L’EPFL doit-elle se délocaliser?

 

Parmi les multiples initiatives courageuses de Patrick Aebischer, on peut citer une volonté affirmée de décentraliser l’école fédérale basée à Lausanne. Cette politique n’est pas évidente dans la tradition universitaire. Selon sa définition originale, universitas studiorum, le but de l’université est de professer de omnibus rebus et quibusdam aliis, (au sujet de tout ce que l‘on peut savoir et même de plusieurs autres). C’est la coexistence en un campus de diverses facultés, qui définit une université, tant il est vrai que le savoir des hommes est un tout que l’on ne peut fragmenter ou isoler. Les paléontologues ont besoin de physiciens pour dater leurs découvertes et ceux-ci des mathématiciens pour définir des modèles de la Nature.  De grands projets naissent au détour d’une conversation impromptue dans une cafétéria.

En soi, l’existence des deux Ecoles Polytechniques suisses en dehors des universités cantonales viole cette règle, comme c’est d’ailleurs le cas pour la plupart des écoles d’ingénieurs à travers le monde. Lors de leur création au XIXe siècle, on a estimé que la technique n’avait pas sa place à l’université, que ce n’était pas un savoir, mais un savoir-faire empirique. On serait aujourd’hui presque de l’opinion contraire. A tort ou à raison, la technique qui conditionne l’économie est le facteur principal de la croissance, c’est-à-dire du seul progrès que nous reconnaissions.

La Valais est un vieux pays, occupé depuis les temps les plus reculés, entré dans l’Histoire avec les Romains. Il demeure largement ce qu’il fut : pays d’agriculture et plus récemment de tourisme. La modernité ce furent les barrages. Mais il n’y avait point d’institutions universitaires. Il n’était pas anormal pour l’EPFL de placer des extensions à Neuchâtel, Genève et Fribourg en collaboration avec les universités locales. En revanche placer des laboratoires de recherche à Martigny, Sion et Sierre revenait à installer ces chercheurs en dehors de campus existants et du bouillon de culture scientifique qu’ils constituent selon la tradition. Or celle-ci a changé.

Le risque ne s’est pas matérialisé car ces laboratoires fonctionnent aussi bien que s’ils étaient à Lausanne. Cela rejoint une remarque d’Albert Einstein à qui l’on demandait quel serait son travail préféré et qui mentionna gardien de phare parce que l’on n’y est pas distrait par son environnement. Il y a des avantages et des inconvénients à la proximité et à l’éloignement. En l’occurrence ils se compensent parfaitement parce que la communication à distance est devenue instantanée grâce à Internet. Plus que la cohabitation avec des disciplines différentes, un laboratoire est surtout en liaison permanente avec d’autres laboratoires situés dans le vaste monde traitant du même sujet de recherche. La délocalisation s’inscrit donc dans  la ligne d’une autre initiative de l’EPFL, les MOOC qui dispensent le même enseignement à des dizaines de milliers d’étudiants dans tous  les pays par le truchement d’Internet. Aujourd’hui le campus est la planète.

Si tel est le cas, il faut veiller à ce que la Suisse ne s’isole pas de ce campus comme cela fut le danger après la votation de 2014 contre l’immigration. Il faut impérativement que les étudiants, les chercheurs, les enseignants de toutes nationalités, couleurs de peau, religions circulent librement partout, y compris en Suisse. Il n’y a qu’une seule Science. Tant pis pour les pays qui ne le comprennent pas.

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

8 réponses à “L’EPFL doit-elle se délocaliser?

  1. Cet article traite la complexité du sujet (notamment en rapport avec les sensibilités locales) en répétant des idées reçues et des banalités, fussent-elles en Latin.
    Venant d’un(e) autre auteur(e), je ne crois pas que cet article aurait été publié.
    Votre âge vous honore, M. Neirynck !

    1. Je me suis fait un devoir de publier ce commentaire bien qu’il fût aussi peu pertinent qu’impertinent. Une fois de plus, faute de pouvoir articuler un argument sur le fond, le correspondant s’en prend à la personne de l’auteur. Il y a de bons arguments contre la délocalisation. Il serait intéressant de les entendre. Cela s’appelle un débat. C’est le but d’un blog.

  2. Aujourd’hui, non seulement la délocalisation ne pose aucun problème, mais elle favorise même la coopération entre chercheurs. L’exemple de l’IDIAP à Martigny le montre fort bien. Fondé en 1991 avec le soutien de la Fondation Dalle Molle pour la qualité de la vie, il est l’un des trois premiers instituts de recherche en intelligence artificielle (IA) établis en Suisse. Comme ses homologues genevois et tessinois, l’IDIAP oeuvre en partenariat avec les Hautes Ecoles, grâce au mécénat d’Angelo Dalle Molle, inventeur de… l’apéritif Cynar et promoteur de la voiture électrique, pour ne citer que deux des nombreux centres d’intérêt de cet industriel italien, philantrope et philosophe, gentleman de la Renaissance et disciple de Pic de la Mirandole égaré dans l’incohérence du monde contemporain.

    C’est à lui, dont l’oeuvre est tout entière consacrée à mettre la technique, et en particulier l’informatique, au service de l’homme, et non l’inverse, que la Suisse doit ses trois premiers instituts de recherche en intelligence artificielle (IA), modèles de partenariat public-privé – l’ISSCO (Institut des Etudes Sémantiques et Cognitives) , associé depuis 1989 à l’Université de Genève, l’IDIAP, à Martigny, qui travaille en relation étroite avec l’EPFL et l’Université de Genève, et l’IDSIA à Lugano, partenaire de l’Université du Tessin. Malgré une certaine délocalisation, leur cohabitation se passe fort bien, et ceci depuis leur fondation, voici déjà trente ans. Pas mal, pour une danse moderne (l’IA), non ?

    Parmi les autres instituts de la Fondation Dalle Molle, on peut encore citer Ediplant, établi à Conthey, en Valais. Spécialisé dans le domaine de la recherche agricole, cet institut collabore depuis 1988 avec les autorités valaisannes et la Confédération.

    N’en déplaise aux esprits chagrin, dont l’intelligence très artificieuse n’a d’égale que la stupidité naturelle, oui, la science forme une seule et même communauté mondiale. Même le plus modeste chercheur indépendant, sans être affilié à une Haute Ecole, peut en faire partie, notamment grâce aux associations actives dans son domaine de spécialisation. Le problème n’est pas tant l’appartenance ou non à une institution de recherche que celui de la sélection des chercheurs. Ceux-ci sont encore, comme depuis toujours, choisis, en quelque sorte, à la tête du client.

    Belle armoire bien fermée, l’Université. Beaucoup de pots, peu de confitures (dixit Edmond Gilliard).

  3. Sadati est discourtois envers vous. C’est certain. Mais avouez que dans cet article vous avez tout de même des propos quelque peu condescendants à propos du Valais. Etant un peu valaisan moi même, je l’ai ressenti.

    1. Lorsque j’écris qu’il n’y avait pas d’université au Valais, j’énonce une fait.
      Cela n’a pas empêché l’EPFL d’y installer une extension qui a parfaitement fonctionné. Ce n’était pas gagné d’avance, ce n’était pas évident. Le propre d’un visionnaire comme Aebischer est dépasser l’habitude.
      En quoi mon texte est-il condescendant à l’égard du Valais puisque cela a réussi? On peut donc parfaitement y installer une recherche de pointe au niveau mondial. Je conçois cela comme un compliment. Ma thèse est clairement que la science n’a que faire des frontières, des passeports et des préjugés.

  4. Ca n’est pas du tout désobligeant de dire que le (et non la) Valais n’avait pas d’unversité, même si jadis il y avait à Sion une école de droit. ll n’y a pas d’université aux Grisons non plus, ni en Argovie, cantons très populaires. Ce qui est un peu vexant pour les Valaisans ce sont les phrases du genre :

    ”La Valais est un vieux pays, occupé depuis les temps les plus reculés, entré dans l’Histoire avec les Romains”. Autant dire totalement arriéré. Ce n’est pas gentil de dire ca.

    Enfin, je suis peut-être trop sensible en tant que Valaisan.

    D’ailleurs le Valais n’a jamais été occupé, sauf du temps de Napoléon.

    1. Un “vieux pays occupé depuis les temps les plus reculés” signifie que des hommes y ont vécu depuis la préhistoire la plus lointaine, pas que des armées l’aient occupé jusqu’à ce que les Romains arrivent pour y introduire leur civilisation et leur langue. Le Valais a une histoire très longue : c’est un compliment!

  5. OK, explication acceptée. “Peuplé”, au lieu d'”occupé”, n’aurait pas laissé place à ce malentendu. Mais je vous remercie de l’explication de texte, qui fait apparaître votre propos, en effet, comme plutôt flatteur. Merci du compliment.

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