Soudainement, le temps n’existe plus. Tout comme la sensation d’effort. La tête est vide. Mais tout est aussi plus intense. Logique. Comme si le moment avait déjà été vécu. Un sentiment de bonheur apparaît. Pas futile, mais profond. Une ivresse sobre.
Devenir le moment
J’ai vécu ce moment lors du Gloria Ironman 70.3, à Antalya, au Sud de la Turquie, en octobre dernier. Après les 1.9 km de natation en mer, au cinquantième kilomètre des 90 km du parcours vélo, je suis entrée dans cet état. C’était littéralement magique. Je disputais mon premier Ironman 70.3 et voilà que j’avais le sentiment d’avoir déjà participé à l’édition de la course dans laquelle je me trouvais. Un sentiment de déjà vécu troublant mais agréable. Lancée à près de 30 km/h sur mon vélo de course en position de contre-la-montre, le vent claquait sur mon visage et j’étais là sans être là. Par moment, je me voyais depuis en haut pédaler sur mon vélo. Par fraction de secondes, je me dématérialisais. Je n’avais plus besoin de commander à mes jambes de pédaler, ni à mes mains de changer les vitesses, ni même encore à faire attention à un éventuel obstacle ou concurrent. J’étais en osmose totale avec le moment présent. J’étais devenue le moment. Sans en être consciente, j’avais atteint le peak-flow. Cet état reconnu pour la première fois en 1990 par le psychologique hongrois Mihaly Csikszentmihalyi.
Pour la petite histoire, je suis en train de préparer un Master en psychologie du sport à l’Université de Marmara à Istanbul (Université la plus réputée dans le domaine du sport en Turquie) et dans le cadre d’un des cours que je suis, j’ai choisi comme sujet le « peak flow » sans exactement savoir à quoi cela correspondait. Lors de mes recherches, j’ai alors découvert que cette notion en psychologie, je la connaissais bien en fait.
Entrer dans la zone
Csikszentmihalyi a défini le flow comme un phénomène se manifestant quand un individu perçoit un équilibre entre ses compétences personnelles et la demande de la tâche. Non seulement les sportifs entrent de ce que l’on appelle aussi la « zone », mais les musiciens, particulièrement les solistes et les étudiants quand ils sont en séance de répétitions intenses, par exemple, connaissent des états de flow.
Ayrton Senna, en 1988 avait durant les qualifications du GP de Monaco, déclaré avoir l’impression de piloter sa voiture au-delà des ses limites, de ne plus la conduire de façon consciente, mais de façon inconsciente.
Pour moi, ce qui a été absolument bluffant et incroyable a été d’expérimenter cet état si facilement. J’ai ensuite compris dans le cadre de mes recherches à l’Université que la visualisation mentale que j’effectue avant chaque compétition a en fait une importance primordiale pour atteindre cet état. Je reviendrai plus en détail sur la préparation psychologique d’avant-course dans un prochain billet.
Il semble aussi que nous ne soyons pas tous égaux à l’aptitude d’entrer dans le flow ou non. Pour illustrer cela concrètement, pensons à la vie quotidienne. Réfléchissez, quel est votre degré à vous investir dans une activité sans en attendre de récompenses extérieures (un compliment, un cadeau, un salaire, etc.) ou sans y être contraint ? Qui parvient à réaliser une activité pour la simple gratification qu’elle procure en elle-même ? On parle d’autotélisme. Et lors d’une activité sportive entrer dans le flow, c’est en fait simplement vivre une expérience autotélique.
Evidemment, personne ne peut vivre constamment dans cet état, car nous sommes tous obligés par nécessité ou par devoir de faire des choses qui ne nous plaisent pas. Csikszentmihalyi a même établi une gradation entre les gens qui n’ont presque jamais l’impression de se faire plaisir et ceux qui considèrent presque tout ce qu’ils font comme important et valable en soi.
Je ne m’hasarderai pas à affirmer que le sport favorise l’autotélisme, mais je peux affirmer que le sport est un bon moyen de découvrir cet état. Et en le reconnaissant et en l’apprivoisant, peut-être que vous pourrez comme moi y entrer plus facilement dans la vie de tous les jours et ainsi parvenir à vous détacher des attentes récurrentes que la société nous pousse à avoir. A vivre l’instant présent. Et à le savourer pour son essence.
Une réponse à “Le peak flow ou l’élixir de l’effort”
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