Les médecins sont-ils trop payés?

 

Ce mardi, un titre barre toute la première page de 24 Heures : « En Suisse 118 médecins touchent 1 million par an ». Et après ?  Quel est ce genre de nouvelle ?  Ce titre ne dit rien du revenu moyen d’un médecin de premier recours, évalué à 155 000 CHF, ni des 1 000 médecins assistants des hôpitaux qui gagnent 100 000 CHF par an pour une prestation de 56 heures par semaine, soit 37 CHF de l’heure. Est-ce une information qui vaut la peine d’être épinglée, est-ce un scandale, est-ce une incitation à diminuer la rémunération moyenne des médecins, qui est bien plus basse, en montant en épingle quelques rares cas isolés ?

On serait très curieux de savoir ce que serait un titre analogue pour les avocats, les traders, les banquiers, les footballeurs, les joueurs de tennis, les pilotes de course, les vedettes du cinéma, les promoteurs immobiliers, les héritiers de grandes fortunes, dont l’utilité sociale n’est pas supérieure à celle des médecins. Alors que l’opinion publique admet les hauts revenus pour ces métiers, en revanche le médecin devrait se conformer à l’image historique du praticien, isolé dans la campagne, travaillant jour et nuit, refusant d’être payé par les pauvres, acceptant d’être réveillé en pleine nuit. Un apôtre, un missionnaire, un philanthrope, totalement désintéressé comme le curé et l’instituteur.

Cependant, les temps ont bien changé. Même s’il travaille en cabinet privé, le médecin est maintenant une sorte de fonctionnaire, puisqu’il est rémunéré par le biais des cotisations d’assurance maladie obligatoire, c’est-à-dire une forme d’impôt de capitation, prélevé uniformément sur tous les habitants, indépendamment de leurs revenus ou de leurs fortunes. Le médecin a maintenant le bizarre statut d’indépendant rémunéré par les finances publiques. Dès lors le citoyen estime avoir droit de regard sur sa rémunération, qui devrait se limiter à la modeste paie d’un fonctionnaire. Comme il assure un service public, il ne faudrait tout de même pas qu’il en profite.

Telle est l’explication du malaise perpétuel lorsque les cotisations augmentent pour tenir compte à la fois du vieillissement de la population et des progrès de la médecine, les deux étant intimement liés. Il y a quelque chose d’essentiel qui ne fonctionne pas dans ce système, une contradiction dans son concept lui-même. Le système actuel est à bout de souffle, parce qu’il mélange deux objectifs distincts et incompatibles.

D’une part l’indispensable mutualisation des gros risques (opération à cœur ouvert, maladies orphelines, longues chimiothérapies) pour les patients capables de payer eux-mêmes les soins ordinaires. Ils ont intérêt à souscrire une assurance réduite aux seuls gros risques couverts : c’est un problème classique d’assurance sans aucun aspect politique, sans aucune obligation légale.

D’autre part, la gratuité ou la réduction des frais pour les patients incapables de supporter le coût de traitements ordinaires : cette solidarité n’a rien à voir avec un problème d’assurance, c’est une question d’éthique.

En rendant obligatoire une assurance minimale pour tous, le législateur conjecture que les patients ayant les moyens paient plus qu’il n’est nécessaire et compensent le déficit créé par les assurés qui n’ont pas les moyens. Pour certains, l’assurance est même acquittée intégralement par l’assistance sociale. Or, en rendant « gratuit » pour tous le recours à la médecine, une fois que les cotisations sont payées, on incite tout le monde à en abuser, les malades imaginaires pour récupérer leur mise, les médecins pour accroître leurs revenus en s’attachant une patientèle.

Pour en sortir, au patient capable de payer ses frais ordinaires, il faudrait restituer la responsabilité de décider des soins qu’il requiert et des coûts qu’il assume.  Mais même en restant dans le système obligatoire actuel ,  une assurance, dont les franchises seraient proportionnelles au revenu d’une famille, permettrait de sortir du cercle vicieux. Le principe est évident : pour des soins dont les coûts sont supportables, il faut que le patient consente à les débourser directement. Un droit inaliénable n’implique pas un service gratuit. Et celui-ci ne doit être prolongé ni par un prélèvement obligatoire inique, ni par l’exploitation des travailleurs du système de santé.

 

Bien agiter le peuple avant de s’en servir

 

Sur certaines fioles de médicaments, il est formulé qu’il faut agiter la bouteille avant de s’en servir, parce que le dépôt du fond doit se mélanger avec le liquide. Conseil judicieux, qu’il ne faut cependant pas transposer en d’autres circonstances : on n’agite pas une bouteille de Bourgogne avant de la verser, on la maintient même couchée dans un panier pour éviter que la lie se mêle au vin au point de le rendre imbuvable. Si l’on malmène une bouteille de vin, on détériore son contenu, on peut même le détériorer définitivement.

 

C’est à cette opération que se livre l’UDC, premier parti du pays. Le prospectus déposé dans les boites aux lettres demande de dire oui à la démocratie directe et oui à l’autodétermination, comme si ces piliers des institutions suisses étaient subitement menacés en quoi que ce soit par les 30 traités de libre-échange, les 170 conventions de double imposition, les 85 traités protégeant la propriété intellectuelle, etc … qui existent maintenant et certains depuis longtemps. Il est impossible de commercer avec l’étranger si des règles ne sont pas fixées à l’avance, respectées dans l’usage et arbitrées en cas de nécessité. L’UDC semble donc frappé de folie subite, comme si elle voulait détruire les relations économiques internationales de la Suisse.

 

En fait, l’UDC ne serait pas devenu le premier parti de Suisse s’il avait été guidé par une série de crises de démence. C’est au contraire bien réfléchi et vraiment efficace. Les initiatives de l’UDC ne surviennent pas, les unes après les autres, année après année, pour réussir, mais pour échouer. Car si elles réussissaient, elles produiraient un tel désordre, en pratique un tel appauvrissement de la population que le parti y risquerait sa survie. Tant qu’elles échouent, elles ne produisent pas d’effets délétères, mais elles persuadent un tiers de l’opinion publique que ce parti est le seul défenseur intransigeant de la Suisse, tandis que tous les autres la trahissent.

 

Toutes ces initiatives éveillent exclusivement un sentiment facile à susciter : la méfiance, voire la haine de l’étranger, surtout s’il est musulman. (Aux juifs on ne touche plus car ils ont trop servi jadis). Cela flatte certains électeurs qui se sentent alors supérieurs à tous ces défectueux qui habitent en dehors des frontières. En rabaissant les autres, ils s’élèvent eux-mêmes, surtout s’ils n’ont pas de raisons de se féliciter de ce qu’ils sont. Ainsi le parti attire des gens simples, sans diplômes, gagnepetits, frustrés de l’existence, vaincus de la féroce compétition économique, laissés pour compte de la croissance. Par ce tour de passe-passe génial, la droite extrême recueille des électeurs de la gauche, excédés par certains bobos qui la guident. Paradoxe suprême (en fait raison secrète de son succès) cette droite populiste est dirigée par une famille de milliardaires.

 

Tout baigne donc. En agitant le peuple une fois par an, l’UDC accroit son électorat en fin de législature, il le trouble, il l’indigne, il accroit son dédain à l’égard des institutions, du Conseil fédéral et du parlement. C’est la vieille rengaine : tous pourris. En un mot, le populisme n’utilise les institutions que pour mieux les détruire. Et même alors, ce serait encore tout bénéfice pour lui.

 

Car, même si une initiative calamiteuse passait la rampe et que la Confédération soit vraiment obligée de l’appliquer avec des conséquences désastreuses, ce serait peut-être encore bénéfique pour le parti. En s’appauvrissant par sa faute, la Suisse compterait encore davantage de mécontents qui donneraient la majorité absolue au populisme. Comme c’est exactement ce qui se passe Italie, ce n’est pas impossible.

 

La politique bien conçue ne consiste pas à agiter le peuple, mais à l’informer, à l’écouter, à le réconforter. Cela s’appelle servir la Nation. Le contraire de cette politique consiste à se servir de la Nation. Et cette recette marche de mieux en mieux.

 

 

L’EPFL doit-elle se délocaliser?

 

Parmi les multiples initiatives courageuses de Patrick Aebischer, on peut citer une volonté affirmée de décentraliser l’école fédérale basée à Lausanne. Cette politique n’est pas évidente dans la tradition universitaire. Selon sa définition originale, universitas studiorum, le but de l’université est de professer de omnibus rebus et quibusdam aliis, (au sujet de tout ce que l‘on peut savoir et même de plusieurs autres). C’est la coexistence en un campus de diverses facultés, qui définit une université, tant il est vrai que le savoir des hommes est un tout que l’on ne peut fragmenter ou isoler. Les paléontologues ont besoin de physiciens pour dater leurs découvertes et ceux-ci des mathématiciens pour définir des modèles de la Nature.  De grands projets naissent au détour d’une conversation impromptue dans une cafétéria.

En soi, l’existence des deux Ecoles Polytechniques suisses en dehors des universités cantonales viole cette règle, comme c’est d’ailleurs le cas pour la plupart des écoles d’ingénieurs à travers le monde. Lors de leur création au XIXe siècle, on a estimé que la technique n’avait pas sa place à l’université, que ce n’était pas un savoir, mais un savoir-faire empirique. On serait aujourd’hui presque de l’opinion contraire. A tort ou à raison, la technique qui conditionne l’économie est le facteur principal de la croissance, c’est-à-dire du seul progrès que nous reconnaissions.

La Valais est un vieux pays, occupé depuis les temps les plus reculés, entré dans l’Histoire avec les Romains. Il demeure largement ce qu’il fut : pays d’agriculture et plus récemment de tourisme. La modernité ce furent les barrages. Mais il n’y avait point d’institutions universitaires. Il n’était pas anormal pour l’EPFL de placer des extensions à Neuchâtel, Genève et Fribourg en collaboration avec les universités locales. En revanche placer des laboratoires de recherche à Martigny, Sion et Sierre revenait à installer ces chercheurs en dehors de campus existants et du bouillon de culture scientifique qu’ils constituent selon la tradition. Or celle-ci a changé.

Le risque ne s’est pas matérialisé car ces laboratoires fonctionnent aussi bien que s’ils étaient à Lausanne. Cela rejoint une remarque d’Albert Einstein à qui l’on demandait quel serait son travail préféré et qui mentionna gardien de phare parce que l’on n’y est pas distrait par son environnement. Il y a des avantages et des inconvénients à la proximité et à l’éloignement. En l’occurrence ils se compensent parfaitement parce que la communication à distance est devenue instantanée grâce à Internet. Plus que la cohabitation avec des disciplines différentes, un laboratoire est surtout en liaison permanente avec d’autres laboratoires situés dans le vaste monde traitant du même sujet de recherche. La délocalisation s’inscrit donc dans  la ligne d’une autre initiative de l’EPFL, les MOOC qui dispensent le même enseignement à des dizaines de milliers d’étudiants dans tous  les pays par le truchement d’Internet. Aujourd’hui le campus est la planète.

Si tel est le cas, il faut veiller à ce que la Suisse ne s’isole pas de ce campus comme cela fut le danger après la votation de 2014 contre l’immigration. Il faut impérativement que les étudiants, les chercheurs, les enseignants de toutes nationalités, couleurs de peau, religions circulent librement partout, y compris en Suisse. Il n’y a qu’une seule Science. Tant pis pour les pays qui ne le comprennent pas.

 

 

Le concept d’heures de bureau en sécurité aérienne

 

Jusqu’à présent la police de l’espace aérien suisse n’était assurée par l’aviation militaire que durant les heures de bureau, soit de 8h à 12h et de 13.30h à 17h. Cela permettait aux pilotes de ne pas se lever trop tôt, de ne pas se coucher trop tard et de déjeuner à leur aise. Cette limitation fut justifiée par la pénurie de pilotes.  Afin pallier ce déficit de personnel, le Conseil fédéral propose maintenant de commencer par dépenser huit milliards pour de nouveaux appareils. Pour les pilotes on verra plus tard, mais c’est promis, dans un avenir lointain la sécurité sera assurée 24h/24, comme si c’était vraiment important.

Premier pas dans la bonne direction, la police aérienne sera désormais assurée de 6h à 22 h car, plaide-t-on, c’est dans cet intervalle que  se produisent 90% des déplacements aériens. Les dix pourcents non couverts semblent ne pas poser de menaces. La Suisse aurait-elle conclu une convention en ce sens avec Daesh ?

Deux avions seront disponibles à Payerne, capables de décoller en 15 minutes. Est-ce suffisamment rapide pour déjouer un détournement par des terroristes ? Faut-il dès lors consacrer huit milliards à l’achat d’une nouvelle flotte ? Le peuple décidera mais il serait opportun de l’éclairer au préalable. Car d’inévitables questions restent ouvertes.

En dehors de ces sept heures et demie de police assurée, l’espace aérien n’était contrôlé jusqu’ici que par le service de surveillance Skyguide. D’où une question inévitable : si cela suffit les deux tiers du temps, pourquoi ne pas s’en satisfaire 24h/24, ce qui coûterait nettement moins cher ?

Cependant Skyguide ne permet pas d’intercepter des avions en voie de divagation. Depuis le 11 septembre 2001, on sait ce qu’il peut en coûter : 2763 morts à New York, l’humiliation infligée à la plus puissante nation du monde. Cela soulève une autre question embarrassante : comment se fait-il que l’aviation militaire de Etats-Unis n’ait pas réussi à intercepter un seul des quatre Boeing 767 qui ne suivaient plus leur plan de vol ? Cela tendrait à prouver que ce n’était pas possible même avec des intercepteurs déjà en l’air. Question annexe :  qui prendra en Suisse la décision d’abattre délibérément un avion civil détourné avec ses passagers, en étant incertain de son objectif ?

L’attaque d’objectifs situées en Suisse ne peut être exclue et elle justifie des précautions adéquates. Mais lesquelles ? C’est déjà arrivé le 17 février 2014 avec un avion d’Ethiopian Airlines détourné par son copilote sur Genève. Comme c’était en dehors des « heures de bureau » suisses, l’avion détourné fut escorté par les Italiens, puis par les Français, qui ont l’air de travailler à n’importe quelle heure. Fort heureusement, ce pilote éthiopien demandait simplement l’asile politique et ne nourrissait pas la mauvaise idée de s’écraser sur les locaux des Nations Unies. Mais on n’en savait rien avant qu’il ne se pose.

Cela soulève une troisième question : comment intercepter en Suisse un avion détourné vers l’Aéroport de Genève compte tenu de la faible distance de l’espace aérien entre Dardagny et Cointrin, parcourue en quelques minutes ? On pourrait poser des questions analogues pour l’aéroport de Bâle, situé en France, et celui de Zürich, proche de l’Allemagne. Ce rôle d’interception d’avions civils est-il tout simplement concevable sur un territoire exigu ?

L’interception d’un avion militaire est encore plus problématique. Sa traversée du territoire du Nord au Sud prend de l’ordre de huit minutes. Sauf si l’intercepteur se trouve déjà en vol sur l’itinéraire emprunté, la tâche semble impossible. En temps de paix, des avions militaires étrangers, sans munitions, peuvent traverser l’espace aérien helvétique après communication du plan de vol par voie diplomatique. Mais en temps de guerre, puisque nous ne cessons de nous préparer pour cette éventualité ? Ne serait-il pas opportun de rejoindre tout simplement l’OTAN ?

 

Les élus doivent-ils être au-dessus de tout soupçon ?

 

Les médias s’occupent beaucoup plus des politiciens dans leur vie privée que de leur action politique proprement dite. Car les lecteurs sont ennuyés par la politique elle-même, qui est compliquée, lointaine, abstraite. En revanche l’intimité des politiciens les intéresse car ils peuvent la comparer à ce qu’eux-mêmes vivent. Ils peuvent comprendre ce qu’est un procès perdu, un voyage frais payés, une déclaration fiscale, le harcèlement sexuel. Il en est de reste de même pour les artistes. Certaine presse ne s’occupe que de leurs liaisons ou de leurs divorces plutôt que de leurs performances culturelles.

Dans cet esprit racoleur, cela vaut la peine de publier une photo du Conseiller fédéral Moritz Leuenberger en costume de bain sortant de la mer. Il en devient plus humain. Ce qu’il a réalisé comme avocat, Conseiller national ou Conseiller fédéral est peu important. Ne parlons même pas de Pierre Maudet. Mais Yvan Perrin ou Valérie Garbani ont été stigmatisés publiquement pour leur propension à l’alcool, alors qu’il s’agit d’un drame personnel méritant la compassion et la discrétion plus que la réprobation. On a reproché à Pascal Broulis des voyages à l’étranger tous frais payés et ses navettes entre deux domiciles. Isabelle Moret est blâmée non pas pour ce qu’elle fait mais parce que l’administration fiscale est en retard dans l’envoi de ses taxations.

Toutefois ces mesquineries ordinaires ne sont rien à côté du sabotage récent de Viola Amherd, procédant de l’amalgame le plus grossier. Celui-ci compromettrait, semble-t-il, son éventuelle candidature au Conseil fédéral. Or, il s’agit d’un banal procès civil opposant l’hoirie Amherd, propriétaire, à un locataire au sujet du montant des loyers. Cela n’a strictement rien à voir avec l’engagement politique de cette conseillère nationale. Il n’y a rien de déshonorant à être partie à un procès civil. Il faut bien que les tribunaux servent à régler les différends de nature financière. Mais cela donne une page entière de 24 Heures sous un titre : « Viola Amherd condamnée ». Le lecteur pressé, ne faisant pas la distinction entre civil et pénal, lui aussi condamne déjà l’intéressée, présumée suspecte. De quoi ? En fin de compte d’être propriétaire et de recourir à la justice ?

Est-on assuré que ces révélations inutiles proviennent seulement de la nécessité de vendre du papier en fabriquant de gros titres attrape gogo ? Car ce genre d’attaques peut aussi servir les compétiteurs dans une course à l’élection, en déconsidérant un(e) concurrent(e). Est-on bien sûr qu’il n’y a pas dans certain cas manipulation de l’opinion publique par manipulation préalable de la presse ?

Avant tout les politiciens ont droit à leur vie privée comme tout citoyen. S’ils font un excès de vitesse, s’ils boivent une fois de trop, s’ils ont traversé en dehors des clous, cela ne regarde pas les électeurs mais la police. Lorsqu’il y a interférence entre la vie privée et leurs fonctions publiques, ils sont couverts, comme tout citoyen, par la présomption d’innocence jusqu’à ce qu’un tribunal tranche le cas. Sinon s’établit petit à petit, par dérive médiatique, une sorte de monstre juridique, la présomption de culpabilité.  En somme, tout élu serait déjà, de ce seul fait, un délinquant en puissance. Intéressé par le pouvoir, il avoue par ce seul vice qu’il en cache bien d’autres.

 

 

L’amour aux CFF, expression ultime de la suissitude

 

Nos murs furent jadis orné d’une affiche à l’entête des CFF représentant un jeune père disant à sa petite fille: “En entrant dans le train, j’ai tout de suite remarqué ta mère”. Quel rapport entre les CFF et cette conversation familiale? Aucun apparemment. C’est bien ce que vise le rédacteur de la publicité. J’y pense depuis vingt ans. Ce publicitaire avait du génie.

Car il faut réfléchir un bon bout de temps pour construire dans sa tête un véritable roman feuilleton : le père raconte à sa fille comment il a rencontré, dans un train CFF pour la première fois, celle qui devait devenir sa femme. La vie même de la petite fille devient une conséquence directe de cette rencontre fortuite dans ce lieu inattendu. Si les CFF n’existaient pas, jamais la petite fille ne serait née. Elle est un peu la filleule de la Confédération Helvétique, représentée par sa branche ferroviaire.

Alors, nous poursuivons notre déambulation, songeant à cette affiche et son message s’imprime en nous par l’effort de déchiffrement qu’il exige. Nous nous mettons à rêver. Avons-nous pris suffisamment le train pour rencontrer à coup sûr la femme ou l’homme de notre vie? L’expression “transports en commun” possède un double sens, l’un ferroviaire, l’autre érotique. Un wagon reste à la fois le dernier salon où l’on cause et le lieu de la drague la plus convenable qui soit, sous l’œil bienveillant mais sévère du contrôleur.

L’entreprise de séduction prend un aspect subtilement fédéral qui renvoie aux valeurs éternelles de l’Helvétie ferroviaire. Dans un train qui arrive toujours à l’heure, est-il possible de rater son rendez-vous avec l’âme sœur ? Car il s’agit d’un train suisse. Nul n’aurait l’idée de rencontrer la future mère de ses enfants dans un RER parisien où les jeunes filles connaissent davantage le viol que l’anneau nuptial. Ou dans un métro new-yorkais où le fiancé potentiel risque bien plus d’être dévalisé par des voyous que de remarquer une chaste et pure fiancée. Les jeunes filles, qui s’installent dès le matin pour trouver un mari dans un train effectuant continuellement la navette entre Saint-Gall et Genève, sont les plus recommandables, bien plus que celles qui hantent les cafés, les boites de nuit, les théâtres d’avant-garde, les réunions syndicales ou politiques, les universités.

Or, cette rencontre, que j’oserais qualifier du premier type, ne peut se faire que dans le train. Si vous circulez en voiture, le slogan devient : “En renversant son cyclomoteur, j’ai tout de suite remarqué ta mère” ou bien “En choisissant parmi les autostoppeuses, j’ai instantanément distingué ta mère”. Si vous circulez à pied, cela donne : “En suivant toutes les filles possibles, j’ai fini par découvrir ta mère.” D’un mauvais goût écœurant.

L’idée du train comme lieu privilégié d’un coup de foudre comporte un élément rationnel et rassurant. Le jeune homme prend le train pour aller à son travail. Ou même, mieux encore, il est en uniforme et se rend à son cours de répétition : il est déjà sous-lieutenant. La jeune fille va à l’école, une école d’infirmières par exemple. Ou bien, mieux encore, elle se rend au chevet de sa grand-mère impotente et son sac contient une galette et un pot de confiture. Pour passer le temps, elle ne lit pas un mauvais roman, mais elle tricote une écharpe pour la fête de son papa. Elle garde les yeux baissés.

Alors lui s’approche, met un genou en terre, si possible en choisissant une section de voie en ligne droite pour éviter la culbute toujours délicate en de telles circonstances. Elle lève des yeux interrogateurs et il lui dit d’une voix douce et mâle à la fois : “En entrant dans le train, je vous ai tout de suite remarquée. Voulez-vous être la mère de mes enfants ?”

Toute demande en mariage effectuée dans ces conditions donne lieu à deux billets gratuits pour Venise, dans la mesure où la déclaration en est faite immédiatement au contrôleur, fonctionnaire assermenté chargé d’authentifier les intentions matrimoniales.

 

 Pour des notables publics vertueux et sédentaires

 

En Suisse, la façon la plus sûre de briser une carrière politique consiste à accepter une invitation à voyager tous frais payés. Le président du Conseil d’Etat genevois l’a appris à ses dépens. Pour sanctionner ses erreurs de communication, la sanction est sévère. Car un magistrat reste un homme faillible, sauf à ne courir jamais aucun risque. Il y a de ça dans le jugement populaire : mieux vaut ne pas gouverner que de mal gouverner, à son estime. Certes un magistrat ne peut accepter quelque avantage que ce soit, si cela conditionne l’attribution par lui-même d’un avantage à celui qui l’a invité. Mais c’est seulement dans ce cas précis que réside la corruption. Sinon cela fait partie des cadeaux que tout un chacun peut recevoir de la part d’un ami. La question devient : le membre d’un gouvernement peut-il avoir des amis ?

Sans qu’il y ait apparemment de relation de cause à effet, l’EPFL vient aussi de publier une directive contrôlant la liberté de ses collaborateurs d’accepter de telles invitations. Tout comme pour les membres d’un exécutif, quelle est la pertinence d’une telle suspicion ? D’autant que l’EPFL reconnait n’avoir jamais rencontré un cas d’avantages qui poserait un problème. On se prémunit contre un embarras qui ne s’est jamais produit, car il faut prévenir tout reproche, même non fondé. Telle est la sagesse politique dans le contexte helvétique. Selon un proverbe latin, non seulement la femme de César doit éviter l’adultère, mais aussi son simple soupçon.

D’où vient cette phobie populaire des voyages ? Ceux-ci sont, dans l’opinion publique et dans une certaine presse, l’équivalent de vacances. Pour la plupart des citoyens, c’est l’occasion de s’évader, de découvrir des pays, de se reposer, de se détendre. En un mot c’est un divertissement qu’il faut payer de sa poche. Le reproche à l’égard des notables porte sur la nature du voyage : ce serait un plaisir plutôt qu’un travail, une frasque sans nécessité, une mondanité.

Certains nourrissent donc l’obsession d’un gouvernement cantonal strictement limité à la gestion des affaires locales, sans aucune raison admissible de sortir des frontières suisses, sinon couvert par des frais personnels ou par des finances publiques, à l’extrême rigueur. De même le professeur d’université serait un personnage poussiéreux enfermé dans son cabinet, dont il ne devrait sortir sous aucun prétexte.

Or, le monde change. Il se mondialise même. Les responsables politiques ou scientifiques ont donc  le devoir impératif de se tenir au courant de ce qui se passe ailleurs, de rencontrer leurs homologues, d’intéresser des firmes à s’établir en Suisse, de collaborer avec des laboratoires étrangers, de susciter des sponsors, d’être invité à donner des conférences ou des cours dans d’autres universités. Un responsable sans réseau étranger manque à son devoir. Car il a toujours une fonction annexe d’ambassadeur.

Mais peut-il la remplir avec l’argent des contribuables ? Non, car ceux-ci ne manquent pas de s’en offusquer. Lorsque Joseph Deiss fut président de l’Assemblée des Nations Unies, on s’est mis à critiquer ouvertement que ses déplacements à New-York soient financés par le budget fédéral. Pourquoi avait-il accepté cet honneur coûteux ? Était-ce à la Suisse de dépenser pour ce grand machin sans utilité ? Lorsque l’on prévoit dans un projet scientifique autre chose que des salaires et des équipements, par exemple des déplacements pour participer à un congrès, c’est la première dépense qui sera coupée par un fonctionnaire zélé, frustré de ne pouvoir voyager aux frais de l’Etat.

Quoiqu’en pensent certains, si prompts à censurer les politiciens ou les fonctionnaires, la Suisse est un petit pays dans un monde peuplé d’Etats démesurés et tout-puissants. Elle ne peut vivre sans exporter des produits ou des services de haute technicité. Dès lors, un politicien ou un chercheur ne travaille pas pour sa satisfaction personnelle, pour son ego, pour sa gloriole, mais pour soutenir la continuelle métamorphose de l’économie nationale. Plus qu’une information écrite, le contact à l’étranger est nécessaire et les rencontres essentielles. Il faut cesser de les critiquer. Car la seule façon irréfutable de garder les mains propres, c’est de les tenir en poche.

 

Un mythe écorné

 

En Suisse, par définition les institutions jouissent d’aussi peu de pouvoir que possible. Car, le peuple est le souverain, du moins en apparence, parce qu’il vote sur une douzaine de sujets chaque année, dont il ignore souvent tout ou presque. Le résultat ressemble parfois à celui de la roulette russe. Bien entendu dans cette foire d’empoigne, le pouvoir de fait est souvent capté par l’économie, gouvernant l’opinion par les médias, les achats par la publicité, les votations par des subventions et le parlement par les lobbys. Face à ce pouvoir économique, le législatif et l’exécutif fédéral sont faibles. Ni le parlement, ni le Conseil fédéral ne disposent de moyens suffisants, non seulement pour confisquer le pouvoir, mais même pour l’exercer.

En effet le parlement ne se réunit que 52 jours par an, ce qui ménage de grands intervalles de temps pour faire des mauvais coups, les parlementaires ne disposent pas d’un secrétariat et ils sont obligés de gagner leur vie par ailleurs. Il n’y a pas grand-chose à redouter de cette assemblée sans moyens. Quand le peuple vote une initiative manifestement déraisonnable, les élus n’ont que le seul recours de traîner les pieds en manifestant suffisamment d’inertie pour éviter les catastrophes. C’est au fond leur seul pouvoir, celui qu’avait les parlements des monarchies de droit divin sous l’Ancien Régime, celui d’enregistrer avec mauvaise volonté les lois décrétées par le monarque. Le parlement fédéral n’est pas conçu comme un moteur, mais comme un frein. Dès lors, autant l’organiser à l’économie, par le système de milice.

La milice est une des piliers de la démocratie helvétique. Elle revient à demander à chaque citoyen de s’engager pour le bien public sans en attendre une rémunération adéquate, voire en n’étant pas rétribué du tout. C’est autant d’économisé sur les impôts. Dans les débuts, cela allait de soi. Cela commence à grincer.

Même si le système de milice est une vache sacrée de la politique, il n’en comporte pas moins tellement d’inconvénients pour le parlement fédéral qu’il faut oser le remettre en cause. Non seulement il soumet les parlementaires à un employeur, dont ils ne sont parfois plus que les émissaires au Parlement, mais il ne les rémunère pas dans une juste mesure pour le travail à accomplir. Prétendre que la fonction de parlementaire fédéral n’est qu’une charge à tiers ou quart temps est une illusion. En réalité elle signifie normalement une présence d’une centaine de journées ouvrables sans compter les autres obligations à l’égard du parti.

Ce système à l’économie ne procure pas une liberté suffisante, pour s’investir dans des dossiers très complexes, appartenant à des domaines très divers. Il faut simultanément devenir un expert ou du moins un connaisseur de domaines aussi variés que les transports, la santé, les retraites, l’armée, les finances, l’énergie, les télécommunications, l’environnement. S’investir sérieusement demande du temps. C’est devenu aujourd’hui une fonction à temps plein, qu’il faudrait rémunérer en tant que telle, tout en prohibant dès lors tout autre engagement professionnel ou avantage financier, tels les conseils d’administration. Il faut demander aux parlementaires ce que l’on demande à des magistrats : une indépendance rigoureuse. Rémunérés par d’autres, ils ne sont plus indépendants, car celui qui les paie est leur maître.
Souhaiter un parlement professionnel va à l’encontre d’un sentiment populaire bien ancré. Selon le mantra courant, il ne faudrait surtout pas que la représentation parlementaire coûte trop cher ou même que ce devienne un emploi convenable. Il faut que ce soit un engagement presque bénévole, qui est donc réservé soit à des personnes fortunées, soit à celles munies d’emplois flexibles. Le résultat, c’est que le parlement ne comporte pas de gens qui soient simplement des employés ou des ouvriers, tenus par leur emploi, ou de petits commerçants qui ne peuvent fermer boutique moitié de l’année. Ni des mères de jeunes enfants, donc d’aucuns pensent que leur place est à la maison. Ni des jeunes qui sont en train de démarrer une carrière.

C’est donc dans une large mesure une assemblée d’avocats, de médecins, de paysans, de syndicalistes, de cadres, de fonctionnaires cantonaux ou communaux, de retraités. Les lobbys sont souvent internes à l’assemblée : il y eut un représentant attitré d’une grande entreprise pharmaceutique, rémunéré par celle-ci. En ce sens c’est devenu tout sauf un parlement de milice représentant le peuple dans toutes ses couches : le concept était concevable voici deux siècles avec une seule session par an. Aujourd’hui c’est devenu un mythe romantique, qui dissimule une assemblée corporative. Or, le bien public ne se résume pas à la somme des intérêts particuliers.

L’Espagne n’est pas la Suisse

 

Le président déchu de la Catalogne, Carles Puigdemont, a été invité lors d’une fête jurassienne pour bien marquer la similitude de destins de ces deux régions qui aspiraient et aspirent à une forme d’autonomie ou d’indépendance. Le président catalan a souligné cette communauté de destinées, mais il a ajouté sans illusions : « Malheureusement l’Espagne n’est pas la Suisse ».

Par malheur c’est vrai. En Suisse, l’expérience a démontré qu’une région qui désire constituer un nouveau canton parvient à l’obtenir, non sans peine, mais à y arriver de toute façon si le peuple concerné le veut vraiment. De même si une commune désire changer de canton, comme Moutier, elle peut l’obtenir. En fin de compte, c’est bien le peuple qui décide de la communauté dans laquelle il désire s’inscrire. Et on ne voit pas au nom de quoi on pourrait s’y opposer. Ce n’est ni à un gouvernement, ni à un parlement, ni à une administration à se substituer au sentiment, à la passion, au penchant d’une population. Les sentiments ne se commandent pas. A les contrarier pendant des siècles, on les renforce. C’est un respect élémentaire de l’autre que de l’accepter dans sa différence, de la respecter et de la promouvoir.

Or l’Espagne en question n’est devenue un pays unitaire que très tardivement. Le mariage d’Isabelle et de Ferdinand créa l’Espagne par la fusion au XVéme siècles de deux États souverains, lCastille et Aragon , de l’absorption  du royaume arabe de Grenade  et du royaume de Navarre. Cet ensemble devint un Etat unitaire seulement voici   trois siècles. A l’époque l’Allemagne et l’Italie étaient du reste de pittoresques et sympathiques mosaïques de principautés. C’est la France jacobine, le produit de la sanglante Révolution, qui est devenue le prototype de l’Etat-nation en écrasant les particularités, souvent par la violence. Ce travail fut parachevé à la fin du XIXe siècle par l’école obligatoire et laïque imposant la langue française, en éradiquant l’alsacien, le flamand, le breton, le basque, le catalan, l’occitan. L’unité de l’Allemagne et de l’Italie ne date que d’un siècle et demi, avec un résultat désastreux : ces pays à peine constitués se sont imaginés devoir conquérir l’Europe.

En Suisse cependant, quatre langues et d’innombrables dialectes ont été jalousement préservés. C’est exceptionnel dans une Europe déchirée à certains endroits par de véritables guerres linguistiques. Denis de Rougemont s’est fait le prophète d’une Europe des régions, plutôt que d’un espace de libre échange comportant 28 Etats-nations, souvent artificiels, jalousement recroquevillés sur un patriotisme archaïque, dont l’objectif est de préserver l’intégrité du territoire élevée au rang d’objectif indépassable.

Or les régions rejettent de plus en plus ce corset historique. Non seulement la Catalogne, mais l’Ecosse, la Flandre, le pays Basque, la Lombardie aspirent à une forme d’autonomie ou d’indépendance qui leur permettrait de se sentir pleinement à l’aise dans une Europe fédérale. D’ores et déjà Tchèques et Slovaques se sont séparés pacifiquement, Serbes et Croates dans la douleur Il n’est pas nécessaire d’être une nation pour « faire nation » comme les Suisses le font si bien et pour la fonder plus sûrement sur des patriotismes emboités. Un Tessinois, un Vaudois ou un Bernois, en étant d’abord chacun eux-mêmes, n’en sont pas moins Suisses.

La Suisse est donc, de ce point de vue un modèle. Mais est-il exportable ? Car le problème majeur de l’Europe est précisément de préserver les appartenances régionales tout en « faisant nation ». Si l’Europe veut tenir tête à ces colosses que sont la Chine ou les Etats-Unis, elle doit fonctionner comme un seul Etat, pas seulement comme un espace de libre échange. Elle doit aussi préserver jalousement les régions en leur laissant une véritable autonomie, y compris en matière linguistique, fiscale, éducative, sociale. Le secret de la Suisse serait donc la solution à l’impasse actuelle de l’UE. Mais ce secret se mérite. Il a fallu sept siècles de démocratie pour le procurer. Or, ’Europe ne peut plus attendre sept siècles. Elle doit faire nation tout de suite. Dès lors la Suisse ne doit pas se demander ce que l’Europe peut faire pour elle, mais ce qu’elle peut faire pour l’Europe. Car elle n’est pas une île au milieu du Pacifique.

 

 

 

 

Le populisme coûte très cher

Une information longtemps inaccessible vient d’être révélée par le Secrétariat d’Etat à la formation (SEFRI). Depuis la votation de 2014 contre l’immigration, la Suisse a pâti de son écartement du programme européen de recherche Horizon 2020. Comme cette décision était contraire au principe de libre circulation des personnes, l’UE a décidé de geler les négociations pour son futur programme de recherche. La même décision fut prise pour le programme d’échange d’étudiants Erasmus

Le coût de cette carence, c’est-à-dire l’absence de subsidiation par l’UE de certains projets suisses, a été supporté par la Confédération, soit 1,14 milliards. De même, le Conseil fédéral, qui estime qu’un retour au sein du programme Erasmus n’est plus réaliste, demande au Parlement de libérer en plus 114,5 millions de francs pour 2018-2020. Tel est le prix comptabilisable du vote populaire du 9 février 2014. Pendant des années, cette information fut refusée aux parlementaires qui en faisaient la demande, sous le prétexte invoqué que le SEFRI était dans l’incapacité de calculer. En fait l’information était politiquement explosive : l’UDC à l’origine de la votation aurait perdu la face.

Le peuple a tous les droits. En novembre il se prononcera à nouveau sur le droit à l’autodétermination qui menace 600 traités économiques. Il faudrait qu’il sache clairement que ses décisions ont des coûts exorbitants. Pas à la charge d’une sorte de caisse noire de la Confédération qui pourrait à tout moment imprimer des billets. A la charge du contribuable, c’est-à-dire de vous et moi. La Suisse grâce à la qualité de son système universitaire était bénéficiaire des échanges avec l’UE : elle percevait plus de subsides qu’elle n’avait payé de cotisations. Grâce au talent de nos négociateurs à partir de 2017 la Suisse a pu réintégrer le programme de recherche européen. Mais cet arrangement est précaire, à la merci d’une autre décision populaire.

Pourquoi notre parti populiste, premier parti suisse, s’obstine-t-il à mettre en péril nos relations scientifiques et économiques, qui sont du reste étroitement liées ?  Sans une recherche de pointe, les nouvelles entreprises lancées dans des projets ambitieux ne seraient plus alimentées en idées. Aucun parti n’a pour objectif, conscient ou inconscient, de ruiner notre économie, de détruire des places de travail et d’abaisser le niveau de vie.

Il faut donc plaider l’ignorance du populisme. Il souhaite simplement agiter le peuple avant de s’en servir, organiser des votations à répétition pour engranger des voix lors des élections. Rien de tel que de faire peur au peuple, en dépréciant les autorités politiques, en brandissant la menace d’une invasion par des immigrants, en plaidant l’incompatibilité de l’islam avec notre civilisation. Si le résultat de cette peur est des élections triomphales, quelle importance les effets collatéraux! Il faut d’ailleurs préciser que notre grand parti populiste place l’apprentissage avant la formation universitaire, suspecte de former des esprits critiques, irrécupérables pour un parti extrémiste.

Mauro dell Ambrogio, secrétaire d’Etat à la tête du SEFRI, prend sa retraite. Il ne risque plus la vindicte de la puissante UDC. Ceci expliquerait peut-être pourquoi une information très importante, l’ampleur d’un trou dans la caisse, n’a pas été révélée plus tôt au Parlement. Dans la dérive vers un pouvoir extrémiste, il est sans doute plus tard qu’on ne pense.