La guillotine helvétique est sèche

 

L’usage de la mécanique qui fit les beaux jours de la République française n’est évidemment pas en cause. La guillotine helvétique est sèche, en ce sens qu’elle ne fait pas couler le sang. Elle vise simplement à supprimer les têtes qui dépassent.

Pour l’instant elle fonctionne à répétition pour Pierre Maudet. Il a commis une bourde en acceptant un voyage tous frais payé d’un entrepreneur émirati. C’est une erreur de sa part. Ses mensonges et sa communication maladroite ont envenimé le débat. Chaque jour le couperet tombe dans la presse à la recherche d’éléments aggravants.

Mais ce n’est pas le cadeau en soi qui a mis en route la guillotine. C’est Pierre Maudet lui-même par sa performance antérieure comme Conseiller d’Etat et par son brillant résultat électoral. Ce faisant, il devenait promis au Conseil fédéral auquel il apporterait un certain dynamisme, dont au fond les autres, les médiocres les incompétents ne veulent pas. La guillotine a fonctionné parce qu’il est trop bon, trop compétent, trop travailleur, trop efficace et que cela transparait au point de lui valoir les faveurs des électeurs. Au lieu de courber la tête et de se fondre dans la médiocrité requise, il dépasse les autres.

Le même syndrome s’est manifesté avec Pascal Broulis, Isabelle Moret, Géraldine Savary, Guillaume Barazzone, Yannick Buttet, Jérôme Christen. Comme ils réussissent dans leur fonction publique, il faut trouver le plus vite possible quelque prétexte pour les déconsidérer par leur vie privée. Moyennant une étrange alchimie helvétique, ces faiblesses, ces erreurs, ces gaffes sont montées en épingle au point d’occuper l’espace éditorial, comme si c’était une urgence, une priorité, une question de vie ou de mort pour l’Etat.

Les vices privés, au sens large du terme, peuvent coexister avec une vertu publique exemplaire. John Kennedy était un président exemplaire dont l’appétit sexuel était désordonné. Quelle importance ? Même remarque pour Dominique Strauss-Kahn qui eût fait un excellent président de la République française et un sauveteur du Pari Socialiste. Son remplaçant, le palot François Hollande, se glissait furtivement dans l’appartement de sa maîtresse du moment dissimulé par un casque de motocycliste, mais il était mauvais en politique et sa conduite grotesque n’avait donc pas d’importance.

Les Suisses ne veulent pas du pouvoir personnel. Toutes les institutions politiques concourent à cet effet. Néanmoins certains personnages finissent par briller malgré ces obstacles. Ils parviennent même parfois à gouverner vraiment, à anticiper, à trancher, à décider tout seul quand il le faut. C’est cela l’erreur politique à ne pas commettre. Sinon on finira par mettre en valeur un point faible. Or, qui n’en a pas ?

La Suisse n’est pas une démocratie directe comme on se plait à le souligner, c’est une acratie, un pouvoir sans pouvoir, un Etat qui est au fond sans président, sans premier ministre, sans gouvernement, sans parlement parce que seul le peuple est souverain et que nul ne peut donc lui faire de l’ombre. Il décide ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut parce que tel est son bon plaisir. Les rois de France mettaient à la Bastille ceux qui représentaient une menace sourde pour leur absolutisme. L’opprobre jeté sur Pierre Maudet est l’équivalent d’une mise en Bastille par le peuple souverain.

 

Jacques Neirynck

Jacques Neirynck est ingénieur, ancien conseiller national PDC et député au Grand Conseil vaudois, professeur honoraire de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), d'origine belge, de nationalité française et naturalisé suisse. Il exerce la profession d'écrivain.

16 réponses à “La guillotine helvétique est sèche

  1. Un illustre penseur de la démocratie suisse a écrit ceci il y a peu: “La Suisse est un grand corps sans tête. Il n’y a pas de pilote dans l’avion : non seulement personne ne tient les gouvernes, mais il n’y a même pas de siège prévu. Ce n’est pas nécessaire car il n’y a ni moteur, ni gouvernes. Il s’agit d’une sorte de drone plutôt que d’un avion. Il est piloté par des personnes invisibles. Il ne doit ni décoller, ni atterrir mais voguer dans l’espace au hasard. Or, il ne s’écrase jamais. Cela marche mieux que n’importe quel gouvernement centralisé, muni d’un chef, d’un programme et d’une majorité. Quand personne ne commande, tout le monde obéit. Comme dans une ruche chacun sait qu’il doit s’affairer et que personne ne le remplacera s’il ne fait pas son travail. C’est pareil dans l’évolution biologique : il n’y a pas de pouvoir organisateur. C’est pour cela que cela marche. Il ne faut surtout toucher à rien.”

    Lequel a raison? Lui ou vous?

  2. Je ne comprends pas qu’on présente Pierre Maudet si flatteusement, comme un homme d’envergure, qui serait victime de la guillotine sèche parce que trop brillant et que sa tête dépassait. J’ai toujours eu une autre perception du personnage: “une grande incapacité méconnue” (grosse verkannte Unfähigkeit) disait Bismarck de Napoléon III. Ce serait grandir Maudet ridiculement de le comparer à Badinguet, mais on pourrait lui appliquer le même compliment. C’est un type qui a fait illusion. Voilà tout. Son ego était tellement énorme, il était tellement vibrionnant, vrombissant, narcissique, que les gens , qui sont bonne pâte, se sont attendris sur lui et se sont dit: donnons lui une chance. Puis il a trébuché et on s’est aperçu de sa nullité totale. Il ne reste plus rien de son esbrouffe. On s’est aperçu que tout en lui était vide, creux et insignifiant. C’est tout le contraire de Broulis, qui est un véritable homme de gouvernement, et peut donc traverser des crises et des campagnes hostiles pratiquement sans dommage, car les gens sentent qu’il a de la substance. Maudet n’en a aucune. En ce sens Maudet fait penser à Freysinger: fort en gueule, bluffeur, selbstdarsteller, diraient les Allemands. Freysinger a été plébiscité à un moment donné par un peuple valaisan qui exprimait un profond désir de changement et voulait donner un coup de balai. Freysinger, à ce moment là, était auréolé de la gloire de celui qui avait étonné le monde avec son initiative antiminarets, mouché Dany le rouge “de honte” Cohn-Bendit à la TV, bref Freysinger était une star. Les Valaisans ont cédé au caprice de l’élire au gouvernement. Puis on s’est rendu compte que le personnage était surfait. Et quand il est tombé on s’est aperçu qu’il avait très peu de substance. Tant pis. Je n’aime pas du tout votre collègue de parti Christophe Darbellay, pourtant je sens bien que Darbellay ressemble plus à ce que les gens peuvent attendre d’un membre du gouvernement valaisan. Et d’ailleurs il est plus valaisan, tout simplement, que Freysinger. Pareil pour Maudet. Il se faisait passer pour un Genevois gueule élastique typique, mais on s’est aperçu que c’était un Français. Un bon conseil qu’on pourrait lui donner serait de tenter sa chance en France, puisqu’il est double national. Mais à Genève et en Suisse il est grillé définitivement. Son tour de piste comme candidat au Conseil fédéral était d’un ridicule achevé et dénotait en plus d’une absence totale de sens politique. Si on avait eu pour deux sous de jugeotte on aurait su qu’ arithmétiquement un type comme Maudet est inéligible au Conseil fédéral et le sera aussi longtemps que l’UDC aura le plus important groupe parlementaire à Berne. Donc ça ne valait même pas la peine de se déplacer. Et la preuve en est que Maudet n’a eu que les voix de la gauche, uniquement. Cela démontre que Maudet, le style Maudet et tout ce qui va avec, n’est rien d’autre qu’une illusion à laquelle se raccrochent les euroturbos, car ils sentent qu’ils ont perdu la partie définitivement et donc ils boivent les paroles de n’importe quel beau parleur comme Maudet qui leur dit ce qu’ils veulent entendre.

  3. Il y a une autre guillotine qui fonctionne assez bien en Suisse, dans le domaine scientifique/technique. Au lieu d’être encouragés et supportés, bien des “inventeurs” sont plutôt dénigrés et découragés d’aller de l’avant lorsqu’ils sortent des sentiers battus et ont “raison trot tôt”. Un exemple, parmi beaucoup d’autres, me semble être celui du SWISSMETRO, qui n’a jamais été vraiment soutenu par nos hautes autorités, et qui ressort maintenant aux USA dans une version un peu modifiée (mais plus problématique à mon avis) sous le nom d’ “Hyperloop”. Sans doute que lorsqu’elle aura bien été développée dans ce dernier pays, la Suisse s’y intéressera alors … et paiera des droits à l’étranger pour se procurer cette technologie!

  4. … “Les Suisses ne veulent pas du pouvoir personnel.”…Sur ce point-là, à peu près toute l’Histoire leur donne raison car les Marc-Aurèle, petits ou grands, sont rarissimes alors que les Néron et Caligula sont légions.
    Méfiance et défiance sont donc des vertus cardinales face à tout pouvoir.

  5. Dans le fond, on peut dire de la Suisse qu’elle n’est pas gouvernée, mais administrée. Ca semble ne pas marcher si mal. Mais jusqu’à quand?

  6. Celui ou celle qui possède plus et qui oeuvre à améliorer la situation des autres obtient rarement reconnaissance. L’histoire de Saint-Martin qui était représentée sur l’ancien grand billet bleu de 100 Francs pourrait être récrite sous différentes versions… Le premier chevalier qui a bien chaud passe à côté du pauvre, le laisse mourir de froid, puis continue son chemin à la rencontre des démunis qui baissent la tête à son passage… Le second chevalier s’arrête, offre son manteau en entier, et mourra plus loin, mais le grelottant encore en vie n’héritera pas de la grandeur d’âme du bon chevalier en se réchauffant. Et s’il n’a pas de sabre pour se défendre, tous ceux qui ont froid ne s’inclineront pas devant lui, chacun essayera de lui saisir le manteau qui finira en miettes. Dans la vraie histoire de Saint-Martin, on ne nous dit pas ce que deviennent chacun des personnages après ce partage si équitable, l’histoire était presque belle avant que le pauvre ne réclame l’autre moitié de « son » manteau. La morale peut alors conclure que le bon geste était un mauvais choix, et que les valeurs ou forces spirituelles ne se partagent pas plus facilement sur tous les chemin. Une dernière version actualisée met fin plus rapidement à ce problème apparemment sans issue. Le maladroit chevalier laisse tomber son sabre à terre, le démunis s’en saisit, lui coupe la tête à raz le manteau qu’il lui ôte aussitôt avant de l’emporter en courant. Cette dernière version est très peu morale, mais il faut admettre que ce rapide et définitif partage laisse le manteau intact. Dans cette histoire il y a au moins un gagnant.

  7. P.Y. Maillard dépasse de plusieurs têtes et pourtant continue sa carrière, ce qui démolit votre thèse qui devrait s’appliquer sans exception !
    A l’étranger , l’acharnement contre Tariq Ramadan, que vous avez vous-même dénoncé, la détention de Lula au Brésil, celle de Ghosn au Japon, … montre bien que ce n’est pas une spécificité suisse.
    Voilà donc deux raisons qui démontrent que votre théorie ne tient pas la route .

    1. Bien d’accord les puissants dans le monde entier sont menacés de chute, mais il y a une différence en Suisse. La justice japonaise a sans doute d’excellentes raisons de mettre en cause Ghosn : c’est une affaire judiciaire normale. En revanche, en Suisse, sans que la justice s’en mêle des personnalités sont abattues par une simple campagne médiatique, sans même qu’elles aient enfreint la loi ou qu’on puisse le supposer. On leur reproche des manquements à une “morale” inventée pour les besoins de la cause. Les prétextes sont minuscules, parfois même ridicules, comme pour Savary ou Moret.
      Autres choses sont les affaire DSK et Ramadan. La justice intervient avec vigueur mais sur base de dénonciations douteuses qui finissent par être abandonnées. Ce sont peut-être de opérations de polices parallèles dont les commanditaires resteront inconnus.
      Enfin dans certaines dictatures, la police torture et exécute en silence des opposants jamais jugés.
      Il y a donc une variété intéressante de façon de procéder mais la méthode helvétique est particulièrement sournoise. Elle viole un Droit de l’Homme : ne pas être jugé en dehors des lois existantes.

      1. “La justice japonaise a sans doute d’excellentes raisons de mettre en cause Ghosn : c’est une affaire judiciaire normale.”
        Il me semble plutôt que c’est une affaire hautement géostratégique, alimentée par une accusation prétenduement fiscale. Mais ça, ni vous ni moi ne le saurons jamais. Il n’empêche que le préjudice médiatique pour M. Ghosn est conséquent et mondial.

        Je ne vois personnellement pas beaucoup de différence entre toutes les affaires que vous citez.
        Ils sont tous “présumés” innocents. Aussi, les mettre en garde à vue aussi longtemps que Tarik Ramadan, ça c’est une vraie violation des Droits de l’Homme.
        La séparation des pouvoirs est un mythe, en Suisse, comme ailleurs.

        Après, que les médias qui parfois soulèvent des cas par investigation en fasse leur galette, que d’autres brebis galeuses s’acharnent sur l’os des autres… c’est bien le monde dans lequel on vit et l’on voit bien que les médias parlent d’une voie unique, en Suisse, comme ailleurs, ce qui est le plus grand problème pour la démocratie à mon humble avis.

        Et finalement, être une personne en vue suppose certains risques d’exposition qu’il faut accepter.

      2. @ M. Jacques Neirynck
        Dans le cas Ramadan comme dans les autres cas d’accusation pour viol, il n’y a le plus souvent pas de témoins, et les reconstitutions se basent ainsi sur des éléments qui convergeraient vers une version plus qu’une autre. Les déclarations des personnes dans leur(s) version(s) des faits ne peuvent être considérées comme crédibles avant d’être accompagnées d’un nombre suffisant de preuves ou contre-preuves en attente d’être fournies, cela prend du temps et jusque-là le doute ne peut que subsister. Si la justice n’intervenait pas avec vigueur et rapidité dès le départ, les conditions nécessaires relatives à une enquête seraient impossibles. Le doute est inhérent à ce genre d’affaires encore plus que d’autres qui occupent la justice, mais ne peut être comme tel un instrument de mesure fiable, dans la perspective d’abandonner ou poursuivre une mise en examen. D’autant plus que dans l’affaire Ramadan le doute existe autant sur les déclarations de l’accusé que des accusatrices. Abandonner dans ce cas reviendrait presque à dire : « Rien n’est clair, qu’ils se débrouillent entre eux ». La prolongation de la prescription ne facilite évidemment pas le travail, dix ans ou plus après les faits supposés, la mémoire humaine peut jouer des tours même chez une personne de bonne foi. Ce long délai de prescription est cependant bien nécessaire compte tenu des prises de conscience tardives en particulier chez des personnes qui ont été agressées en jeune âge, ou d’âges plus avancé mais restées dans un état de dépendance ne leur permettant pas de prendre plus tôt le recul nécessaire pour réagir et se défendre. Les cas de viols présumés ont de particulier que le doute porté sur une déclaration d’accusation ou de défense oscille souvent entre le vrai-faux et le faux-vrai. Le voleur à la tire mentira ou dira la vérité, en désaccord ou en accord avec la victime. La relation de cause à effet est bien plus simple à établir…

  8. Le rédacteur en chef de 24heures m’ecrivit, sur le même sujet, vouloir lutter contre l’immoralité. Deach aussi veut lutter contre l’immoralité, non? Les pires ou les moindres crimes humanitaires se commirent très souvent au nom de la morale, de puis tous les temps. C’est tellement tentant. Nos amis journalistes ne se gênent pas de prendre ce couvert : il faut vendre.

  9. Comment dire…? Affligeant. Votre blog a comme titre “Chronique politique sans parti pris”. Quand on lit votre liste de politiciens “injustement” accuses de prise d’interets et de quelques petites libertes avec la deontologie et la bonne gouvernance, ou y voit que des gens de droite. Madame Savary (PS) qui se retire de la vie politique apres des accusations bien moins graves que celles qui pendent au nez du genevois. Dans cette histoire on fraule les risques de corruption, d’avantages donne a des amis, pour le fisc, il n’est pas en reste…. Que demander de plus? Quelle accusations selon vous, devrait tomber pour commencer a pouvoir lui reprocher quelques choses?
    Ce genre de comportement donne du grain a moudre aux populistes de tout poils qui crieront au “tous pourris” et on ne pourra leur en tenir rigueur. En plus, l’acharnement de ce monsieur a vouloir rester en place, fragilise son parti. On n’est pas loin du syndrome Fillon. Il est vrai que s’il reste en place encore quelques mois, il aura droit a une indemnite a vie. C’est quand meme interessant quand le mot scrupule ne fait pas partie de son vocabulaire.
    Le temps de l’impunite et du “circulez il n’y a rien a voir!” est bien revolu. Vous semblez le regretter, mais les temps changent et parfois dans le bon sens.

  10. Comparer le besoin et la necessite de transparence de nos “elites politiques” a DAECH est une honte Monsieur.

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