Le Manuel d’histoire du “Monde diplomatique”

Avec les tensions que traverse l’Europe, l’histoire redevient une ligne de front sur laquelle s’exacerbent des tendances de plus en plus politisées. Il n’est ainsi pas anodin que Le Monde diplomatique publie maintenant un ouvrage retraçant l’évolution de l’humanité depuis l’époque de la révolution industrielle jusqu’à nos jours. Un livre qui se veut manuel d’histoire destiné aux étudiants et aux enseignants, et qui en porte d’ailleurs le nom, le Manuel d’histoire critique. Un contre-manuel en vérité, qui met de facto en exergue les idées reçues pour chaque période ou chaque sujet, et qui propose des explications « non alignées » avec les habituelles paraboles de la scolastique pédagogique des manuels d’histoire « d’ordinaire ». Un manuel qui ose des perspectives et des contextualisations, qui évoque les jeux d’influence et qui interpelle le lecteur en réveillant son sens critique, pour que « l’histoire ne soit pas le musée de l’ordre, mais la science du changement ». Un manuel qui s’inscrit parfaitement dans la philosophie de Serge Halimi, son directeur : « L’historien n’accepte aucun dogme, ne respecte aucun interdit, ne connaît pas de tabous ».

On savait Serge Halimi, le patron du Monde diplomatique, peu enclin au conformisme intellectuel – provocateur dirons certains – avec des parutions reléguant le compromis au niveau de l’insulte : Les Nouveaux Chiens de garde (1997-2005), L'Opinion, ça se travaille (2000), ou Économistes à gages (2012).

Avec son Manuel d’histoire critique, Serge Halimi ne fait pas œuvre pionnière puisqu’il reprend en partie des thèses développées par nombre d’historiens dont les travaux ne dépassent généralement pas le seuil du temple de Clio. Et c’est là sans doute la force de cet ouvrage, puisqu’il médiatise des idées débattues par les universitaires et tente de démythifier ce que l’on estime généralement être la vérité. Alors que de vérité, il y en a toujours plusieurs ! Et pour rendre plus efficace encore sa démarche, Serge Halimi a choisi de nommer son livre « Manuel », l’adressant ainsi directement aux étudiants, inoculant aux prémisses même de la conscience…., pardon, aux adolescents voulais-je dire, un embryon de sens critique, comme une tentative de vaccination contre l’abrutisme, cette nouvelle maladie épidémique provenant du flux incessant de medias sacrifiant à l’audimat l’analyse et la réflexion !

Un projet qui arrive à point nommé en France, alors que l’histoire se retire des programmes scolaires, comme la mer du Bassin d’Arcachon par marée basse, un retrait qui laisse s’exhaler les suavités putrides de charognards adeptes de la pensée unique.

Une inquiétude, pourtant, pour nous autres Confédérés…., la mer ne borde pas la Suisse, nul espoir de voir de marée haute !

La question lancinante de l’UDC

Que n’a-t-on dit sur Adolf Ogi, Conseiller fédéral en 1987, ou Samuel Schmid, élu au sein des saints en 2000. Mollesse et bonhomie !

Et pourtant, le premier allait réussir le moratoire du nucléaire autant que le défi des poids lourds dans les régions alpines ou la rénovation de l’armée et son investissement en faveur de la paix avec la mise sur pied des bérets jaunes en Bosnie-Herzégovine et de la Swisscoy au Kosovo. Et si l’affaire de l’absinthe du président Mitterand allait faire sourire, le conseiller fédéral allait toutefois lier des relations de confiance durables avec la France.

Samuel Schmid, quant à lui, allait continuer la politique de son prédécesseur à l’égard d’Armée XXI et venir se mêler sur le terrain aux douaniers, aux militaires, aux infirmières. Il devait surtout prononcer un discours à Tunis sur la liberté d’expression en 2005, discours censuré par les services publics tunisiens.

Guy Parmelin…, pas de quoi se pâmer selon la plupart ! UDC agrarien, certes, Romand… et alors ? Les équilibres intercantonaux seront-ils véritablement modifiés ? Laissons au bonhomme sa chance avant de le juger car c’est finalement au pied du mur que l’on voit le maçon.

Et le mur risque d’être abrupte, ce pour l’ensemble de nos sages. Les défis auxquels la Suisse a à faire face semblent herculéens : l’économie avec le franc fort, les relations du pays avec une Europe déstabilisée et en proie à une crise aux facettes multiples dont les poussées nationalistes sont une résultante inquiétante, les transports toujours plus congestionnés. La liste de ces défis est longue et le chemin du Conseil fédéral sera certainement chaotique à plusieurs égards. Alors que le Front National étend son ombre en France, que des mannequins sinistres représentant des Juifs brûlent sur des places polonaises rappelant les pires démons, que le flux des réfugiés est devenu une banalité, que la guerre fait rage au Proche-Orient, et que les États-Unis assistent à l’étrange pantomime d’un milliardaire fasciste faisant campagne pour la Maison blanche, l’élection de notre Conseil fédéral paraît bien paisible. Et pourtant ?

Au-delà de la personne Parmelin, c’est bien la question lancinante de l’UDC qui se pose. Le débat eut été sans doute moins tendu si le candidat victorieux avait appartenu à un autre parti, si l’assemblée fédérale s’était prononcée sans instruction, en respect de la Constitution fédérale. Car si la démocratie impose de suivre les choix du corps constitué, elle implique également que l’on suive ses principes.

Quels seront les rapports de Guy Parmelin, mais aussi d’Ueli Maurer, avec la branche zurichoise du parti, la plus âpre, la moins tolérante ? Et quelle sera la portée de l’influence des gouvernants d’extrême-droite d’Europe sur nos ministres ? 

Les prisons helvétiques

Le 28 novembre dernier, à l’ombre du château de Neuchâtel, se tenait un colloque portant sur l’histoire des prisons et de l’incarcération en Suisse. Organisée par les universités de Genève et de Neuchâtel sous la houlette du professeur Jean-Daniel Morerod, la journée a vu se succéder des chercheurs venant d’horizons différents qui ont décliné près de huit siècles d’enfermement.

Des brigands du Jorat, torturés et roués à Lausanne durant le XVème siècle (L. Dorthe) aux mesures disciplinaires en cours dans l’armée suisse au XIXème siècle (I. Cuttat), ou à l’utilisation parajudiciaire de la prison du Bois-Mermet pendant la Deuxième Guerre mondiale (C. Vuilleumier), le tableau est saisissant, tant en termes de diversités relevant de régionalismes que de récurrences traversant les siècles. Le professeur Irène Hermann devait le mettre en lumière dans sa synthèse concluant la journée. La part d’arbitraire inhérente à la maîtrise de l’individu entre quatre murs a perduré sous les formes les plus dures jusqu’il y a peu. Entendons-nous…, jusqu’il y a quelques décennies !

Et comme pour insister plus encore sur cette question, l’historien Matthieu Lavoyer est venu mettre en lumière des aspects de la détention administrative à Neuchâtel au cours du XXème siècle. Ses travaux rejoignent ceux d’Yves Collaud[1] qui portent sur le canton de Vaud[2]. Un avant-goût des études que la Commission indépendante d’historiens devrait entamer l’année prochaine sur la question de la détention administrative, et qui durera sans doute plusieurs années. Un exercice qui rappelle celui de la Commission Bergier, à la fin du siècle dernier, sur un sujet tout autant tabou.

Qu’en ressortira-t-il ? Des archives n’ont-elles pas été éliminées ? Les cantons sont-ils tous concernés ? Des institutions isolées ont-elles dérapé ? Une recherche dont on peut espérer qu’elle se déroulera en toute transparence comme l’a demandé le 30 septembre dernier à Simonetta Sommaruga la Société Suisse d’Histoire, sollicitée en la matière par la Conseillère fédérale.

 

 

Interview de la RSR réalisé lors du colloque du 28 novembre :

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/le-12h30/7272476-table-ronde-autour-du-systeme-carceral-28-11-2015.html?f=player/popup

La Société d’Histoire de la Suisse Romande publiera les actes de ce colloque en cours d’année prochaine.

 

 

 


[1] Yves Collaud, « Protéger le peuple » du canton de Vaud, histoire de la commission cantonale d’internement administratif (1935-1942), mémoire de licence sous la direction de Nelly Valsangiacomo avec la collaboration du Docteur Thierry Delessert, Lausanne : Faculté des Lettres, 2013.

[2] Voir également Itinera. Beihefte zur Schweizerischen Zeitschrift für Geschichte, «Fürsorge und Zwang. Fremdplatzierungen von Kindern und Jugendlichen in der Schweiz 1850–1980», 2014.

 

Le temps des extrémismes

Le terrorisme terrorise, mais il engendre également des forces susceptibles de devenir des dangers autrement plus importants. Que l’on se souvienne seulement de l’attentat de Sarajevo en 1914, un acte commis par un anarchiste qui allait déclencher une guerre sans précédent. Nous n’en sommes pas là !

La création de l’Union européenne avait déjà donné un nouveau regain de vigueur aux mouvances nationalistes qui travaillent les pays européens depuis des décennies. Les contextes politiques et économiques de ces dernières années ont encore accentué la montée du conservatisme.

Les partis nationalistes s’ils sont plus ou moins radicalisés, plus ou moins néo-nazis – on peut penser au Parti national-démocrate (NPD), à Alternative für Deutschland (AfD), au mouvement Pegida, à Republikaner et Pro Deutschland pour l’Allemagne, à la Ligue du Nord, à Forza Nuova, à CasaPound pour l’Italie, au Parti autrichien de la liberté (FPO) pour l’Autriche, à Aube dorée pour la Grèce, à Noua Dreapta (Nouvelle droite) et au Parti de la Grande Roumanie pour la Roumanie, au Front national pour la France, ainsi qu’au Parti nationaliste suisse qui présentait quatre candidats pour les élections fédérales qui viennent de se dérouler – essayent à présent de justifier leurs thèses en dénonçant les attentats récents de Paris !

«La sécurité est la première des libertés» scande le ministre Valls qui a prolongé l’état d’urgence sur le territoire français et qui propose des mesures inquiétantes pour accélérer les procédures relatives aux crimes terroristes. Un discours qui rappelle celui du préfet de police de Paris en 1961, un certain Maurice Papon, qui s’exprimait alors que l’état d’urgence était également déclaré en France depuis le mois d’avril. L’on sait ce qu’il allait advenir au soir du 17 octobre 1961, les cadavres de plusieurs dizaines de Français algériens flottant entre deux eaux dans la Seine, victimes d’une répression policière vengeresse[1].

L’ordre, la sécurité et la vérité, autant de vertus que seul l’autoritarisme peut garantir ?

Prenons garde au retour des valeurs de notre civilisation sujettes à autant d’interprétations que le Coran, et qui ne supportent guère les remises en question. Leurs promoteurs les plus zélés ont démontré tout au long du XXème siècle à quel point ils pouvaient faire preuve d’autant d’inhumanité que les crapules de Daesh.

Prenons garde à ces vérités assenées force d’affirmations péremptoires, des vérités que l’on observe le plus souvent sous des angles uniques, des vérités au pire construites de toute pièce comme semble vouloir l’entendre le président polonais Andrzej Duda qui déclarait il y a peu « la Pologne a besoin d'une politique historique et d'un débat sur la manière de façonner les attitudes civiques et patriotiques »[2].

Et si le temps de la délation est arrivé en France, en Suisse, des représentants de l’extrême-droite commencent à attaquer des intellectuels comme le constitutionnaliste Andreas Auer, ou Jacques Neirynck taxé de « porte-parole de l'aristocratie intellectuelle »[3] en leur reprochant de réfléchir. Quand insulter autrui en le traitant d’intellectuel est possible, les frontières de la démocratie sont franchies. Peut-être, la première valeur de ces dernières n’est-elle pas la sécurité, mais bien la liberté de penser.


[1] Le nombre exact de victimes n’a jamais pu être définitivement établi. Voir à cet égard Neil MacMaster, Inside the FLN: the Paris massacre and the French Intelligence Service, 2013. Et Jim House, Neil MacMaster, « La Fédération de France du FLN et l'organisation du 17 octobre 1961 », in Vingtième siècle. Revue d'histoire, no 83, juillet-septembre 2004, pp. 145–160.

 

13 novembre 2015

Entre récupérations de l’événement – morbides argumentaires, plus ou moins bien-pensants, plus ou moins fascisants, visant à démontrer ce qu’il aurait fallu faire ou ne pas faire – et démonstration de solidarité, l’Occident et ses alliés se retrouvent à nouveau unis derrière le rempart de la civilisation qui vient d’être une fois de plus baigné par le sang des innocents. Encore faudrait-il définir le terme de civilisation dans toute son acception.

Quoi qu’il en soit, la paix semble de plus en plus relative, remise en question par des criminels formatés par des idéologies de suprématie autant que par des intérêts politiques et économiques. L’Institut de recherche internationale sur les conflits d’Heidelberg recense pour l’année 2014 « 424 conflits, parmi lesquels 46 ont pu être qualifiés de «très violents» suite à des affrontements d’une violence organisée et massive. 21 de ces conflits ont atteint le plus haut niveau d’intensité, celui d’une guerre. En comparaison avec les 20 guerres observées en 2013, ces conflits se répartissent en 2014 sur un nombre plus important d’États »[1], des guerres dont la plupart sont « oubliées ».

Les attentats dans le monde qui se succèdent à un rythme infernal, ourdis par des groupuscules politiques ou religieux, ou encore par des réseaux d’influence puissants comme l’État islamique qui n’ont d’autre volonté que l’avènement de leur réalité et de leurs dogmes, sont une manifestation de ce que le maintien de la paix a de relatif, écho sanglant de ces guerres.

Une relativité qui s’applique également aux impacts de ces actes terroristes. Si le 11 septembre fut un événement historique en raison du nombre de victimes, du lieu particulièrement médiatique et de sa dimension spectaculaire, il n’en va pas de même de la plupart des attentats. Nous souvenons-nous encore des bains de sang de ces dernières années qui ont endeuillé le monde ?

99 attentats en 2008,

48 en 2009,

35 en 2010,

20 en 2011,

22 en 2012,

22 en 2013,

33 en 2014,

92 en 2015 !

Avec l’attaque sur la rédaction de Charlie Hebdo en janvier de cette année, nous avions eu le sentiment, au-delà du drame humain, que c’était la liberté d’expression qui était remise en question. Quel va être l’impact des attentats de Paris de ce 13 novembre ? Ce qu’il y a de certain, c’est que le terrorisme fait perdre un peu plus de liberté à notre monde chaque jour, à Karachi ou à Paris, à Beyrouth ou à New-York. L’état d’urgence déclaré en France préfigure-t-il un futur de plus en plus placé sous la lumière blafarde de lois plus ou moins martiales destinées à garantir notre sécurité mais ô combien liberticides et dangereuses pour nos démocraties ?


[1] Institut de Heidelberg pour la recherche sur les conflits internationaux (HIIK), 2015, http://www.hiik.de/de/presse/pdf/HIIK_communique%CC%81_de_presse_CoBa_2014.pdf

 

Le site “Les Observateurs.ch” va-t-il trop loin ?

Nous savions que le media créé par Uli Windisch utilisait un certain nombre d’astuces pour proposer des articles à ses lecteurs, notamment les copier-coller de « papiers » repris de part et d’autre. L’article de Martin Grandjean, qui n’hésite pas à parler de déontologie journalistique, est à cet égard particulièrement révélateur (www.martingrandjean.ch/les-observateurs-systematique-copier-coller/).

Nous savions également les positions politiques particulièrement incorrectes de ce media qui pilonne l’opinion publique sur les dangers migratoires et les risques de l’Islam, avec des textes écrits à l’emporte-pièce, dénués de fonds et d’analyse critique, mélangeant les réalités, et distillant au final plus de confusion que de vérités. En termes de désinformation alimentant les peurs les plus primaires, nous ne sommes pas loin d’un autre Observateur qui portait le nom de Völkischer Beobachter il y a 80 ans ! Les connaisseurs apprécieront.

Faut-il encore taxer ce pseudo-journalisme d’incorrecte et ne pas plutôt opter pour l’adjectif « indécent » ?

Avec son nouvel article intitulé « Ne donnez plus d’argent à Médecins sans frontières qui affrètent des bateaux pour migrants » pompé sur un site d’extrême-droite français (http://lesobservateurs.ch/2015/07/20/ne-donnez-plus-dargent-a-medecins-sans-frontieres-qui-affretent-des-bateaux-pour-migrants/), les responsables de ce site, qui avaient déjà ouverte toute grande la porte à la xénophobie, ciblent à présent une organisation humanitaire dont nombre de volontaires ont payé de leur vie leur abnégation. Les morts de Kunduz en Afghanistan, il y a un mois, en témoignent !

Quel choquant paradoxe de voir une organisation humanitaire, qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1999 et qui n’hésite pas à dénoncer publiquement les exactions de gouvernements autoritaires, se faire bafouer aussi grossièrement par quelques réactionnaires, au surplus dénués de tout talent littéraire.

Les détracteurs de MSF trouveront peut-être de quoi s’occuper de manière constructive sur la ligne de front sicilienne qu’ils se plaisent à critiquer. Le site Internet de l’ONG est plus aisé à trouver que celui des sites xénophobes « étrangers » que les rédacteurs de l’Observateurs.ch importent en Suisse.

Train de Suisse (ou l’aventure palpitante de l’ICN 639)

Il est 17h15, gare Cornavin, Genève. La foule s’amasse sur les quais, la journée est finie. Les gens rentrent chez eux !

Voila que le train, magnifique, brillante machine fendant les airs, arrive à quai.

17h18, le voilà parti, il laisse bientôt les lumières de la ville derrière lui. Prochain arrêt, Yverdon.

Las, il ne faut pas plus d’une quinzaine de kilomètres pour sentir la force de l’engin faiblir, diminuer. Nous passons Nyon à la vitesse d’un cheval lancé au galop et cette rythmique poussive semble devoir continuer. Les minutes passent, le retard s’accumule. Nous arrivons à Neuchâtel après quelques frémissements du côté de Grandson et un stop incertain dans la cité des bains. Le train souffle enfin, il en arrête même de respirer puisque tout s’éteint. Les voyageurs qui montent alors n’ont pas encore conscience qu’ils grimpent à bord d’un moribond. Ils se rendent comptent que quelque chose ne fonctionne pas seulement une fois assis. L’absence d’électricité ne tarde pas à allumer des regards d’inquiétude dans les yeux. « Serons-nous en retard ? Encore ? »

Le flottement dure jusqu’au moment où un passager se lève et quitte le bord, suivi par deux, puis trois, puis l’ensemble des gens. Esprit grégaire avez-vous dit ? Fort heureusement, un employé des CFF est là, tombé de la lune visiblement, « raperché à la der » pour parler romand. Il explique que c’est bien le train pour Bâle « oui, oui Mssieurs dames, c’est bien ça ! ». Les gens, ni une ni deux, remontent. Mais voilà, l’employé portait des jeans avec un gilet orange défraichi, et l’électricité ne revient toujours pas… La crédibilité, une valeur en passe de disparaître ? Visiblement ! Les passagers en devenir finissent par redescendre dans une harmonie de masse ressemblant à une fanfare silencieuse. Et soudain, le wagon s’illumine, la fée électrique est revenue. La pauvresse n’aura certainement pas été se rincer les câbles avec de l’œil de perdrix ! Nouvelle procession retour, les voyageurs ont à nouveau la certitude d’être chez eux pour le film de 20h30.

Sauf que le train reprend le rythme d’enfer d’une tortue plongée dans une fondue bressane trop cuite…. Mon voisin se tourne vers moi, irrité au possible et me dit « je suis persuadé que la locomotive à vapeur faisant le Paris-Marseille en 1890 allait plus vite ! ». Sans doute…, non, finalement, je ne crois pas.

Sur une autre banquette, une femme tape frénétiquement sur son téléphone portable et jure en se rendant compte que sa correspondance à Bâle est loupée. Partie remise au lendemain. Bah, il y a assez d’hôtels autour de la gare de Bâle à 200.- la nuit. Elle aura le choix ! Je ne doute pas que le contrôleur va devoir s’expliquer devant la dame en colère, comme devant le reste du wagon et du train d’ailleurs. Les passagers l’attendront longtemps, jamais il ne viendra… Courageux mais pas téméraire, le Charles.

Inébranlable, le convoi avance, lentement, doucement, gentiment. Le fringant jeune homme à la cravate pourpre devant moi, bien sur lui, dynamique, finit dégrafé à Bienne, déboutonné à Granges, dans le coaltar à Delémont. Car le train allait parvenir à Delémont, contre toute attente. Et là, surprise ! Terminus, tout le monde descend. Les passagers pour Bâle sont priés de s’engouffrer vite fait dans le tortillard local !

Plus de trois heures pour faire Genève-Bâle alors que la durée moyenne est de 2h40. Au diable les correspondances ratées!  Mais si le problème technique qui est intervenu dans cette odyssée était annoncé dès Gland, puis à chaque arrêt, et ce en trois langues – merci pour les touristes – faillait-il faire rouler un train doté de roues carrées aussi longtemps ? Le mystère des cadences horaires, des équipes techniques et des voies de service l’expliqueront certainement.

Mais tout cela n’est pas une surprise. On pourrait même dire que c’est habituel !

Emprunter les CFF en 2015, c’est finalement une évocation ferroviaire de Töpffer ou de Buzzati.

Le Forum interdisciplinaire de l’Académie suisse des sciences

Le 13 novembre, les prix de la très selecte Fondation Balzan seront remis à Berne à quatre chercheurs de rang international. Hans Belting de la Haute École de Karlsruhe pour l’histoire de l’art européen, Joel Mokyr de la Northwestern University pour l’histoire économique, Francis Halzen de l’Université de Wisconsin-Madison pour la physique des astroparticules, et David Karl de l’Université d’Hawaii pour l’océanographie rejoindront ainsi les élus. 112 personnalités et organisations d'entraide depuis 1961. Parmi elles, les Suisses Jean Piaget, Jean Starobinski et Michel Mayor.

La Fondation Balzan encourage les actes scientifiques et culturels ainsi que l'engagement humanitaire en décernant un montant annuel de trois millions de francs suisses à l’ensemble des personnalités retenues, des fonds destinés à leurs recherches. Mathématiques, biologie fondamentale, science des matériaux, neurosciences cognitives, sciences de la terre, nanoscience, droit international, astronomie et astrophysique sont ainsi fréquemment mis à l’honneur. Et chaque année, ou presque, des chercheurs provenant des sciences humaines, travaillant notamment en histoire, en archéologie ou en sociologie, figurent parmi les lauréats.

Les quatre scientifiques honorés cette année participeront le jour avant la remise des prix, au Forum interdisciplinaire organisé par l’Académie suisse des sciences à la Berner GenerationenHaus, sur une thématique ô combien d’actualité, le dialogue entre la science et la société.

L’événement se déroulant à 550 mètres du Palais fédéral, on peut espérer qu’il attirera quelques sénateurs parmi ceux qui estiment les sciences humaines superflues ! 

Des scies et des clous, 700 ans d’histoire

Sept cents ans d’histoire, une durée remarquable ! Rares sont les institutions, les familles, voire les pays qui peuvent se vanter de la même longévité. C’est pourtant dans le cours de sept siècles que la corporation des gens du bois de Genève, menuisiers et charpentiers, s’inscrit. La confrérie de « Sainct Blays et saincte Anne », puisque c’est son nom d’origine, apparaît dans les listes de 1487 et de 1529, vingt-neuvième dans l’ordre de la procession du Corps de Dieu qui dénombre quelques soixante confréries, militaires pour les unes, professionnelles pour les autres, toutes baignées par la religion.

1315, année de la bataille de Morgarten, un an après le bûcher à Paris de Jacques de Molay, dernier commandeur des Templiers, 177 ans avant Christophe Colomb, les charpentiers de Genève se querellent et finissent devant la cour de justice du Vidomne, l’officier du comte de Savoie qui n’était alors pas encore duc. Le dignitaire ordonnera de conserver perpétuellement à l’avenir lesdites bonnes coutumes sans aucune fraude. Nous dirions aujourd’hui les « best practice ». Et encore, si la première trace écrite de l’existence d’une « guilde » professionnelle des charpentiers apparaît en mai 1315, il est évident que celle-ci existe préalablement. C’est que le bois est l’un des matériaux utilisés par l’homme depuis des âges.

Cette histoire permet aujourd’hui de mesurer la récurrence des préoccupations d’un corps de métier, qui se répètent encore et toujours. Concurrence, qualité du travail accompli, litige, provenance des matériaux, les mêmes soucis qui apparaissent de nos jours dans la plupart des règlements professionnels seront listés dans l’ordonnance du 13 mai 1635.

Cette corporation, à l’instar de ses sœurs, occupait une place considérable dans la cité de Genève, formant une arborescence appartenant au noyau dur de la société civile, endossant selon les époques et en marge de l’église un rôle social et moral, attentif aux équilibres et garantissant par là-même une forme de paix sociale.

Voilà en quelques lignes les débuts d’une histoire qui se prolonge jusqu’à nos jours, celle de gens de métier qui ont traversé le temps, entre prospérité et crises, et qui ont su transmettre et augmenter l’héritage d’une connaissance pluriséculaire. Une histoire que mon dernier ouvrage tente de retracer.

Bonne lecture pour les amateurs ! 

Des scies et des clous, 700 ans d’histoire

Sept cents ans d’histoire, une durée remarquable ! Rares sont les institutions, les familles, voire les pays qui peuvent se vanter de la même longévité. C’est pourtant dans le cours de sept siècles que la corporation des gens du bois de Genève, menuisiers et charpentiers, s’inscrit. La confrérie de « Sainct Blays et saincte Anne », puisque c’est son nom d’origine, apparaît dans les listes de 1487 et de 1529, vingt-neuvième dans l’ordre de la procession du Corps de Dieu qui dénombre quelques soixante confréries, militaires pour les unes, professionnelles pour les autres, toutes baignées par la religion.

1315, année de la bataille de Morgarten, un an après le bûcher à Paris de Jacques de Molay, dernier commandeur des Templiers, 177 ans avant Christophe Colomb, les charpentiers de Genève se querellent et finissent devant la cour de justice du Vidomne, l’officier du comte de Savoie qui n’était alors pas encore duc. Le dignitaire ordonnera de conserver perpétuellement à l’avenir lesdites bonnes coutumes sans aucune fraude. Nous dirions aujourd’hui les « best practice ». Et encore, si la première trace écrite de l’existence d’une « guilde » professionnelle des charpentiers apparaît en mai 1315, il est évident que celle-ci existe préalablement. C’est que le bois est l’un des matériaux utilisés par l’homme depuis des âges.

Cette histoire permet aujourd’hui de mesurer la récurrence des préoccupations d’un corps de métier, qui se répètent encore et toujours. Concurrence, qualité du travail accompli, litige, provenance des matériaux, les mêmes soucis qui apparaissent de nos jours dans la plupart des règlements professionnels seront listés dans l’ordonnance du 13 mai 1635.

Cette corporation, à l’instar de ses sœurs, occupait une place considérable dans la cité de Genève, formant une arborescence appartenant au noyau dur de la société civile, endossant selon les époques et en marge de l’église un rôle social et moral, attentif aux équilibres et garantissant par là-même une forme de paix sociale.

Voilà en quelques lignes les débuts d’une histoire qui se prolonge jusqu’à nos jours, celle de gens de métier qui ont traversé le temps, entre prospérité et crises, et qui ont su transmettre et augmenter l’héritage d’une connaissance pluriséculaire. Une histoire que mon dernier ouvrage tente de retracer.

Bonne lecture pour les amateurs !