Pourquoi la droite est devenue climatosceptique

 

C’est une question qui laisse perplexe. Le fonds de commerce de la droite est son nationalisme, sa xénophobie, son soutien de l’économie libérale, sa méfiance de l’Etat. Qu’est-ce que cela a à voir avec le déni de réalité que constitue le climato scepticisme, qui devient un peu ridicule tant les signes de la transition climatique se font visibles ? Quelle mouche pique la droite ?

 

D’aucuns répondront sommairement : notre droite est la plus bête du monde. En jugeant ainsi, ils s’estiment les plus intelligents. Leur condamnation n’est dès lors qu’une tautologie. Cette droite, qu’ils stigmatisent, a le seul tort de ne point penser comme eux et de se condamner par le fait même. C’est tellement primaire que cela incite à penser que la droite aurait peut-être raison et qu’un salubre scepticisme en matière de climat serait la meilleure des positions. Dans le grand débat sur le climat, comme dans toute controverse, ce qui est exagéré et insultant devient insignifiant et contreproductif.

 

Il faut donc chercher quelque raison raisonnable pour que la droite défende cette thèse saugrenue. Elle-même en avance trois : il n’y a pas de réchauffement climatique ; s’il y a un réchauffement, il n’est pas du fait de l’homme ; le serait-il même, qu’il ne constitue pas une catastrophe. L’argumentaire de la droite patine entre les trois positions en vue d’échapper à toute critique. Comme rien n’est sûr et que tout est vague, on peut défendre toutes les thèses car elles se valent toutes et s’annulent mutuellement. De leur côté, les prophètes de la transition climatique, arcboutés sur des faits irréfutables, paraissent en comparaison têtus, bornés et maniaques. Les spécialistes de la climatologie semblent privés de compétence face à des experts autoproclamés.

 

Pour sortir de cette controverse insensée, on peut se référer à la théorie mathématique des jeux. Sans la développer, on illustrera son champ d’application par un exemple simple. Si plusieurs grandes surfaces sont en concurrence sur un territoire donné, la somme de leurs chiffres d’affaires est déterminée par le nombre et le pouvoir d’achat des consommateurs. Tout ce que l’une peut gagner est déduit de ce que gagnent les autres : c’est un jeu à somme nulle. En supposant que la concurrence ne peut porter sur les prix (rabotés) ou sur la qualité (médiocre), le seul paramètre disponible est la durée d’ouverture. Lorsqu’une surface l’augmente, les autres sont obligées de suivre et, à la limite, le service devient disponible sept jours sur sept y compris la nuit. Tel est le cas aux Etats-Unis.

 

Si au contraire on désire protéger le personnel et prévenir une surenchère ruineuse pour les consommateurs, il faut que les pouvoirs publics interviennent et fixent des heures limites. Ce qui est coutumier en Europe. Ce qui suppose un Etat de droit et des syndicats bien présents. Ainsi, dans un jeu à somme nulle, la plus mauvaise solution finit par s’imposer, sauf si un agent extérieur intervient.

 

Dans le même esprit, il y a le dilemme du prisonnier qui caractérise en théorie des jeux une situation où deux joueurs auraient intérêt à coopérer, mais où chacun choisira de trahir l’autre. Car si l’un coopère et que l’autre trahit, le coopérateur est fortement pénalisé. Si les deux joueurs trahissent, le résultat est moins favorable que si les deux avaient choisi de coopérer.

 

 

Ce schéma se transpose dans la transition climatique. Aussi longtemps qu’ils sont libres de leurs choix, les Etats refusent de réduire leur empreinte CO2, parce que leur capacité concurrentielle en souffrirait au bénéfice des autres Etats. Dès lors, tous se regardent en chiens de faïence, signent tous les traités du monde, mais se gardent de les appliquer. Et voilà pourquoi rien ne se passe.

 

La maîtrise du climat constitue un problème planétaire parce qu’il n’y a qu’un seul climat et une seule planète. L’incurie des uns nuit à tous, y compris au coupable. Or, l’enjeu ultime est la survie de l’espèce. A ce problème planétaire il n’existe qu’une seule solution : un exécutif planétaire doté de moyens de coercitions pour se faire obéir de tous. L’Etat-nation devient une survivance du passé.

 

C’est évidemment insupportable pour la droite, car cela reviendrait à liquider son fond de commerce. Puisque la solution ne lui agrée pas, elle se résigne à prétendre, à l’encontre de l’évidence, qu’il n’y a pas de problème. Aussi longtemps que les peuples pourront se leurrer sur la réalité du phénomène cette non solution sera viable. Et puis elle s’écroulera avec le même fracas que la chute du Mur de Berlin. Comme le disait déjà Lénine « les faits sont têtus ». Ce n’est pas tout à fait juste. Les faits ne peuvent être que ce qu’ils sont, mais parfois les hommes sont têtus.

 

 

Où allons-nous?

 

Pour savoir où nous allons, le mieux est de se rappeler d’où nous venons. Or, on en sait de plus en plus et c’est assez intéressant.

Si l’on se réfère aux premiers chapitres de la Genèse, l’homme, puis la femme, sont créés, en dehors du règne animal, par une action, compréhensible voici trente siècles, où le Créateur effectue avec de la boue l’œuvre d’un potier, auquel il insuffle son propre esprit. Le récit est semblable à ceux des mythologies égyptienne et mésopotamienne. Il n’a aucune signification historique. Cette image exprime pourquoi l’homme a été créé : elle ne prétend pas préciser le comment.

Le comment est de plus en plus révélé par les découvertes de la paléontologie. Les spécialistes estiment que la séparation de l’homme et de l’animal s’est échelonnée entre 19 et 7 millions d’années. A l’origine, nous avons eu un aïeul commun avec les orang-outangs, les gorilles, les chimpanzés, les bonobos. Ces lignées animales se détachèrent successivement du tronc commun, jusqu’à l’apparition de notre aïeul initial, dit Toumaï, voici 7 millions d’années, le prédécesseur de la lignée des australopithèques, qui elle-même engendra, cinq millénaires plus tard vers -2,8 millions d’années, Homo habilis notre ascendant direct. Cette émergence fut donc naturelle, lente et continue par contraste avec le récit selon la Genèse, qui est à la fois magique, instantané et unique. De même, elle établit un lien étroit avec les primates en particulier et tous les animaux en général : ceci enseigne une première leçon selon laquelle les animaux ne sont pas des choses.

En parallèle avec l’animal Toumaï qui a réussi à engendrer, après plusieurs milliers de millénaires, le premier homme, il y eut aussi d’innombrables cousins disparus. Diverses espèces d’hominiens, égarées dans des impasses de l’évolution, sont totalement disparues, parce qu’elles furent incapables de s’adapter à un environnement changeant, parce qu’elles ne survécurent pas lors des bouleversements du climat, parce qu’en un mot elles ne sont pas arrivées à devenir de plus en plus humaines. Selon la règle implacable de l’évolution, parmi diverses espèces apparentées, certaines disparaissent pour faire place à la mieux adaptée. Il est vain de vouloir rechercher dans ce foisonnement d’espèces un couple dont descendraient tous les hommes actuels, sinon en remontant très haut, vers des humains très primitifs, incapables du discernement moral qui justifierait l’interprétation traditionnelle du péché originel.

Nous, les Européens, Homo Sapiens métissés de Neandertal, sommes les bénéficiaires de plusieurs extinctions massives, parce que nous avons résisté à des modifications rapides du milieu, qui ont éliminé nos concurrents. Nous aurions pu ne pas apparaitre. Nous sommes le fruit d’un enchaînement de défis, que nous avons tous surmontés. C’est l’explication de notre espèce, sa définition, sa méthode de sélection à la fois biologique, technique et culturelle.

On conçoit que cette émergence fut sans cesse menacée et qu’elle dépendit de nombreux aléas. Le plus spectaculaire fut l’extinction massive à la fin du Secondaire, voici 66 millions d’années. Depuis 170 millions d’années les dinosaures de toutes espèces régnaient sur la Terre en ne laissant que peu de place aux mammifères, de petites tailles réfugiées dans des terriers. Une météorite d’une dizaine de kilomètres de diamètres percuta la Terre au Yucatan. La perturbation du climat résultat des débris rejetés dans l’atmosphère qui fut obscurcie au point que les végétaux, nourriture des dinosaures herbivores, disparurent entrainant leur mort suivie par celle de leurs prédateurs privés de proie. Sur cette Terre désormais libre les mammifères prospérèrent et donnèrent par évolution toutes les espèces que nous connaissons, en terminant par nous-mêmes.

La chute de cette météorite fut donc l’acte préalable de notre occasion d’émerger. Elle résulte de la rencontre parfaitement déterministe de deux objets célestes, sans qu’on puisse y voir quelque intention que ce soit, mais l’application aveugle des lois de la gravitation. Il n’y a aucun hasard au sens propre du terme. C’était inscrit dès le départ de l’accrétion du disque solaire qui donna naissance aux planètes.

Où allons-nous donc ? Selon le même déterminisme, notre espèce a évolué jusqu’à inventer la science, les techniques industrielles et se multiplier par quatre en un siècle. Dès lors nous avons modifié un paramètre essentiel de la planète, la composition de son atmosphère, qui est essentielle pour notre survie. Nous n’avons pas évolué au point de considérer lucidement ce danger. Nous y courons donc tout droit comme jadis tant d’espèces humaines disparues par leur inadaptation à l’environnement. La seule question intéressante est de savoir quel sous ensemble d’humains vont survivre et comment. Les Scandinaves par leur position géographique qui leur permettrait d’échapper à une montée de 4 degrés de la température et par leur démocratie hautement développée ? Ou bien quelques Suisses réfugiés dans les montagnes ? Qui va bénéficier de la prochaine extinction massive ? La vie est toujours la plus forte. Soyons donc confiants.

 

 

 

 

L’abstinence n’est pas une vertu

 

 

Ils ne fleurissent que trop les blogs qui prônent de boycotter la Fête des Vignerons, car celle-ci célèbrerait une substance toxique : le vin. Tout d’abord il s’agit de fêter un métier, pas son produit. Ensuite cette honorable corporation n’a pas à être vilipendée parce qu’elle produirait un poison. Cette thèse, très courante, ne résiste pas aux faits : en pratique les pays producteurs et consommateurs de vin ou d’autres boissons alcooliques n’en souffrent pas dans leur espérance de vie. Bien au contraire, les pays abstinents n’en tirent aucun bénéfice.

 

Comparons les données connues. Parmi les dix pays champions mondiaux de l’espérance de vie, quatre sont producteurs et gros consommateurs de vin, dans l’ordre : en deuxième position mondiale après le Japon, la Suisse avec 11,5 l. équivalent d’alcool pur ; en 5, l’Espagne avec 10 l. ; en 7, l’Italie avec 7.5 l. ; en 9, la France avec 10, 7 l. Pour ces pays, l’espérance de vie à la naissance se situe entre 82 et 83 ans.

 

Très loin dans le classement il y a : en position 59, l’Algérie avec 0.9 l. ; en 64, la Tunisie avec 1.9 l. ; en 79 la championne de la prohibition, l’Arabie Saoudite avec 0.2 l. Leur espérance de vie se situe aux alentours de 75 ans. En d’autres mots, les pays consommateurs de vin jouissent de 7 années d’espérance de vie supplémentaire.

 

Cela ne signifie pas que le vin en soi soit un facteur de santé, mais qu’il nuirait bien moins qu’on le prétend. Cela ne signifie pas qu’il ne se trouve pas des alcooliques, qui meurent prématurément, mais qu’en moyenne pour un pays la consommation de vin est un facteur positif. Bien entendu, il y a d’autres facteurs comme la qualité du système de soin. Mais le bilan global est clair. Cela signifie que la définition du vin n’est pas l’ivresse. Cela signifie qu’une éducation au goût est importante pour la santé physique et mentale. Peut-être la pratique du plaisir stimule le cerveau et bénéficie à tout le corps. L’usage du vin n’est pas l’abus et n’est pas en soi critiquable. La vertu de tempérance n’est donc pas réductrice à l’abstinence.

 

Dès lors, les abstentionnistes de la Fête des Vignerons cèdent à une illusion courante dans une foule de domaine : l’abstention de tout serait une vertu. Il faudrait se passer de sel, de sucre, de viande. Il vaut même mieux s’abstenir de relations sexuelles. Tout plaisir est suspect et se paie par des maladies, des malédictions, une mort prématurée. En se privant on avance en vertu, qu’elle soit religieuse ou laïque. En se sacrifiant, on se réserve une place de choix au paradis, réel ou fantasmé. Il faut résister aux tentations, à toutes les tentations, qui sont autant de pièges du diable.

 

Selon cette logique délirante, il faudrait alors éviter les activités en montagne car elles peuvent être dangereuses, la circulation automobile car il y a des accidents, la prise de médicament car ils ont des effets secondaires. En s’abstenant de vivre pleinement, en se mortifiant on se persuade que l’on vivra plus longtemps tant on a peur de la mort. On anticipe la fin de la vie en réduisant celle-ci à une corvée ennuyeuse.

 

L’abstinence est aussi une des thèses favorites de politiciens extrémistes et de journalistes envieux, qui exigent à bon compte une vertu extravagante. On en a eu des exemples impressionnants avec l’affaire de Rugy en France, Maudet et Barazzone en Suisse. Si un politicien, sans violer la légalité, dans le cadre de ses fonctions, est soupçonnable de se faire plaisir, il est indigne d’exercer le pouvoir. Il doit démissionner vite fait bien fait et renoncer à tout avenir politique. Les homards, le champagne, le Bordeaux sont réservés à leurs légitimes consommateurs : les riches. Les voyages dispendieux à l’étranger sont le privilège des chefs d’entreprises.

 

Dans un tout autre domaine, les prêtres catholiques s’efforcent de donner l’exemple d’une vertu extrême en se condamnant à une continence perpétuelle. Mais par un retour de bâton significatif, certains ont des concubines et des enfants cachés, d’autres sont à la fois homosexuels pratiquants et homophobes en parole, d’autres sont poussés à des crimes comme la pédophilie ou le viol de religieuses. Même si la majorité du clergé n’y sombre pas, cette déconfiture de quelques-uns dit à quel point l’excès d’une supposée vertu peut mener à une réelle débauche,

 

Tout compte fait, dans la réalité de la vie de tous les jours, l’abstinence de quoi que ce soit n’est pas une vertu, elle constitue le risque du vice. On se prémunit de celui-ci en pratiquant la tempérance, qui est l’exigeante vertu du juste milieu : user de tous les plaisirs sans en abuser, vivre sans exagérer, maîtriser ses pulsions. Et si l’on n’est vraiment pas capable de se contrôler, cela ne justifie en rien que l’on fasse la morale aux autres.

On peut être égaux sans être identiques

 

 

Trottinant avec prudence sur un terrain miné, Cesla Amarelle évoque l’opportunité de cours de mathématiques strictement réservés aux filles, pour les encourager à faire des études dans les branches techniques et scientifiques, où elles sont actuellement en minorité. Si l’objectif va de soi, la méthode est ambigüe. Faut-il donner davantage ces cours aux filles parce qu’elles seraient moins aptes à ces études que les garçons ? Certainement pas dans l’esprit de la Conseillère d’Etat. Depuis des décennies, elle se bat pour réaliser l’égalité des sexes : dans cette perspective, ce serait paradoxalement un pas en arrière

 

D’ailleurs, il y a déjà plus d’étudiantes que d’étudiants. Le taux de femmes dans les études supérieures a passé de 38% en 1990 à 50,4% en 2015. Dans certains bastions masculins, la part d’étudiantes a fortement progressé, passant notamment pour l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 18% en 2000 à 29% en 2014. L’Ecole polytechnique de Zurich (EPFZ) a même atteint un taux record de nouvelles étudiantes, avec 32,5%. On est loin de la situation voici un demi-siècle où les étudiantes ingénieurs se comptaient sur les doigts de la main. La transition s’opère spontanément.

 

Faut-il l’accélérer ? Et pourquoi ? Bien que le déséquilibre inverse existe en médecine où les filles sont bien plus nombreuses que les garçons, on ne propose pas de cours de biologie réservés aux mâles pour les attirer en médecine. Pourquoi réclamer un équilibre des sexes dans chaque faculté ? Pourquoi ne pas admettre que le sexe prédispose à certains métiers. La médecine exige des rapports humains qui sont moins présents en technique. Du moins dans l’image qu’un jeune peut s’en faire.

 

Par ailleurs, certaines catastrophes techniques donnent l’impression que cette discipline est davantage gouvernée par le mirage du gain que par le respect de la vie. On commence même à découvrir que l’informatique, bien qu’elle ne mette pas directement en danger des vies humaines, a cependant de lourds inconvénients. En résumé, les filles ont, avec quelques bonnes raisons, manifestement moins envie de devenir ingénieur que médecin.

 

En supposant même qu’il faille absolument les appâter, est ce que des cours de mathématiques supplémentaires y réussiront ? Cela ressemble à une carte forcée. Puisque les filles sont moins intéressées aux mathématiques, on va leur en imposer davantage. Et quelles matières va-t-on enseigner ? Qu’est-ce qui ferait apparaître l’intérêt du métier d’ingénieur, sinon des cours de technique dès le gymnase ?

 

Quels cours de mathématiques prédisposent vraiment à réussir sa première année de polytechnique ? La réponse est loin d’être évidente. Les cours dispensés lors des deux dernières années d’enseignement obligatoire sont inspirés par le ludique, la mode intellectuelle, les manies des différents cantons. Par exemple dans le canton de Vaud on enseigne la cryptographie, la détermination des décimales du nombre pi, le pavage, mais pas vraiment la trigonométrie. C’est intéressant mais pas immédiatement utile.

 

Or, en première année de polytechnique, tous les étudiants sont censés disposer du même bagage initial. Ce qui n’est pas le cas. Dès lors le problème réel n’est pas la tendance des filles à refuser de devenir ingénieures, mais la situation de tous les étudiants sans discrimination de sexe. On aimerait savoir quel est le taux de réussite des étudiants suisses comparés à leurs camarades étrangers, ainsi que le succès de certains cantons par rapport à d’autres : comme cette donnée statistique n’est pas disponible, il semble qu’elle soit révélatrice de différences gênantes entre cantons et d’un niveau général des gymnases suisses qui serait inadéquat.

 

Dès lors, on aboutit à une conclusion évidente : s’il faut un cours de rattrapage pour accéder aux Polys avec une chance de réussir, il doit être accessible à tous les candidats pour les Ecoles polytechniques, le sexe n’ayant rien à voir. Les choses étant ce qu’elles sont, il faudrait peut-être imposer à tous les entrants un examen pour évaluer leur niveau et prévoir une année de préparation pour tous ceux qui en ont besoin.

 

Pour aller au fond du problème, on peut estimer que le réel désamour des filles pour la technique provient du milieu, de la famille, de l’école obligatoire, de la presse, des réseaux sociaux. C’est dans l’unique mesure où cet environnement a rapidement changé que davantage de filles se sont inscrites à l’EPFL. C’est un problème de civilisation. Plus il y a de femmes dans les exécutifs, dans la direction des entreprises, dans les conseils d’administration, plus leurs filles seront tentées de suivre la même carrière. Ajoutons-y des crèches à des prix abordables, des congés parentaux, des allocations familiales, une égalité rigoureuse des salaires et l’on aura alors fait tout ce qu’il fallait. Plus et mieux qu’un cours supplémentaire de mathématiques, un emplâtre sur une jambe de bois.

 

Les homards de monsieur de Rugy

 

 

Entendu en prenant le café ce matin : deux Vaudois discutent du dernier scandale dont ils ont eu connaissance ; à Berne, on servirait du homard aux politiciens. Rassurons-les tout de suite, ils sont victimes d’une erreur d’interprétation, d’une nouvelle écoutée d’une oreille distraite. Ce scandale épouvantable s’est produit à Paris, ville de débauche, et pas à Berne, siège de la vertu. A ma connaissance, aucun restaurant de la ville fédérale ne sert du homard. Je me demande même si le mot homard existe dans la langue vernaculaire locale. En revanche, on sert à Berne une cuisine à la fois coûteuse et pas goûteuse : l’émincé de veau à la zurichoise, le Wienerschnitzel, le jambon aux röstis. Les parlementaires se repaissent donc, mais ils ne poussent pas le vice jusqu’à manger. Le seul mot de gastronomie serait obscène. Le devoir passe avant le plaisir.

 

Tandis qu’à Paris, le président de l’Assemblée nationale, devenu depuis ministre de l’écologie, s’est livré à une provocation. Pour quelques repas de fonction, il  a invité des convives, auxquels ont été servi du homard. Cette nouvelle stupéfiante a secoué la Ville Lumière jusque dans ses fondements et a failli entraîner la démission du ministre. On ne lui reprochait rien dans son travail actuel, mais on avait déterré un vice bien caché : le homard. Or, à Paris il existe quelques dizaines de restaurants qui servent du homard, parfois démocratique avec des frites. Il ne faut pas se demander pourquoi ce qui est autorisé aux citoyens devrait être refusé à la table du second personnage de la République dans l’exercice de ses fonctions de représentation. C’est que tout est symbolique : il aurait dû se souvenir du destin de la reine Marie-Antoinette qui avoua préférer la brioche au pain. Ces faux pas ne pardonnent pas à Paris. Elle fut décapitée. Il a failli perdre sa place.

Dès lors la question se poserait-elle de déterminer par voie d’ordonnance les plats autorisés aux invités de la République française ? Eliminons tout de suite d’autres mets symboliques : le foie gras (on torture les oies) et les huitres (on mange des animaux vivants). Le populaire steak frite est condamnable par suite des conditions d’abattage des bœufs, de leur émission de méthane (empreinte carbone), de la quantité d’eau qu’ils absorbent (la sécheresse menace). Ne parlons même pas de gibier. Que reste-t-il ? Le hachis Parmentier, les harengs saurs, la soupe aux choux, voire la boite de sardines. Et encore ! Les gilets jaunes se plaignaient de n’avoir plus comme pitance que des pâtes industrielles. C’est peut-être une issue. Lors de la prochaine invitation à l’Elysée de la reine d’Angleterre, il faudrait lui servir un spaghetti bolognais. Vexée de ce manque de considération pour son rang, elle sera en même temps impressionnée par la neuve vertu des Français, renonçant à leur fâcheuse tendance de se faire plaisir à table.

 

Reste à découvrir par quel truchement ces homards furent dévoilés à la presse. Personne n’a fait le rapprochement avec le limogeage de la directrice de cabinet, Nicole Klein. Or, elle seule était en possession de tous ces détails. A-t-elle voulu se venger de monsieur de Rugy ? Celui-ci aurait-il dédaigné ses avances ? Ou plus banalement oublié de l’inviter à sa table ? Cherchez la femme !

 

Au crime des homards, on a rajouté d’autres reproches : on prétend que monsieur de Rugy a offert à sa femme un sèche-cheveu plaqué or. C’est bien dans l’esprit du temps : on se contente de toc alors que les rois de France donnaient des ustensiles en or massif. On a extrait des caves de l’hôtel de Lassay un Bordeaux 2004 estimé à 550 euros au lieu de le mettre en vente pour alléger le budget de l’Etat. L’appartement de fonction a été rénové pour 63 000 euros. Etc. En somme le homard, à lui tout seul, ne pesait pas bien lourd. La presse a mitonné un mille-feuille de reproches mineurs pour que tous ensemble ils pèsent plus. Le but est évidemment d’affaiblir la Macronie en dévissant le second personnage du gouvernement. Aussi bien la droite classique que la gauche traditionnelle n’ont pas supporté d’être écartées du pouvoir

 

Revenant au point de départ on peut affirmer que cette comédie endiablée ne peut se jouer qu’à Paris, qu’on en fera un film, qu’on en parlera longtemps encore pour éviter d’évoquer les vrais problèmes. A Berne cela n’arrivera jamais, car on souhaite ardemment  que rien ne s’y passe.

Le déni de réalité, couteau-suisse de la politique

 

La série télévisée Tchernobyl a eu un succès inattendu, sanctionné par une audience explosive. Elle relate, épisode après épisode, non seulement la lutte des sauveteurs sacrifiés, pompiers, mineurs, soldats, mais aussi et surtout l’attitude lâche et absurde des autorités, dans la centrale, dans la région, au gouvernement de l’URSS. Cette série constitue une métaphore des relations du pouvoir politique avec la réalité. Si le directeur n’avait pas été promu pour son orthodoxie marxiste plutôt que pour sa compétence, l’accident ne se serait pas produit. Si les autorités locales n’avaient pas nié l’évidence, la population de Pripiat eût été évacuée tout de suite et le retard n’eût pas entrainé tant de morts. Leur nombre est et restera inconnu, jamais dévoilé, entre quelque milliers et cent mille. Cette réalité (pour les défunts) est insupportable pour les responsables, qui la cachent pour mieux la nier même aujourdhui. Le seul bénéfice de ces sacrifices fut l’effondrement du régime soviétique et la disgrâce du communisme dans le vaste monde. Au nom de l’excellence supposée du marxisme, les décideurs furent aveuglé : un ingénieur communiste ne pouvait par définition commettre d’aussi lourdes erreurs ; elle n’avait donc pas été commise.

Le déni de réalité est une posture courante dans la pensée de gauche qui suppose qu’il existe un citoyen vertueux, apte à travailler pour la gloire de l’Etat en se contentant de miettes. A droite, on cultive l’illusion inverse que le marché laissé à lui-même règlera tous les problèmes, si l’Etat ne s’en mêle surtout pas. Malgré les fantasmes de la gauche et de la droite, il n’y a pas plus de citoyen vertueux que de marché parfait. La réalité est à mi-distance de ces deux fictions.

Ces deux dénis de réalité typiques se reproduisent continuellement en politique, même helvétique. Il y a toujours quatre centrales nucléaires en Suisse à proximité de grandes villes qui sont à merci d’une erreur humaine ou d’un accident naturel : le déni de réalité consiste à estimer qu’aucun ingénieur suisse ne commettra jamais d’erreur ; c’est la version nationaliste de la posture marxiste en Union soviétique.

Il y a toujours au Palais fédéral une grande ignorance, réelle ou feinte, du réchauffement climatique. Aucune mesure sérieuse n’a été prise. Le peuple ne l’accepterait pas. Comme il est souverain, ni le parlement, ni le conseil fédéral n’osent le contredire. C’est le déni de réalité propre aux courtisans.

Dans la gestion des affaires les plus ordinaires, le déni de réalité permet aussi d’esquiver la solution de problèmes insolubles en se persuadant soi-même qu’ils n’existent pas. La précarité du système des pensions en est le meilleur exemple. L’AVS dans son principe revient à distribuer chaque année aux retraités les cotisations des actifs. Ce principe est réaliste et fonctionnel aussi longtemps qu’il y a quatre travailleurs pour un pensionné. Si celui-ci touche 60% du salaire moyen, la charge des cotisations n’est que de 15%, réparties astucieusement et artificiellement entre patron et employé.

Le principe serait toujours applicable si l’espérance de vie à la prise de pension ne changeait pas. Or, pour donner suite aux progrès de la médecine, l’espérance de vie à 65 ans est passée de dix à vingt ans. La réalité impose donc de reculer de dix ans la prise de pension. Ou bien de doubler les cotisations. Ou bien de diviser par deux les pensions. Comme aucune de ces trois démarches ne plait au peuple, comme la réalité est insupportable, on fait comme si de rien n’en était, on chipote un peu sur les cotisations, on augmente un peu la TVA qui rogne sur les pensions, on ne touche surtout pas à l’âge de la pension car la sanction par les électeurs serait terrible. La seule solution efficace, réaliste, durable est niée. Et on continue à supporter un déficit qui va croître.

Même déni pour la médecine dont on voudrait comprimer les coûts en la rationnant, mais sans que cela soit trop visible. Même déni pour la sécurité nationale que l’on prétend assurer avec une armée, parfaite pour les conflits du passé, en niant l’existence de dangers bien plus réels et bien plus inquiétants. Même déni pour la relation avec l’UE, puissance de 500 millions d’individus auxquels on prétend imposer les caprices d’un petit pays de huit millions.

Le déni de réalité est la posture la plus confortable pour un individu, pour un couple, pour une entreprise, pour un parti, pour un pays. C’est un rêve éveillé, c’est l’attitude des enfants affrontés aux tourments de l’adolescence et de l’âge adulte. Beaucoup de politiques prétentieuses ne sont que des enfantillages. Plus loin, lorsqu’il est trop tard, c’est une sédation profonde et continue avant la disparition.

Avant qu’il soit trop tard

 

Après une semaine de canicule éprouvante, lorsque les citoyens pestent contre les excès de chaleur, lorsque des records absolus de température sont atteints et dépassés, c’est le moment de faire l’état des lieux, c’est-à-dire de comprendre pourquoi rien n’a été fait à temps, pourquoi à des degrés divers les décideurs sont climatosceptiques.
Il y a trois espèces de climatosceptiques.
La première soutient qu’il ne se passe rien d’autre que des fluctuations statistiques de la météo : elle réfute les mesures de la température croissante de la planète en les attribuant à des manipulations de l’opinion publique manigancées par des organes officiels, c’est-à-dire non crédibles, menteurs, mythomanes. Il n’y a donc rien à faire.
La seconde admet que la température augmente mais nie que cela puisse être le résultat de l’activité humaine en se référant aux variations antérieures du climat suscitées par des cycles astronomiques. Il n’y a donc rien à faire.
La troisième admet que le réchauffement est dû à l’activité humaine, mais qu’il est supportable, que ses conséquences ne sont pas graves et que lutter contre lui nuirait à l’économie. Il ne faut donc rien faire.
Avant qu’il soit trop tard, il faut considérer la planète en refusant de s’angoisser. L’anxiété, mauvaise conseillère, engendre la panique qui pousse aux décisions étourdies. Surtout, elle décourage d’entreprendre. Cela explique la présente indifférence politique face au défi climatique.
Ou bien c’est vrai et il n’y aurait plus rien à faire parce que peuple n’acceptera jamais les mesures impopulaires. Ou bien c’est faux et il ne faut rien faire non plus. Pour rester les bras croisés avec une bonne conscience, les décideurs se convainquent que ce ne soit ni vrai, ni faux, dans la zone grise des menaces latentes, des préjugés incertains et de l’avenir imprévisible. Ils réussissent selon les circonstances à passer d’une catégorie de climatosceptiques à une autre au fil de la même intervention.
En réalité, si on veut limiter la hausse de la température de la Terre à 1.5°, il faudrait réduire l’émission de CO2 de 35 milliards de tonnes en 2018 à 10 milliards de tonnes en 2050. Cela signifie revenir un siècle en arrière, en 1950, mais dans un tout autre monde, avec une production industrielle multipliée par dix et une population par quatre. Quoique ce ne soit pas impossible, ce sera très pénible. Dans l’état actuel des consciences, cela ne se fera pas, parce que les peuples ne voudront pas diminuer délibérément leur niveau de vie, avant d’y être contraints par l’ampleur des catastrophes.
Nous ne sommes pas seulement confrontés à un problème technique et économique, qui comporte des solutions bien connues, mais nous affrontons aussi une injonction à remanier la civilisation.
Notre espèce humaine est l’aboutissement d’une série de défis environnementaux du même ordre, qui furent surmontés chaque fois par le dépassement du système technique existant et aussi par la réforme des institutions sociales et des croyances religieuses, qui les sacralisaient. La sanction latente de chacun de ces défis était l’extinction d’une tribu, d’une civilisation ou de l’espèce.
De même aujourd’hui, si nous continuons sur notre lancée, la planète ne pourra plus pourvoir aux besoins de la population actuelle. La crise à venir, la sixième extinction de masse, exécutera automatiquement le tri des peuples, en sélectionnant les plus aptes à la survie, ceux qui auront à temps adapté leur système technique et modifié leur mentalité.
Concrètement pour la Suisse le défi consiste à passer d’une importation de 80% de son énergie sous forme de combustibles fossiles vers une quasi autonomie en collectant l’énergie solaire, éolienne, géothermique sur son territoire. Ce serait œuvrer à un accroissement de sa souveraineté réelle. Refuser ce défi, nier la réalité, revient à placer la souveraineté helvétique dans un univers fantasmé. Il n’est pas trop tard mais beaucoup de temps a déjà été perdu.

Il faut et il suffit du courage pour surmonter un défi

 

Tous les défis sont des occasions de se surmonter. On en a de multiples témoignages avec ceux et celles sur lesquels le malheur a fondu : maladie, invalidité, accident, séparation, chômage, pauvreté. Même si le handicap n’a pas disparu, l’individu s’est renforcé. C’est pourquoi tant de Suisses quittent délibérément leur zone de confort pour s’imposer des épreuves extrêmes ; marathon, trekking, escalade, navigation. On peut supporter ou même choisir la difficulté pour en sortir grandi. On peut aussi la nier ou la fuir et subir les conséquences de cette nonchalance, lâcheté ou déficience. Le culte de l’ignorance ou de la faiblesse est mortel pour l’esprit et le corps.

Le pire des défis auquel nous sommes tous confrontés, individuellement ou collectivement, c’est celui lancé à la planète par la planète : demeurer vivable bien qu’elle supporte une espèce envahissante, turbulente, négligente et avide : la nôtre. Nous avons modifié un paramètre essentiel de la Terre et nous continuons imperturbablement, bien que les mises en garde n’aient pas manqué depuis un demi-siècle. Il existe bel et bien un défi climatique, assorti d’autres défis, comme l’extinction massive des espèces, la sixième, la première que nous ayons déclenchée et dont nous risquons de devenir les ultimes victimes.

Bien entendu le défi, comme toujours, pourrait être surmonté par une mise en œuvre intelligente de la technique : isoler les bâtiments, les couvrir de cellules solaires, puiser dans la géothermie, etc. Et la Suisse dispose surabondamment des finances pour cette entreprise. Mais la technique et la richesse ne donnent que les moyens de la politique : encore faut-il que celle-ci soit suscitée, entretenue et développée par le consensus des citoyens dans le système démocratique. Si ce n’est pas le cas, c’est le système politique lui-même qui est mis en cause.

On en a eu une illustration éclatante dans la révolte des gilets jaunes : le pouvoir technocratique français s’était imaginé dans  une paresseuse routine intellectuelle, par ignorance des désavantagés, de réduire l’empreinte carbone du pays en augmentant simplement la taxe des comburants. Il négligeait la dimension essentielle du défi : la classe défavorisée de la population est souvent obligée de se déplacer en voiture pour accéder à son lieu de travail et y collecter un maigre salaire. La politique choisie, contradictoire dans les termes, a dû capituler devant l’émeute en achetant le calme par 17 milliards d’euros, bien plus que les taxes en question. Faute d’affronter le défi dans toutes ses dimensions, le système politique s’autodétruit. A limite par la violence, s’il n’y a pas consensus.

Cet exemple démontre qu’il faut en même temps : réduire la consommation d’énergie en agissant sur les prix, sans dégrader le pouvoir d’achat des plus démunis ; faire croitre les secteurs verts, avant de faire décroître des secteurs traditionnels, pour ne pas susciter le chômage ; agir résolument au niveau national, bien qu’un effort planétaire soit indispensable. Soit trois implications du défi. Pour les prendre en compte, il faut en même temps : plus de justice sociale et pas moins ; un développement technique gouverné par l’intérêt de tous et non par le profit de certains ; plus de solidarité internationale et moins de nationalisme.

Beau programme car le défi est gigantesque : il porte sur notre civilisation, qui doit être changée en profondeur et, pour tout dire, améliorée. Le défi matériel exige une conversion morale. C’est bien son but et son utilité. Nos ancêtres ont survécu aux pires défis climatiques spontanés, des périodes glaciaires de 100 000 ans, par leur ingéniosité technique, mais aussi par leur culture et leur religion qui leur donnait le courage nécessaire. Beaucoup d’espèces humaines ont disparu, parce qu’elles n’ont pas réalisé cette révolution mentale. C’est leur élimination qui a défini le petit reste, tellement doué, que nous sommes. Laissé à lui-même, le défi climatique fonctionnera par élimination des moins aptes à sortir de leur aveuglement. C’est la règle de l’évolution qui vaut pour nous aussi.

Le véritable risque est de tourner le dos au défi tant il est ardu. L’homme le plus puissant du monde n’ose pas entreprendre des réformes politiques nécessaires et impopulaires. Il se justifie a priori en niant l’existence même du défi. Il propose une marche en avant dans l’immobilisme. Il nie la réalité brûlante sous ses yeux. La ville de Paradise était située au nord de la vallée centrale de Californie, sa population s’élevait à 26 882 habitants sur 47,3 km2. La ville fut entièrement détruite par l’incendie, dit Camp Fire, qui a débuté le jeudi 8 novembre 2018 et qui a détruit près de 620 km2 et plus de 13’500 maisons. Le président Trump a visité ce champ de ruines, exprimé sa tristesse et réitéré son refus de reconnaître que le changement de climat soit responsable de ce désastre. Il est saisi par une sorte de folie, comme tant de puissants de jadis, comme un héros de Shakespeare, comme Macbeth.

Combien n’y-a-t-il pas de Trump au petit pied dans notre entourage helvétique ? Ils voient les glaciers fondre sous leurs yeux, des trombes d’eau alterner avec des sécheresses, des canicules tuer, une gigantesque migration se préparer et ils ferment les yeux. Le Conseil national a refusé de voter la loi sur le CO2 du Conseil fédéral pourtant bien éthérée. Si l’on évoque le défi climatique dans un blog, on suscite des commentaires butés dans leur déni. Faute de courage, la réalité est remplacée par une entreprise de désinformation, dont le dernier toutes-boites de l’UDC constitue un inquiétant exemple.

Or la Suisse a démontré en maintes circonstances qu’elle était particulièrement capable de surmonter les pires défis, y compris le tout premier, celui de sa topographie montagneuse. Un pays pauvre devenu riche. A trois reprises le peuple souverain a dominé ses peurs et ses aveuglements pour échapper aux guerres franco-allemandes. Il fallut nommer un général muni des plus vastes pouvoirs, entretenir une industrie d’armement, mobiliser une armée de milice entrainée et motivée, ruser avec l’ennemi, dépenser beaucoup d’argent des contribuables. Il a fallu bien du courage mais nos ancêtres en avaient à revendre.  Et cela a payé, la Suisse n’a pas sombré dans la folie collective de l’Europe. Ce défi gigantesque, qui fut surmonté, prouve que celui qui advient peut l’être. Il faut l’envisager froidement, sans céder à une panique suscitée pour des raisons de basse politique, et décider d’agir. Il n’y a pas de problème technique, il n’y a qu’un problème politique. Il faut lui insuffler du courage. Qui connait la recette?

Nyaka, Fokon, Yakapa, Isufi.

 

Tels sont les refrains de toute politique populiste, axée sur le simplisme de solutions inapplicables à des problèmes patents. Le souverain populaire s’irrite de l’impuissance des exécutifs à tout résoudre. Pour répondre à cette attente, il n’y a qu’à, faut qu’on, il n’y a qu’à pas, il suffit.

L’UDC a fait distribuer en Suisse romande une « Edition spéciale » à plus d’un million d’exemplaires, soit un toutes boites. La proximité des élections fédérales suscite une crainte du premier parti de Suisse, qui risque de perdre des sièges faute de s’être engagé dans le vaste débat de la transition climatique. Le peuple (si volatile !) s’apprête à déplacer ses suffrages vers les deux partis suisses qui affichent la couleur verte. Or, le populisme, fondé essentiellement sur la xénophobie, est dans tous les pays viscéralement opposés à entrer dans le débat du climat, pour une raison que l’on va découvrir.

La lecture de ce pamphlet de 8 pages est tout à fait éclairante. Le thème sous-jacent reste le refus de l’immigration. « Un million d’immigrants entraine une consommation de 59 milliards de litres d’eau ». La transition climatique est assimilée à une conséquence de la politique migratoire, imposée par l’ONU, acceptée avec l’UE. Or, il y a du vrai dans cette considération insidieuse. C’est l’évidence : s’il n’y avait pas de migrants, ils ne boiraient, ni ne se laveraient, ni ne tireraient la chasse. Mais cela n’a strictement rien à voir avec le véritable facteur,  la production de CO2, la montée de la température de la planète et ses conséquences.

Pour agiter le peuple avant de s’en servir, il faut certes lui mentir, mais pas n’importe comment. Il faut ruser avec la vérité, en dévoiler une facette et occulter les autres. En fait, il y a même plus de deux millions d’immigrants en Suisse. En revanche, si le pays ne comptait plus que 20% de sa population actuelle, son empreinte carbone, la seul chose importante, serait nulle puisque l’énergie des barrages suffirait. Mais avec ce genre de « si », on pourrait mettre Paris dans une bouteille. Le problème n’est de faire fonctionner la Suisse comme si sa population n’était pas ce qu’elle est et comme si elle pouvait instantanément se passer des immigrants. Car rien moins qu’un quart des médecins ont été formés à l’étranger et 38% du personnel infirmier n’est pas Suisse. Que dire des chercheurs, des enseignants, des ingénieurs, des ouvriers du bâtiment ? Ces habitants louent forcément un quart des logements, achètent le quart des produits de consommation. Nyaka les jeter tous à la porte ? Sans conséquences ?

Le véritable problème est de faire fonctionner le pays tel qu’il est, dans la planète telle qu’elle est. Or le réchauffement climatique est une réalité, attestée par des mesures. Ce n’est donc pas une opinion de la gauche comme l’insinue « Edition spéciale », mais un outil pour celle-ci, fondé sur l’évidence. Selon la contribution révélatrice de Roger Köppel dans ce pamphlet, la gauche sème la panique climatique « pour installer un régime de contrainte et détruire les valeurs libérales fondamentales. » Et ce n’est pas tout à fait faux.

Dans le monde entier, la gauche classique, socialiste, anticapitaliste est en porte-à-faux depuis l’effondrement du communisme. Malgré tous ses défauts, malgré ses retombées inquiétantes, le capitalisme a fonctionné depuis trois siècles pour améliorer le sort des hommes en leur donnant à manger, en les soignant, en les instruisant, tout en négligeant les insolvables. Dès lors, la gauche est à cours de programme économique crédible. Elle est viscéralement étatique, fonctionnarisée, centralisatrice, antilibérale, égalisatrice. Or, ce ne sont plus des thèmes très porteurs ; l’Etat Providence est reconnu comme un mythe ; il n’y a pas de santé, de pension, de transport, d’éducation qui seraient gratuits ; il y a toujours quelqu’un qui paie. Par le biais de la TVA en particulier, de la redevance TV, de l’assurance maladie obligatoire, tout le monde paie de plus en plus et s’en irrite. L’écologie est venue à point comme idéologie de substitution pour la gauche, comme pneu de secours politique.

Par raison de symétrie, l’idéologie populiste se dédouane en stigmatisant cette nouvelle idéologie de gauche. Ainsi le pamphlet se garde bien de parler de la production de CO2, de l’effet de serre, de la fonte des glaciers, des sécheresses, des incendies, des tornades, de la montée des océans. Il occupe le terrain en parlant des « vrais problèmes : exploitation dévastatrice des océans, pollution par le plastic, surpopulation. »

Il y aurait donc de quoi rédiger une thèse de doctorat sur les seules huit pages de l’« Edition spéciale ». Non seulement sur la propagande populiste, mais sur les méthodes classiques de manipulation de l’électorat. Il y a beaucoup de talent, voire de génie, dans ce genre de textes. Déjà dans la Grèce de Socrate, des sophistes défendaient n’importe quelle thèse par leur maîtrise des ressources du raisonnement, vrai ou faux, peu importe.

Cette rhétorique adressée à tous les ménages suisses rapportera des voix. Isufi de rassembler les mécontents de tous bords, les éclopés de la mondialisation, le paysannat en péril, les perdants de l’enseignement, les classes moyennes surtaxées, les chrétiens intégristes terrorisés par la montée de l’Islam. L’amalgame de ces peurs constitue le programme du premier parti de Suisse. Nyaka : reconstruire des centrales nucléaires, n’acheter que des produits agricoles suisses, défendre la démocratie directe, le fédéralisme, la neutralité armée, rompre avec l’ONU et l’UE, refuser les requérants d’asile. Yakapa : renchérir le prix des comburants, interdire le chauffage au mazout, installer des éoliennes, taxer les voyages en avion. Isufi de s’engager « pour une Suisse fondée sur des valeurs chrétiennes », dont sait depuis la prédication de Jésus de Nazareth combien elles sont contraires à l’accueil des étrangers.

Jadis les nations étaient gouvernées par des monarques absolus. Certains prenaient leurs décisions après mûre réflexion. D’autres étaient manipulés par leurs courtisans qui défendaient surtout leurs privilèges. « Edition spéciale » travaille dans le même registre : attirer les suffrages du peuple souverain en flattant ses peurs, ses illusions, ses dénis de réalité. C’est le moyen politique le plus simple et le plus efficace : prendre les gens pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils devraient être.

Pour sortir de l’inertie climatique

 

L’excellent livre de Roger Nordmann « Le plan solaire et le climat » résume en 150 pages un projet d’équipement de la Suisse pour la rendre autonome en matière d’énergie. C’est le genre de document que l’on attendrait de la part du Conseil fédéral, dont la politique a long terme en la matière mériterait d’être formulée en des termes aussi précis et réalistes. Or la loi sur le CO2 déjà timide à l’origine a été vidée de son contenu lors d’un vote du Conseil national le 8 décembre 2018. On n’est nulle part.

On ne peut pas se satisfaire d’une Suisse à 37 éoliennes parce que le droit de recours est aussi étendu. Il faut maintenant forcer le destin. Si l’Autriche en a installé 1 313, la Suisse devrait pouvoir en faire autant. Plus du photovoltaïque en abondance, l’assainissement des bâtiments mal isolés, la géothermie. La technique fournit toutes les solutions mais pas le courage politique.

Face au défi climatique, le fonctionnement de la Confédération n’est pas adapté. Il n’y a pas de chef de l’Etat permanent ou de premier ministre, mais une direction collégiale, où sont représentées toutes les mouvances politiques. Sur la question de la transition climatique, il n’y a pas d’accord possible entre une droite, qui nie ou minimise le problème, et une gauche qui l’agite sans pouvoir le résoudre. Les institutions gèrent admirablement la routine des questions ordinaires. Elles ne sont pas faites pour les situations extraordinaires.

Or, il surgit des cas où l’urgence requiert une autorité suprême. En cas de menace de guerre, l’Assemblée fédérale élit un général qui dispose des pouvoirs les plus étendus. D’une certaine façon, la situation est identique en matière de climat : la survie du pays, voire celle de l’espèce, est en cause. Une autorité supérieure, un « général du climat », peut-être un groupe restreint d’experts, pourrait avoir comme prérogative d’imposer des décisions à la fois indispensables et impopulaires.

Dans un tout autre domaine, on en a eu une préfiguration, face à la menace de faillite de l’UBS. Averti dans l’urgence de la menace d’une cessation de paiement et d’un ébranlement systémique de l’économie suisse, le Conseil fédéral siégea à partir de 9 heures le mercredi 15 octobre 2008.
Dès 13 heures 30, les six membres de la délégation des Finances, trois Conseillers nationaux et trois Conseillers aux Etats, étudient les documents relatifs au plan. A 18 heures 30, en trois heures, la délégation des finances décide à l’unanimité d’octroyer 6 milliards de prêt. Une société de portage créée par la BNS recueillera les placements douteux de l’UBS à hauteur de 60 milliards. A titre de comparaison, le budget fédéral était à l’époque de l’ordre de 60 milliards : le risque était donc considérable. Bien que les chambres fédérales aient été en session, la décision ne leur fut pas soumise. Un autre exercice du pouvoir s’était établi, réaliste, rapide et efficace.

On doit se souvenir que l’économie suisse fut sauvée ce jour-là par la concertation d’un tout petit groupe de personnes, qui prirent tous les risques. On peut souhaiter que le même mécanisme soit mis en place pour la crise climatique. A situation d’exception, il faut une solution adaptée : elle est à portée de main, il suffit de l’activer.