Le Suisse, champion de la démographie

« La Suisse est la nouvelle championne de la longévité de ses habitants. Les centenaires étaient 377 en 1990, 787 en 2000 et 1888 désormais, dont 75% sont des femmes. Un garçon né dans notre pays en 2021 a la meilleure espérance de vie possible, avec 81,9 années, juste devant les Islandais, les Norvégiens et les Japonais. Pour une fille née en 2021, le pronostic est également très favorable, puisque la Suisse se classe 4e, derrière le Japon, la Corée du Sud et l’Espagne, avec 85,6 ans. La Suisse figure également en bonne place sur les chiffres de l’espérance de vie en bonne santé. Un trentenaire d’aujourd’hui peut espérer vivre en bonne santé jusqu’à l’âge de 78,8 ans pour les hommes et de 82,8 ans pour les femmes. »

Comment est-ce possible ? Faut-il s’en féliciter ou non ?

Le plus évident semble d’en attribuer le mérite au système de soins suisse. Mais cette évidence est controversée.  Selon la thèse politiquement correcte à Berne, cette longévité ne serait due que de façon marginale au système de soins. Cette affirmation pesante est un procédé de basse politique pour laisser entendre que nous dépenserions trop d’argent dans le système de soins, que la faute n’en est pas à la Confédération mais aux médecins. Elle dépend d’une supposition gratuite : en médecine ce serait l’offre qui créerait le besoin. C’est se fixer sur l’image du robuste montagnard, qui n’a jamais vu un médecin, qui n’a jamais été vacciné, qui n’a jamais de rhume, qui travaille jusqu’à la veille de sa mort, frappant d’un coup sans frais médicaux. Le système idéal de soins consiste à ne pas avoir à en dispenser. Nous n’en jouissons pas parce que les patients seraient naïfs et les médecins manipulateurs.

Le présent texte s’oppose à cette mythologie rocambolesque. En réalité, la densité médicale en Suisse est juste suffisante pour que tout un chacun ait accès à un généraliste très rapidement et à un spécialiste dans une délai raisonnable, ce qui n’est pas le cas dans beaucoup de pays. Il existe en plus la ressource des services des urgences. En Suisse, les mailles du filet sont donc serrées et beaucoup d’affections graves sont heureusement diagnostiquées à temps. Nous disposons d’un système de soins performant, qui est l’acteur le plus important de la santé nationale. Son coût est élevé, mais pas plus que les pays voisins et beaucoup moins que les Etats-Unis.

Les autres causes de ce record de longévité ne sont pas évidentes. Sans doute la pratique du sport, y compris le ski d’altitude en hiver. La bonne qualité des infrastructures qui limite les accidents. Une nourriture équilibrée accessible pour une population au pouvoir d’achat élevé. Peut-être aussi le bénéfice des institutions, qui privilégient des relations apaisées entre classes sociales, entre le peuple et les exécutifs, et évitent les aigreurs psychologiques. Voilà tout ce pourquoi nous produirions plus de centenaires qu’ailleurs. Ce grand âge ne serait-il qu’un prix attribué à la vertu civique ?

Faut-il s’en féliciter ? Pour ceux qui en bénéficient certainement, pourvu que leur santé continue d’être bonne. Moins pour les patients moyens qui financent ce vieillissement par leurs cotisations d’assurance maladie. Notre superposition de quatre générations mériterait une révolution culturelle à de multiples facettes. Par exemple : l’allongement de la durée du travail pour maintenir l’équilibre de l’AVS, ce qui fera grincer bien des dents ; une correcte prise en compte des patients âgés et handicapés ; un ministre de la Santé à temps plein au Conseil fédéral ; un salaire convenable pour le personnel médical ; la formation en Suisse de tout le personnel dont nous avons besoin plutôt que de piller celui de nos voisins.

On peut se demander dans quelle mesure notre excellent système de soins, assuré par un tiers de médecins et une moitié de personnel infirmiers formés tous à l’étranger, n’est pas une façon de recruter les meilleurs, les plus motivés de tout un continent.  Notre grand âge serait le bénéfice de l’inégalité de fortune. Tous les hommes sont égaux devant la mort, mais les Suisses sont plus égaux que d’autres.

 

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

15 réponses à “Le Suisse, champion de la démographie

  1. Et si notre longévité procédait simplement de la responsabilisation individuelle, qui privilégie un mode de vie saine : pas de fumée, pas de drogues, consommation d’alcool raisonnable (si, si, ça favorise la santé, tant physique que psychique) une alimentation variée, équilibrée et familiale, des activités physiques et intellectuelles de chaque jour, un excellent accompagnement, et finalement la chance d’une hérédité positive, les bons gênes hérités de parents qui ont suivi le même mode de vie sain avec un optimisme de bon aloi…. Foi d’octogénaire bien dans sa tête et dans son corps. Cette chance n’est pas donnée à tout le monde bien sûr, mais l’égalité est un mythe, comme chacun sait !

    1. La responsabilité individuelle est certainement une cause. En revanche le génome des parents est ce qu’ils ont hérité de leurs propres parents sans aucune influence de leur façon de vivre.
      “En Suisse, depuis le début des années 1990, la part de fumeurs est restée stable, à un tiers de la population (27 % des femmes et 38 % des hommes). Tandis que le taux des consommateurs de tabac âgés de plus de 25 ans a quelque peu diminué, celui des jeunes — en particulier les 15-19 ans — a dramatiquement augmenté.”

  2. Au Japon, l’âge maximum pour prendre sa retraite est de 80 ans. Beaucoup de personnes âgées continuent dans la vie active bien après 70ans. Cela requière une santé enviable. Je ne suis pas sûre que les Suisses tiennent la comparaison.

    1. Comparé à Monsieur Neirynck, je dois être un jeunet avec mes 76 ans. Pourtant, j’ai l’impression de n’avoir jamais été aussi actif que depuis mon entrée à la retraite. A vrai dire, je n’ai pas fichu grand’chose pendant ma vie dite “active” et la retraite a toujours été le cadet de mes soucis. Peut-être ceci explique-t-il cela.

      La longévité n’est pas qu’une question d’âge – du point de vue biologique, ne sommes-nous pas programmé(e)s pour vivre cent ans? -, mais d’abord d’état d’esprit. Qu’en pensez-vous?

      1. Je partage ce point de vue. Passer la majeur partie de sa vie active à attendre la retraite me semble d’une infinie tristesse. Mais c’est un sors si commun… Les exemples individuels sur l’état de santé de tel ou telle ne change en rien la vision globale. Je reste dans l’idée que la vitalité des Japonais âgés est remarquable.

      1. Effectivement, les rentes japonaises sont misérables et l’honneur les pousse à refuser d’être à la charge de la société. Mais il y a un autre aspect intéressant: en creux, on en déduit que la société s’organise pour leur permettre de continuer à travailler selon leur capacité… très loin du cliché RH suisse où l’on est grillé à partir de 50 ans.

  3. La psyché des suisses est positive en général car nous avons la quasi certitude de ne pas tomber dans le besoin des choses primaires. Cette tranquillité aide de facto à allonger la longévité de tous.

  4. “On peut se demander dans quelle mesure notre excellent système de soins, assuré par un tiers de médecins et une moitié de personnel infirmiers formés tous à l’étranger, n’est pas une façon de recruter les meilleurs, les plus motivés de tout un continent. Notre grand âge serait le bénéfice de l’inégalité de fortune.”

    Il faut vous reconnaître un don à toujours réussir à tout intérpreter de manière à valider votre idéologie. Sur ce sujet cela demandait de la créativité, bravo!

    1. Cette immigration massive de personnel soignant est une réalité, seule une idéologie peut la nier ou lui troiuver une interprétation différente.

  5. Votre journal préféré attaque la Suisse.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/18/livraison-d-armes-a-l-ukraine-la-suisse-ne-peut-se-retrancher-derriere-sa-neutralite_6162379_3232.html

    Qu’est-ce que ça fait de voir votre centre gauche se retourner contre notre pays, après avoir professé le contraire depuis des décennies.

    En définitive, la droite avait raison? il faut du nucléaire, une armée, des armes et les exporter vers les pays en guerre.

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