Sans éthique pas de politique

Dans son classement des parlementaires, l’Hebdo me caractérise par une formule que je trouve élogieuse : « Plus que de la politique, il fait de l’éthique ». Elle résume en dix mots ma véritable visée : encore faut-il bien s’entendre sur ce que signifient les mots éthique et politique, dont le champ d’interprétation est vaste.

Bien évidemment il faut à la fois de l’éthique et de la politique pour gérer un pays. C’est rendre possible par la politique ce qui est souhaitable pour l’éthique. Il faut choisir de proclamer des idéaux, des valeurs, des convictions, qui sont hors de portée et puis transiger pour les mettre en œuvre. Mais certains partis ne retiennent qu’un seul terme de l’alternative. L’UDC ou le MCG ne font que de la politique et recrutent leurs électeurs dans une classe frustrée, prévenue, jalouse en lui proposant la xénophobie, l’intolérance, l’isolement comme autant de contre-valeurs : ces partis réussissent parce qu’ils se moquent ouvertement de toute éthique : ils ne souhaitent que leur propre réussite et leur cynisme attire les suffrages. En sens inverse, les Verts ou le Parti Evangélique adhérent à leurs éthiques respectives au point de sacrifier, s’il le faut, la politique politicienne, c’est-à-dire la réussite de leur parti. Tous les autres partis s’efforcent de concilier éthique et politique, engendrant cette démarche chaloupée qui désoriente certains électeurs. Ce sont des partis de gouvernement.

Encore faut-il savoir où se situe la ligne de crête entre les deux versants de la gouvernance. Rien de pire qu’une loi ou une proposition individuelle, qui vise le bien commun souhaitable, et qui subit dans son parcours parlementaire un processus d’attrition tel qu’il n’en reste plus rien. Il y a au parlement des spécialistes de ce type d’action qui ambitionne, selon la formule consacrée, de « construire » une majorité autour d’un « modèle ». On ne vise plus le bien commun, mais le racolage de suffisamment de groupes d’intérêts pour que leurs lobbyistes attitrés dictent un vote majoritaire. L’éthique hautement proclamée est dépecée sur l’autel du réalisme politique. Et la loi résultante est un monstre hybride, composée de bric et de broc, interminable dans le défilé de ses articles, incompréhensible à la lecture, contradictoire entre les textes allemands et français, ouvrant le champ à toute contestation devant les tribunaux. A titre d’exemples récents la loi sur les bourses d’étude, la loi sur la formation continue, la loi sur la procréation médicalement assistée…

Tout autre chose est de discuter patiemment en commission, de porter attention à la consultation des intéressés, de s’entendre sur quelques objectifs clairs, d’élaborer un texte qui ne l’est pas moins et d’’emporter le morceau au plenum parce que la forme rejoint le fond, le droit la justice, la raison le cœur, la politique l’éthique. C’est un travail passionnant. Il réussit parfois sous la houlette d’un président de commission aussi sagace que sage. Et tous les échecs, viennent au contraire de la politique politicienne, calculée au plus près des intérêts divergents des partis les plus nombreux. A titre d’exemples, le secret bancaire, le franc fort, le sauvetage d’UBS, le bradage de Swissair, le moratoire sur les OGM, la politique migratoire, les relations avec l’UE, la pénurie de médecins, les menaces sur les pensions, les déroutes de l’assurance maladie.

La politique suisse, mal comprise, a consisté à faire taire ceux qui posaient les vrais problèmes et à trainer les pieds pour les résoudre jusqu’à ce qu’ils deviennent vraiment insolubles. Une éthique bien comprise peut définir la réussite d’une politique pragmatique : elle consiste tout simplement à s’en tenir aux faits.

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.