SANSINTERRUPTION

 SANSINTERRUPTION
Extrait du roman à paraître “On ne pleure plus”

J’ai dû marcher jusqu’à Porta Ticinese pour trouver des feuilles à rouler
QLUV de Dj Ganyani et Wonderboy en boucle : I need somebody to love.


Je me suis dit que ce n’est pas somebody mais bien une communauté que j’aime
Et j’apprends peu à peu à prier les bon.nes ancêtres et à demander à mes ancêtres blancs italiens bourgeois et fascistes de me laisser en paix. Il y a trop de colère il y a trop de regrets. Il y a trop de culpabilité. Trop de bruit.

Mais je fais quand même le travail d’excaver, de comprendre comment et pourquoi et qu’est ce que ça devait être de naviguer dans la blanchité en ayant accès à la richesse, à l’art et aux lumières.

Pendant ce temps, moi, je cherche parmi mes liens le matriarcat. Je cherche la vierge marie quand elle était encore Noire. De ce peuple qui sort d’Egypte après quatre-cent ans d’esclavage.

Je cherche à comprendre comment guérir des traumas intergénérationnels ; et ainsi guérir ma lignée en pratiquant constamment ma raison d’être au monde :

Raconter cette histoire. Sans interruption :

 

 

 

L’institut m’offre un billet d’avion pour rejoindre les autres artistes, sur la colline. Derrière les murs de la propriété il y a du silence. Il y a du soleil. La promesse du sud. Dans le jardin du palace, il y a des arbres que je reconnais de gravures d’antiquaires. Je ne sais pas s’ils sont imprimés dans mes yeux aussi ; et qui de mes antenati aurait voyagé pour Rome. Peut-être toi, Elsa, quand tu chantais pour la Scala, peut-être de passage, avant de rejoindre Alexandrie… Chez nous. En Afrique. Chez nous. Vous y chantiez peut-être, mais nous ne vous avons jamais appartenu. C’est peut-être ce qui vous a rendu fou. Il va vous falloir guérir. Guérir de votre propre fiction de civilisation. C’est votre responsabilité et ce n’est pas notre problème. Certain.es d’entre vous ont pris le parti de se taire, d’écouter… Pour enfin voir

 

que nous avons survécu, évolué; et si nous n’avons jamais existé dans votre regard; nous sommes là, à travailler à devenir chaque jour plus humain.es. Chez moi, le travail consiste à rester ancré dans ce que cela signifie d’être, aussi, blanc. Structurellement, d’abord. Passeport, visa, global north etc. Dans l’espace aussi : avec le masque, avec mes traits de milanais d’antan – la forme des yeux, et les sourcils de ma grand-mère – passer pour blanc, ici, c’est tous les jours. En Suisse c’était une à deux fois par semaine, selon les saisons.  Ça m’a fait un choc de vivre autant de jours sans (micro-)agressions. C’est doux comme la lumière de novembre. Je me suis dit qu’il fallait que j’embrasse cette phase de non-interruption pour écrire cette histoire. Ainsi me le demandent les ancêtres.

 

Il n’y a pas de pôles, que des polarisations de circonstance.

Tout est cercle.

 

Nous apprenons à nous soutenir et à avancer, lutter et nous aimer. Ensemble. Nous faisons communauté. Nous faisons collectif. Nous allons vers le mieux. Nous allons vers l’expression de notre joie. Sans interruption. Sans interruptions. Sansinterruption

 

 

Meloe Gennai

https://www.meloegennai.com/


Meloe Gennai (1986, Genève) – Poésie, écriture
Est un.e poète, écrivain, performer et activiste basé à Genève. Il écrit et performe en quatre langues (français, anglais, allemand, italien). Meloe est un.e auteur publié.e, lauréat.e de la Biennale Robert Goffin (Belgique 2012) et soutenu.e par ProHelvetia pour l’écriture de sa performance littéraire geistig schwach / comment j’ai fait semblant d’être normal (2019-2021) ainsi que pour son projet « Why are we so angry? » (Cape Town 2020), publication collective et video-performance. Il est curateur.trice du livre collectif Thou shalt continueth to slayeth, écrit par queer Black people (Münster 2020).

© Simon Habegger

Istituto Svizzero

L’Istituto svizzero a plus de 70 ans. Il souhaite se faire mieux connaître et illustrer, grâce aux récits de ses résidents de Rome, Milan ou Palerme, comment cette plateforme interdisciplinaire permet à des artistes et à des scientifiques venus de toute la Suisse de développer leurs projets en croisant leurs expériences et leurs pratiques. Sous l’impulsion d’une nouvelle équipe et de Joëlle Comé, sa directrice depuis quatre ans, l’institut a ouvert des résidences à Milan, la ville du design, de l’architecture et de la mode. Mais aussi à Palerme, la cité qui se situe depuis toujours au carrefour des civilisations et de la Méditerranée. Le blog donne la parole aux résidents et permettra de suivre ces chercheurs tout au long de leur séjour et de leur cohabitation inédite à l’Istituto svizzero. Il informera de l’avancée de leurs recherches qui vont, de l’archéologie à l’architecture, en passant par les arts visuels, la composition musicale ou l’histoire de l’art. Et ainsi de les accompagner dans leur découverte de l’Italie et des trois villes de résidence.