Train de Suisse (ou l’aventure palpitante de l’ICN 639)

Il est 17h15, gare Cornavin, Genève. La foule s’amasse sur les quais, la journée est finie. Les gens rentrent chez eux !

Voila que le train, magnifique, brillante machine fendant les airs, arrive à quai.

17h18, le voilà parti, il laisse bientôt les lumières de la ville derrière lui. Prochain arrêt, Yverdon.

Las, il ne faut pas plus d’une quinzaine de kilomètres pour sentir la force de l’engin faiblir, diminuer. Nous passons Nyon à la vitesse d’un cheval lancé au galop et cette rythmique poussive semble devoir continuer. Les minutes passent, le retard s’accumule. Nous arrivons à Neuchâtel après quelques frémissements du côté de Grandson et un stop incertain dans la cité des bains. Le train souffle enfin, il en arrête même de respirer puisque tout s’éteint. Les voyageurs qui montent alors n’ont pas encore conscience qu’ils grimpent à bord d’un moribond. Ils se rendent comptent que quelque chose ne fonctionne pas seulement une fois assis. L’absence d’électricité ne tarde pas à allumer des regards d’inquiétude dans les yeux. « Serons-nous en retard ? Encore ? »

Le flottement dure jusqu’au moment où un passager se lève et quitte le bord, suivi par deux, puis trois, puis l’ensemble des gens. Esprit grégaire avez-vous dit ? Fort heureusement, un employé des CFF est là, tombé de la lune visiblement, « raperché à la der » pour parler romand. Il explique que c’est bien le train pour Bâle « oui, oui Mssieurs dames, c’est bien ça ! ». Les gens, ni une ni deux, remontent. Mais voilà, l’employé portait des jeans avec un gilet orange défraichi, et l’électricité ne revient toujours pas… La crédibilité, une valeur en passe de disparaître ? Visiblement ! Les passagers en devenir finissent par redescendre dans une harmonie de masse ressemblant à une fanfare silencieuse. Et soudain, le wagon s’illumine, la fée électrique est revenue. La pauvresse n’aura certainement pas été se rincer les câbles avec de l’œil de perdrix ! Nouvelle procession retour, les voyageurs ont à nouveau la certitude d’être chez eux pour le film de 20h30.

Sauf que le train reprend le rythme d’enfer d’une tortue plongée dans une fondue bressane trop cuite…. Mon voisin se tourne vers moi, irrité au possible et me dit « je suis persuadé que la locomotive à vapeur faisant le Paris-Marseille en 1890 allait plus vite ! ». Sans doute…, non, finalement, je ne crois pas.

Sur une autre banquette, une femme tape frénétiquement sur son téléphone portable et jure en se rendant compte que sa correspondance à Bâle est loupée. Partie remise au lendemain. Bah, il y a assez d’hôtels autour de la gare de Bâle à 200.- la nuit. Elle aura le choix ! Je ne doute pas que le contrôleur va devoir s’expliquer devant la dame en colère, comme devant le reste du wagon et du train d’ailleurs. Les passagers l’attendront longtemps, jamais il ne viendra… Courageux mais pas téméraire, le Charles.

Inébranlable, le convoi avance, lentement, doucement, gentiment. Le fringant jeune homme à la cravate pourpre devant moi, bien sur lui, dynamique, finit dégrafé à Bienne, déboutonné à Granges, dans le coaltar à Delémont. Car le train allait parvenir à Delémont, contre toute attente. Et là, surprise ! Terminus, tout le monde descend. Les passagers pour Bâle sont priés de s’engouffrer vite fait dans le tortillard local !

Plus de trois heures pour faire Genève-Bâle alors que la durée moyenne est de 2h40. Au diable les correspondances ratées!  Mais si le problème technique qui est intervenu dans cette odyssée était annoncé dès Gland, puis à chaque arrêt, et ce en trois langues – merci pour les touristes – faillait-il faire rouler un train doté de roues carrées aussi longtemps ? Le mystère des cadences horaires, des équipes techniques et des voies de service l’expliqueront certainement.

Mais tout cela n’est pas une surprise. On pourrait même dire que c’est habituel !

Emprunter les CFF en 2015, c’est finalement une évocation ferroviaire de Töpffer ou de Buzzati.

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.