En tirant la prise de l’accord-cadre, le Conseil fédéral met non seulement en péril notre avenir bilatéral avec l’Union européenne, mais aussi notre approvisionnement électrique, en particulier en hiver. Faudra-t-il un black-out pour faire avancer ce dossier?
L’Union européenne l’avait seriné depuis des mois, voire des années: sans accord institutionnel, pas d’accord sur l’électricité! Ce dernier, qui devait réglementer la participation de la Suisse au marché européen et, notamment, l’importation hivernale de courant étranger, ne verra pas le jour puisque le Conseil fédéral a abandonné l’accord-cadre le 26 mai dernier. On commence aujourd’hui à mesurer les conséquences de cet acte politique irraisonné.
Château d’eau de l’Europe, notre pays a paradoxalement un talon d’Achille, et pas des moindres: sa production hydroélectrique hivernale insuffisante rend nécessaires des importations de courant européen pendant ces mois où les nuits sont longues et froides. La sécurité de notre approvisionnement dépend donc de la bonne entente avec nos grands voisins. L’abandon graduel du nucléaire, même s’il doit être remplacé peu à peu par des énergies renouvelables, rend plus que jamais indispensable une coordination au niveau continental.
La Suisse marginalisée
Swissgrid, l’organisme chargé de transporter l’énergie électrique et d’assurer une bonne fourniture en électricité, a rappelé dernièrement que l’accord européen dans ce domaine devait lui permettre «d’être prise en compte dans les calculs des partenaires européens et de disposer d’informations préalables sur les flux d’électricité traversant la Suisse». Las, notre pays se retrouve aujourd’hui exclu de plusieurs comités européens importants et ne dispose de facto d’aucun droit de regard, ce qui aura à terme des conséquences négatives sur la stabilité du réseau et la sécurité de notre approvisionnement. Les milieux professionnels n’hésitent plus à évoquer un risque de black-out, soit un effondrement de la totalité du réseau électrique. Faudra-t-il en arriver là pour réveiller les consciences?
Le Conseil fédéral a donné dernièrement mandat au DETEC et à l’ElCom, l’autorité fédérale indépendante de régulation dans le domaine de l’électricité, d’analyser les effets du rejet de l’accord-cadre sur notre approvisionnement. Les pistes évoquées pour atténuer les risques d’un black-out consistent en un renforcement du réseau et des outils de production. Mais il apparaît certain aux yeux des milieux concernés que ces mesures ne suffiront pas. L’Association des entreprises électriques suisses (AES), qui a organisé hier à Lausanne un événement sur le thème de la politique énergétique, a elle aussi fait part de son inquiétude.
Alors oui, il faut de toute urgence renouer le dialogue avec Bruxelles et trouver un modus vivendi afin d’éviter que la situation ne se péjore encore.
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Mise au point des plus utiles pour ceux qui croient que la Suisse peut vivre dans un “splendide isolement”! Ayant travaillé toute ma vie dans le secteur de l’énergie, il y a longtemps que j’essaie de tirer la sonnette d’alarme. Nous sommes déjà très dépendants de nos échanges d’électricité avec nos voisins en hiver, et nous allons le devenir de plus en plus avec l’arrêt progressif de nos centrales nucléaires, autre décision prise à la légère. Et ce n’est pas l’énergie solaire qui nous sauvera, étant donné que sa production est justement très faible en hiver (j’ai des panneaux PV sur mon toit et il arrive que je ne produise presque rien certains mois d’hiver, alors que je suis fortement excédentaire en été). Dans l’état actuel de la technique il est juste impossible de suffisamment stocker les excédents estivaux pour l’hiver (les capacités en pompage-turbinage, seule solution à grande échelle, sont limitées et déjà pratiquement entièrement exxploitées; les autres “solutions” potentielles ne sont pas mûres pour le moment). Faudra-t-il effectivement des “black-outs” en plein hiver pour que les Suisse se rendent compte de notre dépendance de l’étranger et de l’importance des bonnes relations avec nos voisins?
Il est vrai que d’acheter des avions américains va nous faciliter encore plus nos relations avec nos voisins …
Sur le plan de l’approvisionnement en énergie, nous serons tributaires de l’Europe sans pouvoir rivaliser, ni technologiquement avec des solutions industrielles innovantes qui se dessinerons ailleurs puisque nous ne participerons à aucune échanges avec l’Europe. Avec notre entreprise nous avons pu travailler avec des entreprises européennes sur le développement de mini centraux à Hydrogène depuis quelques années maintenant, mais nous n’avons jamais été sollicité par la Confédération …. qui n’évalue pas cette possibilité car trop préoccupée par maintenir les privilèges des acteurs actuels du marché de l’énergie.
Puisque nous sommes dépendant de l’accord cadre torpillé par la Suisse nous avons décider il y a quelques semaines de nous tourner vers notre proche voisin car les compétences dont nous disposons les intéressent. De plus nous pourrons plus facilement échanger nos recherches avec des universitaires Européens heureux de participer, à ces projets d’avenir. Il nous est déjà plus facile d’intégrer aussi aux programmes de recherche Européens grâce à notre future implantation dans ce pays qui visiblement comprend les enjeux. Nous concentrons donc dès à présent notre effort à la recherche dans ce domaine prometteur et encourageons les “compétences” à nous rejoindre sur ce type de projet plein d’avenir.
Nous restons attachés à la Suisse mais découragés par nos institutions, mais resterons fidèles à venir passer des WE à la montagne.
Je crois pourtant que la Suisse dispose d’un atout de taille pour une négociation concernant son approvisionnement électrique en hiver. Si l’on examine attentivement la “Statistique suisse de l’électricité 2020”
https://www.bfe.admin.ch/bfe/fr/home/approvisionnement/statistiques-et-geodonnees/statistiques-de-lenergie/statistique-de-l-electricite.html
on observe qu’il y a des flux de transit très importants et spécialement en hiver, cachés dans les importations et exportations physiques du pays.
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Il faut comparer quelques chiffres (un rien rébarbatifs !) que je me permets de rappeler ici pour permettre cette analyse (mais l’année 2020 a été une année très inhabituelle…)
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année civile 2019 : importation physique : 29,5 TWh, exportation physique : 35,8 TWh
dont transit annuel : 23,5 TWh, d’où importation nette : 6,0 TWh, exportation nette : 12,3 TWh
année civile 2020 : importation physique : 27,0 TWh, exportation physique : 32,5 TWh
dont transit annuel : 21,6 TWh, d’où importation nette : 5,4 TWh, exportation nette : 11,0 TWh
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Ces chiffres pour les années civiles sont à cheval sur les semestres d’hiver qui, eux, sont critiques :
hiver 18/19 : importation : 20,4 TWh, exportation : 15,8 TWh
dont transit hivernal : 14,0, d’où importation nette : 6,3 TWh, exportation nette : 1,8 TWh
hiver 19/20 : importation : 17,8 TWh, exportation : 18,2 TWh
dont transit hivernal : 14,4 TWh, d’où importation nette : 3,4 TWh, exportation nette : 3,8 TWh
hiver 20/21 : importation :17,7 TWh, exportation : 15,9 TWh
dont transit hivernal : 14 TWh (est.), d’où importation nette : 3,7 TWh, exportation nette : 1,9 TWh.
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Si l’on observe la série des soldes passés (entre importations et exportations en hiver), depuis l’hiver 10/11 à l’hiver 18/19, ils sont tous importateurs nets et compris entre 4,2 TWh en 10/11 et 4,5 TWh en 18/19, avec même un maximum à 9,7 TWh en 16/17.
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Outre le fait marquant que la Suisse a désormais besoin d’importer nettement en hiver pour sa consommation, elle assure un fort transit au bénéfice de pays de l’UE, dont la structure des flux est complexe entre nos quatre voisins, mais principalement entre les trois plus grands : France-Italie et Allemagne-Italie : quelque 22 TWh sur l’année, dont au moins 14 TWh en hiver, soit 66% !
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Nous devrions en conséquence pouvoir négocier avec Bruxelles la poursuite de cette garantie de flux de transit annuel (de 22 TWh) et surtout hivernal (de 14 TWh) sur nos réseaux, contre une garantie contractuelle d’importation nette hivernale allant, disons, jusqu’à au moins 6 TWh.
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Il ne faut pas oublier que l’effacement progressif du nucléaire en Suisse (24 TWh) conduira à un manque de quelque 10 TWh en été et de 14 TWh en hiver. L’éolien et le solaire prévus dans la “Stratégie énergétique 2050” sont loin de pouvoir combler totalement ces deux lacunes, et tout spécialement celle d’hiver, malgré du pompage/turbinage permettant un stockage saisonnier qui devrait en conséquence représenter l’équivalent de plusieurs Grande-Dixence.
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De plus, le passage progressif au chauffage généralisé par pompes à chaleur et à la mobilité croissante par véhicules électriques va accroître notre consommation d’électricité à probablement plus de 70 TWh par an d’ici 2050 ; et alors les lacunes ne feront que s’amplifier. La loi sur l’énergie en voie de modification prescrit de ramener la demande en électricité par habitant à 95% de sa valeur en 2000, comme année de référence :
«
Art. 3 Objectifs de consommation
1. Par rapport au niveau de l’an 2000, la consommation énergétique moyenne par personne et par année doit baisser de 43 % d’ici à 2035 et de 53 % d’ici à 2050.
2. Par rapport au niveau de l’an 2000, la consommation électrique moyenne par personne et par année doit baisser de 13 % d’ici à 2035 et de 5 % d’ici à 2050.
»
La demande spécifique était de 830 W/tête en 2000 et elle devrait être de 789 W/tête en 2050. Mais, comme il est prévu que la population sera de 10,3 millions d’habitants en 2050, cela correspond bien à une future consommation d’électricité du pays de 71,2 TWh/an en 2050, à comparer aux 52,4 TWh en l’an 2000, année de référence, soit bien 36% d’augmentation, une énergie électrique supplémentaire qu’il faudra alors assurer de toute façon.
“Nous devrions en conséquence pouvoir négocier avec Bruxelles la poursuite de cette garantie de flux de transit annuel”, êtes-vous au courant que nos voisins construisent des “autoroutes électriques” qui leur permettront justement d’éviter le transit par notre pays?
Les autoroutes électriques prévues le sont par l’Allemagne qui doit pouvoir relier ses champs d’éoliennes offshore du Nord aux Länder gros consommateurs du Sud. Il n’est pas du tout envisagé de contourner la Suisse par de telles autoroutes en Autriche ou en France voisine. Ce serait ridicule et fort coûteux pour un gain improbable par rapport à la situation où la Suisse permet ce transit.
Sans l’apport du barrage de la Grande Dixence, certain jours froids entre 11:15 et 13:15 quand chauffage, cuisines, resto, bureaux, maisons et les ordinateurs tournent en même temps à pleins régime, c’est tout le continent qui risque le black out. Il n’y a pas soucis de fin du monde, du moins pour le moment !
Oui, la Grande-Dixence c’est, environ, une puissance installée totale de 2 GW et une capacité d’énergie de 2 TWh, mais cela prend seulement 40 jours à pleine puissance pour être turbiné. Un hiver est plus long, et, pour disposer d’un stockage saisonnier de l’été sur l’hiver (à partir d’un surplus de production solaire estivale, par exemple), disons, de 10 TWh, sachant que le pompage turbinage a un rendement de 80%, il faudrait pomper 12,5 TWh en été, soit l’équivalent d’encore 5 autres Grande-Dixence.
Il ne faut pas oublier que la demande moyenne du pays, en puissance donc, est de 7 GW (soit une consommation brute de 61 TWh/an et nette de 57 TWh/an, du fait de 7% de pertes sur les réseaux) et la demande en ruban (minimale jour et nuit) est de 5 GW, une valeur couverte actuellement par 2 GW de centrales au fil de l’eau et par 3 GW de réacteurs nucléaires. Ces derniers venant à s’effacer progressivement, il faudra trouver un moyen de production assurant ces 3 GW en continu, ce que ne peuvent garantir des sources aléatoires et intermittentes (dites aussi stochastiques). Rappelons que, selon la loi sur l’énergie en voie de modification pour les objectifs à 2050, la demande moyenne va croître à 8,1 GW (soit une consommation de 71,2 TWh/an) pour que la demande par tête soit de 789 W pour 10,3 millions d’habitants.