Le temps des extrémismes

Le terrorisme terrorise, mais il engendre également des forces susceptibles de devenir des dangers autrement plus importants. Que l’on se souvienne seulement de l’attentat de Sarajevo en 1914, un acte commis par un anarchiste qui allait déclencher une guerre sans précédent. Nous n’en sommes pas là !

La création de l’Union européenne avait déjà donné un nouveau regain de vigueur aux mouvances nationalistes qui travaillent les pays européens depuis des décennies. Les contextes politiques et économiques de ces dernières années ont encore accentué la montée du conservatisme.

Les partis nationalistes s’ils sont plus ou moins radicalisés, plus ou moins néo-nazis – on peut penser au Parti national-démocrate (NPD), à Alternative für Deutschland (AfD), au mouvement Pegida, à Republikaner et Pro Deutschland pour l’Allemagne, à la Ligue du Nord, à Forza Nuova, à CasaPound pour l’Italie, au Parti autrichien de la liberté (FPO) pour l’Autriche, à Aube dorée pour la Grèce, à Noua Dreapta (Nouvelle droite) et au Parti de la Grande Roumanie pour la Roumanie, au Front national pour la France, ainsi qu’au Parti nationaliste suisse qui présentait quatre candidats pour les élections fédérales qui viennent de se dérouler – essayent à présent de justifier leurs thèses en dénonçant les attentats récents de Paris !

«La sécurité est la première des libertés» scande le ministre Valls qui a prolongé l’état d’urgence sur le territoire français et qui propose des mesures inquiétantes pour accélérer les procédures relatives aux crimes terroristes. Un discours qui rappelle celui du préfet de police de Paris en 1961, un certain Maurice Papon, qui s’exprimait alors que l’état d’urgence était également déclaré en France depuis le mois d’avril. L’on sait ce qu’il allait advenir au soir du 17 octobre 1961, les cadavres de plusieurs dizaines de Français algériens flottant entre deux eaux dans la Seine, victimes d’une répression policière vengeresse[1].

L’ordre, la sécurité et la vérité, autant de vertus que seul l’autoritarisme peut garantir ?

Prenons garde au retour des valeurs de notre civilisation sujettes à autant d’interprétations que le Coran, et qui ne supportent guère les remises en question. Leurs promoteurs les plus zélés ont démontré tout au long du XXème siècle à quel point ils pouvaient faire preuve d’autant d’inhumanité que les crapules de Daesh.

Prenons garde à ces vérités assenées force d’affirmations péremptoires, des vérités que l’on observe le plus souvent sous des angles uniques, des vérités au pire construites de toute pièce comme semble vouloir l’entendre le président polonais Andrzej Duda qui déclarait il y a peu « la Pologne a besoin d'une politique historique et d'un débat sur la manière de façonner les attitudes civiques et patriotiques »[2].

Et si le temps de la délation est arrivé en France, en Suisse, des représentants de l’extrême-droite commencent à attaquer des intellectuels comme le constitutionnaliste Andreas Auer, ou Jacques Neirynck taxé de « porte-parole de l'aristocratie intellectuelle »[3] en leur reprochant de réfléchir. Quand insulter autrui en le traitant d’intellectuel est possible, les frontières de la démocratie sont franchies. Peut-être, la première valeur de ces dernières n’est-elle pas la sécurité, mais bien la liberté de penser.


[1] Le nombre exact de victimes n’a jamais pu être définitivement établi. Voir à cet égard Neil MacMaster, Inside the FLN: the Paris massacre and the French Intelligence Service, 2013. Et Jim House, Neil MacMaster, « La Fédération de France du FLN et l'organisation du 17 octobre 1961 », in Vingtième siècle. Revue d'histoire, no 83, juillet-septembre 2004, pp. 145–160.

 

Christophe Vuilleumier

Christophe Vuilleumier est un historien suisse, actif dans le domaine éditorial, et membre de plusieurs comités de sociétés savantes, notamment de la Société suisse d'histoire. On lui doit plusieurs contributions sur l’histoire helvétique du XVIIème siècle et du XXème siècle, dont certaines sont devenues des références.