millions par an. En période d’austérité budgétaire, cette munificence a horrifié la droite nationaliste, conservatrice, gestionnaire. Elle a proposé de biffer cette augmentation dans un geste spectaculaire de vertu budgétaire. Ce faisant elle a dévoilé son rapport trouble avec la culture, qui est pour elle un objet de suspicion. Selon sa doxa, cette chose sans nom ne peut être que l’expression des couches populaires de jadis : le cor des Alpes, les papiers découpés et Albert Anker en fixent les contours indépassables. Au-delà, la culture fait de la politique présente, elle est l’oeuvre de gauchistes. Malgré ou à cause de son impassibilité voulue, le cinéma suisse dénonce la banalité du Mal dans notre pays. Fernand Melgar met en scène la violence occulte d’une démocratie dans Vol Spécial et L’Abri. Jean Stéphane Bron dissèque froidement le monde politique avec Le Génie Helvétique et L’expérience Blocher. Il est tout simplement insupportable de subsidier ce genre de provocations.

Or, au même moment, les terroristes de Tunis s’en sont pris aux visiteurs d’un musée, plutôt qu’aux députés tunisiens en train de discuter de mesures contre le terrorisme. Ce ne fut pas un hasard ou une erreur. De même, les djihadistes détruisent les monuments qui témoignent du long passé de l’Irak. Au Mali, ils firent de même avec les mausolées de Tombouctou. Ils reproduisent la haine viscérale des nazis, brûleurs de livres, qui exilèrent Thomas Mann et Berthold Brecht. Hitler et Goebbels adoraient répéter une citation : « quand j’entends le mot culture, j’arme mon revolver ». Les soviétiques exilèrent Soljenitsine et Rostropovitch. Quand le mur de Berlin s'effondra, ce dernier emppoigna son violoncelle pour proclamer que la culture avait vaincu la dictature.

La culture vivante exprime le mouvement souterrain des sensibilités, des idées, des visions du monde. Non seulement elle précède les révolutions, mais elle les finit par les déclencher, si elle est réprimée trop longtemps. Exilés, persécutés par les pouvoirs, Voltaire et Rousseau ont démontré que leurs écrits possédaient une puissance qui dépassait celui des monarchies absolues, au point de les renverser. Le pouvoir, tous les pouvoirs même les plus tempérés, ont donc des raisons de se défier de la culture dont la fonction est de les contester.

La politique doit s’occuper de culture parce que la culture s’occupe de la politique. Pour le meilleur et pour le pire.

La puissance d’un lobby est foudroyante

Le mercredi 11 mars 2015, le lobby des entreprises démontra au Conseil national qui était le maître, du parlement ou de l’économie. L’objet du délit était une motion de la Commission de politique extérieure demandant de fonder légalement la responsabilité des entreprises en matière de droits humains et d’environnement. Cela signifie en pratique ne pas importer les yeux fermés de l’huile de palme récoltée grâce à la déforestation des tropiques ou du textile fabriqué par de la main d’œuvre exploitée.

A 17h17, la motion était adoptée de justesse par 91 voix contre 90. Bien évidemment elle était soutenue par les Verts, les Verts libéraux, les Socialistes ainsi que par 15 PDC sur 29 tandis que 3 PLR s’abstenait. Telle est la composition fragile d'une majorité de centre gauche, capable de tenir tête à la droite classique et extrême. Ce vote alerta les organes de l’économie qui se livrèrent à diverses manœuvres de coulisse, rappelant sans doute à quelques parlementaires idéalistes que l’année des élections est aussi celle des subventions au budget électoral de leurs partis respectifs.

A 18h45, le Conseil national décida de recommencer le vote et la motion fut largement repoussée par 95 votes contre 86. Il avait suffi que le lobby convainque entretemps deux PLR de ne plus s’abstenir et trois PDC de voter contre. Cela fait irrésistiblement songer au maître, qui siffle son chien en train de vagabonder et qui lui remet la laisse. A 17h17 ces parlementaires votaient selon leur conviction, qui était sans doute celle de leurs électeurs. A 18h45, ils changeaient d’opinion sans états d’âme. Mais au fond ont-ils une âme ?

Un soir de défaite

Il ne sert à rien d'échouer si on n'en comprend pas la raison, et même la raison de la raison, celle qui ne sera pas mentionnée. Refuser de défiscaliser les allocations familiales, c'est sans doute la peur de devoir payer des impôts supplémentaires pour tout ceux qui ne sont pas en situation de bénéficier de cette détaxation. Sur les marchés, lors de la campagne, j'ai entendu plus d'une fois la remarque : quand va-t-on faire quelque chose pour ceux qui n'ont pas d'enfants? Comme s'il était indifférent d'en avoir ou pas, comme si c'était facultatif.

S'il est une réalité bien absente du débat, c'est la dénatalité suisse. Il manque un tiers des naissances qui seraient nécessaires pour assurer le maintien de la population. Mais personne n'en a cure. Tout se passe comme si c'était normal. Tout se passe comme si les générations vieillissantes n'avaient pas besoin des générations montantes, ne serait-ce que pour payer les pensions et pour dispenser les soins. Le problème est occulté pat l'immigration. Bon an mal an, il y a 40 000 immigrants qui viennent combler les vides. Il y a aujourd'hui plus d'habitants qui ont 65 ans que ceux qui ont 20 ans. mais cela ne dérange personne. Ou plutôt ce qui dérange, c'est l'immigration, cet afflux de personnel qualifié qui assure les services indispensables, la santé, la recherche, l'hôtellerie, la construction. L'UDC emporte la votation contre l'immigration massive, le PDC perd la votation en faveur des familles. C'est un pays où il vaut mieux prôner le non que le oui, être pour ce qui est contre et contre ce qui est pour.

Le Conseil fédéral planifie la pénurie de médecins

Selon le communiqué du 26 février de la Confédération, le numerus clausus continuera à être appliqué cette année dans les Facultés de médecine alémaniques. Rien moins que 3 491 candidats se sont présentés, mais il n’a aura que 793 admis, soit moins d'un quart. Or, la pénurie de médecins est patente et elle n’est palliée que par l’importation massive de médecins formés à l’étranger : massif signifie concrètement autant, voire plus de diplômés étrangers que de diplômes accordés aux Suisses. Pour former ses propres médecins, la Suisse devrait accepter deux fois plus d'étudiants en médecine qu'elle ne le fait. Le ridicule argument avancé prétend qu'il y a trop peu de malades disponibles pour former les étudiants. Mais plus tard, il y a trop peu de médecins pour soigner les malades. Dès lors ce ne sont par les malades qui manquent mais le budget pour la formation.

En d’autres mots, la Suisse feint d’être trop pauvre pour former ses propres étudiants et attend des pays voisins qu’ils compensent cette carence. Et ces pays de recruter des médecins encore plus loin, -l’Allemagne en Tchéquie, celle-ci en Ukraine, celle-ci en Kazakhstan – de sorte que de fil en aiguille les pays les plus pauvres fournissent les pays les plus riches. Plusieurs interventions parlementaires ont demandé la suppression du numerus clausus. Le Conseil national l’a même soutenue à une large majorité. Le Conseil fédéral a reconnu qu’il faudrait doubler le nombre de médecins formés en Suisse, ce qui signifie dégager un supplément annuel de l’ordre de 700 millions au budget FRI. Ce qui n’est pas prévu.

Comment le Conseil fédéral compte-t-il assurer la couverture médicale du pays dans les années à venir ? Quand va-t-il assumer cette tâche nationale plutôt que se défausser chaque fois sur les cantons ? Est-il raisonnable d’attendre de cinq cantons universitaires qu’ils aient le souci de former des médecins pour les cantons périphériques ? Est-ce que le but de cette carence planifiée est de réduire les frais de l’assurance maladie par le rationnement camouflé de l’offre ? Le Conseil fédéral a-t-il prévenu les pays voisins qu’ils doivent prévoir la formation des médecins nécessaires à la Suisse ?

Sans éthique pas de politique

Dans son classement des parlementaires, l’Hebdo me caractérise par une formule que je trouve élogieuse : « Plus que de la politique, il fait de l’éthique ». Elle résume en dix mots ma véritable visée : encore faut-il bien s’entendre sur ce que signifient les mots éthique et politique, dont le champ d’interprétation est vaste.

Bien évidemment il faut à la fois de l’éthique et de la politique pour gérer un pays. C’est rendre possible par la politique ce qui est souhaitable pour l’éthique. Il faut choisir de proclamer des idéaux, des valeurs, des convictions, qui sont hors de portée et puis transiger pour les mettre en œuvre. Mais certains partis ne retiennent qu’un seul terme de l’alternative. L’UDC ou le MCG ne font que de la politique et recrutent leurs électeurs dans une classe frustrée, prévenue, jalouse en lui proposant la xénophobie, l’intolérance, l’isolement comme autant de contre-valeurs : ces partis réussissent parce qu’ils se moquent ouvertement de toute éthique : ils ne souhaitent que leur propre réussite et leur cynisme attire les suffrages. En sens inverse, les Verts ou le Parti Evangélique adhérent à leurs éthiques respectives au point de sacrifier, s’il le faut, la politique politicienne, c’est-à-dire la réussite de leur parti. Tous les autres partis s’efforcent de concilier éthique et politique, engendrant cette démarche chaloupée qui désoriente certains électeurs. Ce sont des partis de gouvernement.

Encore faut-il savoir où se situe la ligne de crête entre les deux versants de la gouvernance. Rien de pire qu’une loi ou une proposition individuelle, qui vise le bien commun souhaitable, et qui subit dans son parcours parlementaire un processus d’attrition tel qu’il n’en reste plus rien. Il y a au parlement des spécialistes de ce type d’action qui ambitionne, selon la formule consacrée, de « construire » une majorité autour d’un « modèle ». On ne vise plus le bien commun, mais le racolage de suffisamment de groupes d’intérêts pour que leurs lobbyistes attitrés dictent un vote majoritaire. L’éthique hautement proclamée est dépecée sur l’autel du réalisme politique. Et la loi résultante est un monstre hybride, composée de bric et de broc, interminable dans le défilé de ses articles, incompréhensible à la lecture, contradictoire entre les textes allemands et français, ouvrant le champ à toute contestation devant les tribunaux. A titre d’exemples récents la loi sur les bourses d’étude, la loi sur la formation continue, la loi sur la procréation médicalement assistée…

Tout autre chose est de discuter patiemment en commission, de porter attention à la consultation des intéressés, de s’entendre sur quelques objectifs clairs, d’élaborer un texte qui ne l’est pas moins et d’’emporter le morceau au plenum parce que la forme rejoint le fond, le droit la justice, la raison le cœur, la politique l’éthique. C’est un travail passionnant. Il réussit parfois sous la houlette d’un président de commission aussi sagace que sage. Et tous les échecs, viennent au contraire de la politique politicienne, calculée au plus près des intérêts divergents des partis les plus nombreux. A titre d’exemples, le secret bancaire, le franc fort, le sauvetage d’UBS, le bradage de Swissair, le moratoire sur les OGM, la politique migratoire, les relations avec l’UE, la pénurie de médecins, les menaces sur les pensions, les déroutes de l’assurance maladie.

La politique suisse, mal comprise, a consisté à faire taire ceux qui posaient les vrais problèmes et à trainer les pieds pour les résoudre jusqu’à ce qu’ils deviennent vraiment insolubles. Une éthique bien comprise peut définir la réussite d’une politique pragmatique : elle consiste tout simplement à s’en tenir aux faits.

Du mariage civil comme une citadelle assiégée

Le statut du mariage n’est pas ce long fleuve tranquille comme l’imaginent trop de gens, en supposant qu’il est inscrit dans une loi naturelle valable en tout temps et tout lieu. Ce fut et cela reste la légalisation des préjugés dominants. Longtemps le mariage religieux fut la seule institution ; le mariage civil fut introduit en France en 1792 dans la trainée de la Révolution et s’étendit ensuite aux pays développés. Son but était de remplacer le mariage religieux dont le monopole contrevenait à la laïcité. Mais il n’a été introduit au Canada qu’en 1973. Au Royaume-Uni, en Irlande et en Pologne, le mariage est célébré par un prêtre, un pasteur, un rabbin ou toute autre autorité religieuse qui officie également comme un agent public. Au Moyen-Orient, y compris en Israël, le mariage religieux est de règle et seul le Liban envisage un mariage civil. Certains pays autorisent le mariage avec une mineure (dont le consentement est douteux) ou le mariage polygame. Bref en matière de mariage, chaque pays fait comme il l’entend et sanctionne les infractions à sa règle nationale, qui sont autorisées dans un pays voisin. Il n’y a pas de loi naturelle discernable dans ce chaos juridique.

L’initiative des Verts libéraux en faveur du mariage (civil) pour tous a une visée évidente : collecter des suffrages lors des prochaines élections et faire preuve d’esprit libéral en passant. Mais elle prolonge la survie d’une institution sans véritable fondement, ni nécessité. La Suisse jouit du partenariat enregistré qui donne à un couple de même sexe des droits analogues à ceux du mariage et la loi sur l’adoption est en passe d’être modifiée pour accorder aussi le droit à l’adoption. Dès lors ouvrir le mariage civil à tous a surtout une portée symbolique. C’est admettre les homosexuels comme citoyens jouissant des mêmes droits que tous, c’est leur accorder une pleine reconnaissance sociale.

Dans le même temps, treize pays, tous musulmans, considèrent l’homosexualité comme un crime passible de la peine de mort, sans parler de tous ceux qui prescrivent la prison et les coups de fouet, tandis que 19 pays autorisent le mariage entre personnes de même sexe. Faut-il prendre mariage et homosexualité au tragique comme on l’a trop souvent fait ? Faut-il en faire un « débat de société » et pour quel résultat ? Il apparait que le « mariage civil » est un succédané de son prédécesseur, le mariage religieux. En quoi l’Etat a-t-il vocation de sacraliser dans une cérémonie dérisoire une convention entre deux citoyens, qui pourraient tout aussi bien passer devant un notaire comme on le faisait à l’époque de Molière ? Pourquoi la majorité des citoyens, munis d’un instinct particulier, voudraient-ils brimer la minorité jouissant naturellement d’un instinct différent ?

En France plus d’un enfant sur deux nait hors mariage. Le président actuel de la République française a donné l’exemple d’un ménage concubin avec quatre enfants et un de ses prédécesseurs, François Mitterand, a officialisé une double union, menant à une double descendance, dans et hors mariage. Dès lors le symbole du mariage civil ne passionne plus que ceux qui en sont écartés : les homosexuels et les prêtres catholiques. En somme le mariage est comme une ville assiégée : ceux qui sont dedans voudraient être dehors et vice versa.

En politique la quadrature du cercle n’est pas ce qu’elle est en mathématique.

Revenant de Bruxelles après sa rencontre avec le président Juncker, Simonetta Sommaruga annonça que la négociation sur l’article 121 a de notre Constitution, relatif à l’immigration de masse, s’avérait la « quadrature du cercle » car la Constitution suisse n’est pas compatible avec le principe de la libre circulation de l’UE. La question est de savoir ce qu’elle entend exactement par « quadrature du cercle ». C’est une image, qui associe un terme à un autre, afin de traduire une pensée plus complexe que celle qu'exprimerait une phrase claire. L’opinion publique peut comprendre que cette négociation est difficile, mais qu’elle peut réussir à force de diplomatie. C’est entretenir l’ambiguïté.

Car ce que l’on appelle quadrature du cercle en mathématique est un problème classique, qui consiste à trouver un carré dont la superficie soit exactement équivalente à celle d’un cercle donné. Or, on sait maintenant qu’il faut multiplier le carré du rayon par un nombre appelé « pi » qui est transcendant. C’est-à-dire que sa valeur exacte n’est pas calculable. En d’autres mots, que le problème est insoluble, comme Ferdinand von Lindemann, un mathématicien allemand, parvint finalement à le démontrer en 1882. Depuis lors plus aucun mathématicien sérieux ne s’en occupe. La cause est entendue, il est inutile d’y revenir. On passe aux problèmes qui ont une solution.. 

Mais ce qui est la règle en science ne l’est pas en politique. On peut (:et parfois même on doit  ) perdre du temps à faindre de s’occuper de problèmes insolubles. Soit rarement  pour attendre que les conditions changent et qu’une solution soit alors possible. Soit plus souvent pour démontrer qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura jamais de solution. C’est le cas de figure auquel le Conseil fédéral est confronté. Il sait que la mission est impossible mais le peuple ne le sait pas encore. Il faut le lui démontrer en prenant le temps nécessaire. En échouant dans la négociation. En gagnant du temps à six mois des élections fédérales.

Mais le gagne-t-on ? En fait on le perd. Or le temps est la substance même de l’acte de gouverner. Perdre du temps, c’est aussi perdre un intervalle de liberté pour agir. Il eût été plus honnête de dire clairement que le problème est insoluble, que cela ne vaut même pas la peine d’envoyer des négociateurs à Bruxelles. Est-ce que la présidente de la Confédération, qui est une excellente pianiste et tout autant excellente politicienne mais pas mathématicienne, fut consciente de ce que signifiait "quadrature du cercle" ? Ou bien croit-elle que tout problème est toujours un tout petit peu soluble. Ou bien essaie-t-elle de le faire croire au peuple ignare?

A force de recourir au non-dit, à la langue de bois, au double langage, on accroit le chaos du monde. Dans un an, après les élections d’octobre, on se retrouvera face à la quadrature du cercle, avec encore moins de possibilité de manœuvre. De même on a proclamé trop longtemps que le secret bancaire n’était pas négociable pour arriver au point où il n’y avait effectivement plus rien à négocier.

Est-ce la faute du Conseil fédéral ? Manque-t-il de courage ? Ou bien témoigne-t-il d’un obscur instinct de conservation. En démocratie directe la survie politique passe par la crainte des gouvernants d’être désavoués par les gouvernés. C’est l’équivalent d’une monarchie absolue, où le roi est le souverain populaire, qui décide n’importe quoi parce que tel est son bon plaisir. En Suisse, on ne gouverne pas, on s'adapte au préjugé dominant.

Pourquoi faire compliqué alors que l’on pourrait faire simple ?

Très souvent en politique, les débats s’enferrent dans des complications telles que la plupart des parlementaires ne parviennent plus à démêler le vrai du faux. Ils finissent par se ranger à la consigne de leur parti, elle-même prise en fonction de raisons soigneusement occultées. Ainsi, toute complication signale une manipulation. Exemple : la lutte contre le tabagisme que l’on se garde bien de mener à son terme.

Au début des années 2000, on a discuté mollement au parlement de la taxe sur le tabac, que certains idéalistes voulaient porter à un niveau dissuasif pour diminuer drastiquement sa consommation. En tant que ministre des finances, Kaspar Viliger s’y opposa résolument en expliquant qu’une diminution de la consommation entrainerait une réduction du produit de la taxe, soit 2.3 milliards de CHF actuellement. Or celle-ci finance l’AVS. Dès lors, il fallait et il faut toujours que certains fument pour que d’autres jouissent d’une pension complète.

C’était tout d’abord oublier que l’AVS ne dépend du tabac qu’en toute petite proportion (6%). Ensuite le ministre feignait d’ignorer une règle paradoxale de l’économie du tabac : à taxe croissante, la consommation diminue, mais moins que la taxe. Si le prix augmente de 20%, la consommation ne baisse que de 10%. Dès lors, l’Etat ne touche pas moins mais plus, ainsi que les producteurs à toutes les étapes de la fabrication.

Par ailleurs les fabricants sont tenus de verser une taxe à la Société coopérative pour promouvoir la culture du tabac en Suisse. Ces 15 millions de francs permettent annuellement de soutenir les quelques 350 agriculteurs qui cultivent le tabac dans notre pays. Et un montant identique est versé au Fonds de prévention du tabagisme. Donc fumer signifie deux résultats contradictoires : soutenir les producteurs nationaux de tabac et lutter contre le tabagisme.

Plus de 9'000 personnes meurent prématurément chaque année en Suisse des conséquences du tabagisme. Cela représente environ 25 décès par jour. Ce que les statistiques ne disent pas, c’est le coût de ces morts prématurées en termes de soins médicaux et de perte de jours de travail. Mais ce qu’elles ne disent pas davantage, ce sont les économies réalisées de la sorte par l’AVS. Celle-ci est en déséquilibre par suite de la croissance de l’espérance de vie. En résumé, fumer devient une cause nationale : cette pratique alimente les pensions, réduit la charge de celles-ci, soutient les paysans et entretient même un fonds pour éviter que l’on fume trop. Bref, c’est comme dans le cochon : tout est bon.

Quand l’Etat fait compliqué, c’est donc qu’il a des raisons, qu’il ne peut énoncer. Si c’était simple, cela deviendrait insoutenable. Mais dans le système actuel les opposants sont désarmés : qui oserait promouvoir une Suisse où l’on ne fumerait plus du tout ? Car dans le discours du pouvoir, cela deviendrait un pays avec des pensions diminuées, des agriculteurs ruinés, des services de pneumologie désertés, des parts de marché perdues pour les pharma, des multinationales du tabac en train de délocaliser leurs quartiers généraux et même un service de prévention du tabagisme fermé. Grâce au système existant, ceux qui fument ne meurent pas en vain.

On se demande s’il ne faudrait-il pas les subventionner, ériger un monument aux morts pour l’AVS, libéraliser la publicité, décréter une Journée nationale de la cigarette, donner des cours de fumette dans les écoles. Car trop d’idéal tue l’idéal. C’est comme le tabac. Fumer tue certes, mais pour de juste causes.

En politique comme dans la vie, l’égoïsme ne paie pas

 

 

Cette année électorale s’ouvre sur deux défis majeurs : les suites de la votation du 9 février 2014 qui incluraient une pénurie de main d’œuvre qualifiée; les conséquences du franc fort qui freineraient nos exportations, composant 70% de notre revenu national. De quelque côté que l’on se tourne, c’est le danger d’une crise économique dont les classes moyennes seraient les premières victimes. C’est la pointe d’une campagne électorale, là où il faut prendre courageusement position plutôt que de papoter sur des sujets mineurs.

Deux problèmes soigneusement dissimulés font ainsi impitoyablement surface : notre relation ambigüe avec l’UE ; notre réussite nationale dans un continent en crise. En allant à la source de ces défis, on retrouve deux fois le même problème : l’égoïsme nationaliste finit par se retourner contre celui qui le pratique. Comment pourrions-nous indéfiniment être prospères parmi des voisins en voie d’appauvrissement ? Comment fonctionner en fermant les frontières aux personnes et en exigeant de les ouvrir large aux marchandises ? Comment se désintéresser du sort de notre continent, comme s’il ne nous concernait pas ?

Un sondage récent donne 58% du peuple favorable aux relations bilatérales, plutôt qu’à l’application aveugle du nouvel article constitutionnel contre l’immigration, dite massive. C’est le moment d’exploiter cette brèche, c’est-à-dire de rappeler que l’UDC a lourdement menti aux citoyens en prétendant que son initiative ne mettrait pas en péril les relations bilatérales. Il faut tout de suite donner au peuple l’occasion de se prononcer clairement sur nos relations avec l’Europe, même au risque d’échouer.

Ce serait l’occasion de lui présenter en plus une proposition réglant nos problèmes de change avec nos voisins. Qu’on le veuille ou non nos échanges commerciaux avec nos voisins sont tellement importants que nous ne pouvons plus maintenir une indépendance factice et dangereuse du franc suisse. On ne peut pas être à la fois dehors et dedans, alors qu’on ne pèse pas plus qu’un Länder allemand.

Quoi que nous fassions, quel que soit notre égoïsme national, prétendument sacré, la Suisse n’est pas une île perdue dans l’Océan Pacifique. Elle est solidaire de son environnement géographique et économique. Il n’est pas possible d’être de plus en plus riche avec des voisins de plus en plus pauvres. Il n’est pas possible d’être heureux tout seul et encore moins  de se gausser du malheur des autres.