L’eau. Qui glisse le long du corps. Le corps qui glisse dans l’eau. Ce corps propulsé en avant par les jambes qui sans discontinuer battent de haut en bas. Respiration à gauche. Trois rotation de bras. Respiration à droite. Une vague qui arrive. Deux rotations de bras. Une nouvelle respiration. L’eau qui devient résistance. Lourde. Immuable. Les jambes qui continuent de battre. Une respiration. Un coup d’œil à la surface. De l’eau encore et toujours. Une vague. Deux gorgées salées avalées. La légèreté tout à coup. Le sentiment de ne faire plus qu’un avec elle. L’eau. Un retour instinctif aux sources. Primitif. Intemporel. Magique.
La longue route de l’apprentissage
Mi-mai, j’ai participé aux Championnats Aquamasters de natation à Marmaris en Turquie. Comme je l’avais déjà évoqué brièvement dans un précédent billet (Réussir son premier triathlon), la natation est pour moi un sport relativement nouveau. Bien sûr comme tout enfant suisse, j’ai appris à nager la brasse depuis mon plus jeune âge. J’ai même, pendant deux ans, fait partie du club de sauvetage de ma commune. Mais autant étonnant que cela puisse paraître, je n’ai jamais appris à nager le style libre (que nous appelons tous le crawl).
L’an dernier quand j’ai passé de la course à pied au triathlon (Le passage de la course à pied au triathlon), j’ai vite compris que si je n’apprenais pas à nager en style libre, j’allais perdre un temps et une énergie considérable durant les compétitions de triathlon. La première fois que je suis allée à la piscine, je pouvais au grand maximum nager 150 mètres en crawl. Et ensuite un sentiment de suffocation et d’étouffement s’emparait de moi. Quand ça ne tournait pas à la panique. J’ai eu la chance de travailler durant trois ans comme guide de plongée et photographe sous-marin au Sud de la Turquie, donc j’étais totalement sûre que je n’avais pas peur de l’eau. Je pouvais également nager les bassins sans les compter en brasse coulée. Mais nager le crawl semblait tout simplement mission impossible.
A raison de deux ou trois fois par semaines pendant des mois, me rendre à la piscine était un peu comme aller au bagne. Bonnet de bain, lunettes de natation et une heure à me battre avec l’eau. Et je crois sincèrement que toute seule je n’y serais pas arrivée. Je nage avec une équipe amateur de natation, Yüzmemania. Pour un adulte qui désire améliorer sa technique de natation, nager sous la supervision d’un entraîneur est primordial.
Un pouls qui joue au yo-yo
Ne faire plus qu’un avec l’eau. C’est le sentiment que j’ai eu après environ vingt minutes passée dans l’eau. Aux championnats internationaux à Marmaris, j’ai pour la première fois en compétition nagé trois kilomètres en mer. Mais avant de ne faire plus qu’une avec elle, je suis passé par des états d’âme étonnants. Pour vous aider à comprendre, imaginez une plage de laquelle s’élancent en même temps 650 personnes. Avant le début de la course, contrôle obligatoire et individuel de chaque participant : les ongles doivent être coupés très courts, boucles d’oreille, montres classiques ou montres GPS, bracelets sont interdits. Donc, c’est un peu comme se retrouver à nu. Le coup de pistolet claque dans l’air et c’est une masse indistincte de bras, jambes et de bonnets colorés qui entre dans l’eau. L’excitation de la course fait galoper le pouls. Et puis tant bien que mal chacun essaie de s’éloigner de la plage. Un vrai entrelacs de jambes et de bras. Les coups fusent. Le sentiment d’être dans une machine à laver dont le programme d’essorage est au maximum. Le rythme cardiaque augmente encore un peu plus. Un peu d’espace devant soit et finalement il est possible de commencer à nager correctement. Le pouls redescend un peu. Le cerveau essaie de prendre contrôle de la situation. Le regard essaie tant bien que mal de distinguer la première bouée indiquant donc le cap à tenir pour la rejoindre. Les capteurs sensoriels commencent à transmettre au cerveau que l’eau n’est pas si chaude que cela. S’en suivent quelques secondes de tétanie. La première bouée paraît soudainement tellement loin. A gauche et à droite des nageurs qui passent. De l’eau partout.
Respecter la force de la mer
La première image qui m’est venue à l’esprit à ce moment-là : nous étions tous les rescapés d’un navire qui a coulé et nous essayions de rejoindre une hypothétique terme ferme. Chacun est seul. Passées ces trente secondes de tétanie qui m’ont semblé durer de longues minutes, j’ai essayé de retourner dans ma routine. Deux mouvements de bras, une respiration, parfois trois et une respiration. Les vagues dictent le rythme. La première clé se trouve là. Nager en pleine mer c’est tout d’abord respecter sa force à elle. Elle est par nature plus forte que nous. La sentir. L’aimer. Ne pas résister à cette eau qui défile.
Les minutes passent. La première bouée se rapproche. Elle est contournée. Deuxième bouée en vue. Et tout à coup, tout devient facile. Étonnamment facile. Comme si se retrouver au beau milieu de la mer avec la terme ferme la plus proche à un kilomètre était la chose la plus naturelle. Ces trois km en mer ont pour moi duré une heure et dix-sept minutes. Et ils m’ont permis d’entrer dans un magnifique état méditatif. Une transe. Profonde et passionnante. Mais impossible à traduire en mots.
Dépasser le choc
Oui, nous sommes clairement des être terriens. Nous nous sentons en sécurité sur la terre ferme. Nous nous y déplaçons facilement. Ceci est indiscutable et n’a nul besoin d’être remis en question. Une fois que nous nous retrouvons dans l’eau, le corps subit un espèce de choc. Il a besoin de s’adapter. Cela peut être déroutant, inconfortable et pour avoir discuté avec des nageurs expérimentés, tout le monde passe par un temps d’adaptation pouvant aller de quelques secondes à plusieurs minutes. Surmonter cette période peut être un peu difficile pour les nageurs débutants car le sentiment d’inconfort peut se transformer en panique, d’où donc la nécessité de nager en groupe et sous supervision. J’ai essayé de comprendre pourquoi nous vivions cela. J’ai eu l’impression que c’était comme si le corps, le système nerveux, notre être en entier dans un premier temps refusaient le passage de la terre ferme à l’état liquide. Mais qu’une fois que nous avions accepté et surtout fait comprendre à notre cerveau que nous étions dans l’eau et loin de la terre ferme de façon volontaire et que tout était sous contrôle (ceci est une de clé pour ne pas céder à la panique), il se passe un phénomène intéressant. Ou du moins, j’ai vécu quelque chose de curieux et presque métaphysique.
Du cocon au papillon
J’ai tout à eu l’impression de ne faire plus qu’un avec l’eau. Je veux dire il n’y avait plus de résistance, ni la moindre once de peur, je nageais de façon totalement automatique. En fait je ne me sentais pas nager, c’était ça le plus étonnant. Je pense que j’ai de nouveau vécu une expérience de flow, concept que j’avais évoqué dans mon dernier billet (Le peak flow ou l’élixir de l’effort). Mais ce flow-là était un peu différent. C’était comme si mes gènes avaient conservé une trace de leur passage de neuf mois dans le liquide amniotique avant mon arrivée sur la terre ferme. Je me sentais dans un cocon de sérénité. En osmose parfaite avec les énergies, le soleil, les vagues.
La côte s’est tout à rapproché, sous mon corps soudain le fond est réapparu. Il était temps de sortir du cocon. Et tel un papillon qui déploie ses ailes, j’ai posé mes pieds sur le sol et suis sortie de l’eau. Un peu chancelante. Mais profondément heureuse. Après avoir passé une heure et dix-sept minutes dans les flots, tout s’est accéléré : la soif, la faim, les muscles ont commencé à tremblé sous l’effet du relâchement musculaire. Quelques petites larmes aussi. De bonheur, de fierté et d’émotions. Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de vivre un voyage aux sources de sa vie.
Notes :
La course des 3 km en mer constituait ma sixième et dernière compétition dans le cadre des championnats Aquamasters de Marmaris en mai et j’ai pris le quatrième rang dans ma catégorie d’âge. Au total durant ces championnats internationaux, j’ai gagné cinq médailles: 50 m brasse (bronze), 100 m brasse (argent), 200 m brasse (bronze), 400 m nage libre (bronze), 4 x 500 m relais en mer (bronze).
Si vous êtes curieux d’en savoir un peu plus sur la façon dont je m’entraîne et me suivre durant mes prochaines compétitions, vous pouvez me suivre sur Instagram et Twitter
Merci pour cet article! Je suis bien en peine avec la nage en eau libre qui est clairement la partie à bosser sur mes prochains triathlon… Et je pense en effet que nager en groupe en lac serai la meilleure solution car seule c’est compliqué et pas toujours motivant.
Je vais lire avec plaisir ton blog que je découvre car c’est une vraie mine d’or et j’aime beaucoup la façon dont tu écris 🙂
Elise
Bonjour Elise,
Génial que mes articles vous rendent service. Si vous avez d’autres questions, n’hésitez pas à me contacter directement. Oui, la natation est clairement pas facile pour les cyclistes ou coureurs qui se lancent dans le triathlon. Mais le travail finit par payer. Restez positive !