Aide sociale 2/3: les baisses (des forfaits) font-elles la baisse (du taux de bénéficiaires)?

Nous l’avons évoqué dans le précédent article: baisser simplement les montants alloués au titre de l’aide sociale ne peut pas faire mécaniquement baisser de façon importante la proportion des bénéficiaires de l’aide sociale dans la population. Tout au plus de telles diminutions permettent-elles de répondre à la pression politique qui s’est construire autour des dépenses sociales, principalement en Suisse alémanique, et de régler certains cas délicats, comme les familles nombreuses où le cumul des forfaits peut donner des revenus totaux trop élevés, comme l’explique Pierre-Yves Maillard dans cette interview au Temps.

Mais tout cela ne nous aide pas à atteindre ce qui ne peut qu’être le but d’une politique sociale: réinsérer durablement dans le marché du travail ceux qui peuvent l’être. En revanche, on peut faire bien d’autre choses, comme:

  • Revoir le fonctionnement de l’assurance-chômage, comme le demande la CDAS à demi-mot. Le raccourcissement des délais d’indemnisation, validée en référendum en 2010 contre l’avis de la gauche, a reporté automatiquement dans l’aide sociale de nombreux chômeurs. Le fonctionnement des Offices régionaux de placement, qui conseillent les chômeurs, pourrait aussi être revu: aujourd’hui, différentes disposition les conduisent parfois à concentrer le travail sur les cas les plus “faciles”, soit sur les personnes les plus facilement réinsérables.
  • Mener une offensive de formation. L’initiative pour des aides aux études plus ambitieuse a été refusée, en juin 2015, en votation populaire – belle occasion manquée de donner un signal clair pour mettre une formation à la portée de tous. La loi sur la formation continue, adoptée en 2014, est un premier pas dans la bonne direction, en revanche. Ce n’est qu’ainsi qu’on résoudra le problème exprimé par le Gouvernement vaudois ci-dessus. On peut aussi évoquer le programme vaudois FORJAD, qui a passablement fait parler de lui. Seule la formation protège durablement de la précarité, comme l’illustre bien le graphique ci-après:
Plus haut niveau de formation des bénéficiaires de longue durée de l'aide sociale (de gauche à droite pour chaque ville: école obligatoire, formation élémentaire, formation professionnelle ou maturité, formation supérieure / tertiaire). Source: Initiative des villes pour la politique sociale.
Plus haut niveau de formation des bénéficiaires de longue durée de l’aide sociale (de gauche à droite pour chaque ville: école obligatoire, formation élémentaire, formation professionnelle ou maturité, formation supérieure / tertiaire).
Source: Initiative des villes pour la politique sociale, indicateurs 2014.
  • Faire jouer à l’assurance-invalidité (AI) son vrai rôle: celui de prendre en charge les personnes qui ne sont, pour différentes raisons, limitées dans leur capacité de travail. Or, pour le dire avec l’Initiative des villes pour la politique sociale, “L’AI hat nettement durci ses critères d’admission pour une rente AI, à travers diverses révisions, au cours de la décennie écoulée”. Résultat: 62% des bénéficiaires de l’aide sociale sont, d’une façon ou d’une autre, atteints dans leur santé. Un dernier graphique assez frappant à ce titre:
Légende
Etat de santé des bénéficiaires de l’aide sociale de longue durée. Le graphique de droite indique que 62.4 % souffrent d’un problème de santé. Source: id.
  • Modifier les dispositions sur l’obligation d’entretien: c’est le projet de Pierre-Yves Maillard, qui considère que les parents d’un jeune qui se retrouve bénéficiaire de l’aide sociale n’ont pas à être exonérés de toute responsabilité, à l’opposé de ce qui vaut pour un apprenti (que ses parents doivent entretenir jusqu’à 25 ans). Rétablir cette égalité de traitement semble aller de soi.
  • Harmoniser les normes et les fonctionnements, au moins dans une certaine mesure, car la sous-enchère dans ce domaine ne fait que repousser – et renchérir – les dépenses qu’il faudra consentir un jour ou l’autre pour la réinsertion. Mais se doter de normes communes ne peut fonctionner que s’il existe également des systèmes péréquatifs adéquats. Je n’entre pas ici dans le détail la péréquation internationale, dont je laisse la complexité à ceux qui la connaissent. Par contre, si les communes assument seules leurs dépenses d’aide sociale, tout en étant soumises à des règles unifiées au moins au niveau cantonal, elles seront tentées de se débarrasser de la question par d’autres biais en réduisant, par exemple, leur offre de logements à bas prix, ou en rendant administrativement l’accès aux prestations plus difficiles. Là encore, on ne fait que repousser le problème sans le résoudre.

Après ces considérations générales et abstraites, nous aborderons dans le troisième épisode de cette mini-série le cas d’une commune et détaillerons le mix de mesures qu’elle a mises en place, avec à ce jour un certain succès.

Aide sociale 1/3: la baisse qui cache la forêt

Lundi 21 septembre, la conférence des directeurs de l’action sociale (CDAS), qui rassemble les conseillers d’Etat en charge de ce domaine, a adopté des normes communes pour les montants à allouer aux bénéficiaires de soutien social. L’attention s’est, naturellement, fixée en priorité sur les montants et les possibilités de sanctions. Je passe sur les détails pour m’en tenir à un résumé rapide: baisse des forfaits à partir de la sixième personne dans un ménage, baisse pour les jeunes, et enfin augmentation des possibilités de sanctions financières.

Harmonisation bienvenue

Der Runde Tisch der Konferenz der Kantonalen Sozialdirektorinnen und Sozialdirektoren (SODK) waehren der Sitzung fuer die Opfer von fuersorgerischen Zwangsmassnahmen am Dienstag, 1. Juli 2014 in Bern. (KEYSTONE/Lukas Lehmann)
Les directeurs cantonaux de l’action sociale, réunis ici en 2014 à Berne. (Keystone)

Ce qui est davantage passé inaperçu, c’est le fait que la CDAS adopte elle-même les normes: auparavant, cette conférence s’orientait aux normes édictées par la Conférence suisse des institutions d’aide sociale (CSIAS), soit par les professionnels du secteur. Cette façon de faire donnait du grain à moudre à la droite radicale – le fait que les élus reprennent en main la validation des normes est un premier pas pour mener le débat au bon niveau.

Par ailleurs, l’harmonisation est absolument nécessaire dans le domaine de l’aide sociale. En l’absence, au moins, de standards et minima communs, on ne favorise qu’une chose : une concurrence à la baisse pour être le moins attrayant possible. Les économies de court terme que peuvent réaliser des collectivités publiques portent en germe des coûts bien plus élevés à long terme : qu’on les concentre dans les villes, dans les banlieues pauvres ou dans les régions périphériques, les bénéficiaires de l’aide sociale ne disparaîtront pas. En revanche, chaque année hors du marché du travail rend la réinsertion plus difficile et donc plus chère. Harmoniser relève du bon sens – et ne contredit pas le fait de tenir compte des différences de coût de la vie selon la région.

Pourquoi baisser l’aide sociale?

Indépendamment de ces considérations, on peut s’interroger sur le but d’une telle mesure. Dans son communiqué, la CDAS évoque prudemment une “pression sur les coûts de l’aide sociale”… tout en relativisant: coût et évolution de l’aide sociale ne dépendent pas que des forfaits, loin de là!

Et la CDAS a raison: postuler que seule une motivation financière individuelle compterait pour faire sortir des bénéficiaires de l’aide sociale revient à imaginer qu’il existe un stock d’emplois attendant d’être pourvus et correspondant aux bénéficiaires en question. Vous avez deviné: le monde réel n’est pas si simple.

Comme l’écrit le Conseil d’Etat vaudois au sujet du chômage dans ce canton (mais le raisonnement se laisse exporter): “Une large partie du chômage vaudois, comme c’est le cas sur le plan suisse, s’explique par l’inadéquation entre les profils des demandeurs d’emplois et les besoins des employeurs tant publics que privés” (et de nombreux chômeurs sont des bénéficiaires de l’aide sociale, après avoir épuisé leurs droits aux indemnités de l’assurance).

Au prochain épisode : si ce n’est en diminuant les montants, comment faire baisser l’aide sociale ?

Mise à jour (28 septembre): dans cette tribune parue sur Domaine public, le conseiller municipal socialiste zurichois R. Golta explique de façon claire et pratique les nombreux rôles joués par l’aide sociale.