Le libre accès, ferment de démocratie

Le rêve d’un monde du savoir ouvert, Babel des livres géante, ne cesse de hanter la transition faramineuse des domaines scientifiques vers l’open access, le libre accès. Le défi est particulièrement crucial pour les sciences humaines, dont le savoir faire séculaire conduit à la production de textes longs, monographies papier ou livres virtuels, où les résultats de la recherche naissent dans l’acte d’écrire, alors que pour les sciences de la vie, notamment, l’accès ouvert concerne principalement les articles et jeux de données, jusqu’au linked open data, les «données ouvertes liées». On perçoit aisément les bouleversements en cours pour les maisons d’édition, qui mettent au point leurs différents modèles, par exemple Open Edition Books, basé en France. On relève moins souvent deux autres terrains de prédilection pour cette transformation en cours: le libre accès comme ferment de démocratie et miroir des relations Suisse-Europe.

Réplique de la statue de la «déesse de la démocratie», érigée en 1989 sur la place Tienamen. Parc Victoria, Hong Kong, 2010. Auteur: MarsmanRom. Domaine public, wikicommons

De fait, plusieurs études sur les effets du libre accès souligne son rôle de vecteur démocratique: c’est certainement la raison la plus aigüe d’y prêter attention en cette année électorale sur le continent Europe. En 2009, le Journal of Democracy soulignait le fait que «le libre accès, au service d’une société plurielle, aide à l’épanouissement d’un large éventail de groupes économiques, politiques et sociaux, qui mobilisent des intérêts et aident à conduire à l’élaboration d’un agenda démocratique» [1]. Dans ce contexte, le livre est à même de bousculer les pratiques existantes et les institutions; son existence même inclut «la véritable idée de la démocratie» [2], un étendard qu’il s’est mis à porter dès l’après-guerre [3].

Sur la base de telles analyses, le livre a donc tout pour se marier au libre accès en sorte à poursuivre son rôle de ferment démocratique. Les chercheurs ancrés en Suisse ne peuvent qu’exprimer leur immense reconnaissance envers le Fonds National Suisse qui soutient le libre accès avec une ferveur qui place notre pays en tête européenne de cette transition. C’est ni plus ni moins que la généralisation à 100% de ses publications en libre accès que vise le FNS, comme le rappelle ce jour un article de l’institution elle-même, soulignant que pour l’instant, ces publications ne se montent qu’à «seulement» 48%.

Dans cet adverbe «seulement» git en condensé le miroir qu’on espère non brisé de nos relations à l’Union Européenne. De fait, nos collègues alentour regardent un peu abasourdis nos pourcentages de publications en libre accès, bénéficiant de moyens et volontés politiques dissymétriques face au miroir helvétique ripoliné. Comment allier la reconnaissance de ce que nous offre mère Helvétia avec la solidarité évidente, ferment de démocratie, avec nos collègues d’ailleurs? Les solutions demanderont temps, patience et innovation, mais poser la question, c’est déjà entrer en dialogue avec nos pairs européens.

[1] Douglass C. North, John Joseph Wallis, et Barry R. Weingast, «Violence and the Rise of Open-Access Orders», Journal of Democracy20 (2009/1), p. 55-68, ici p. 66.

[2] Janneke Adema et Garry Hall,  «The Political Nature of the Book: On Artist’s Books and Radical Open Access», New formations: a Journal of Culture/Theory/Politics78 (2013), p. 138-156, ici p. 138.

[3] Adema et Hall, «The Political Nature of the Book», p. 142.

Claire Clivaz

Claire Clivaz est théologienne, Head of DH+ à l'Institut Suisse de Bioinformatique (Lausanne), où elle mène ses recherches à la croisée du Nouveau Testament et des Humanités Digitales.

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