Les médailles et leurs revers

C’est une cérémonie quelque peu inhabituelle qui s’est tenue il y a quelques jours au Musée Olympique à Ouchy puisque les membres du relais 4 x 100 m masculin de Trinité-et-Tobago ont chacun reçu une médaille d’or… gagnée lors des Jeux Olympiques de Pékin en 2008! Difficile de concevoir qu’il ait fallu 14 ans pour réattribuer des médailles; une telle attente s’explique par le long délai durant lequel des échantillons peuvent être réanalysés à des fins anti-dopage et la durée des procédures juridiques.

2008, c’était la grande époque du sprint où Usain Bolt était au sommet de son art. Rappelez-vous: il atomise le record du monde du 100 m avec un temps de 9’69”, tout en écartant les bras en signe de victoire 20 mètres avant la ligne d’arrivée (voir la vidéo ici), et récidive lors du 200 m en courant en 19’30”. Il s’offre même une troisième médaille d’or à l’occasion du relais 4 x 100 m en signant un troisième record du monde. Hélas, en mai 2016, son coéquipier Nesta Carter est testé positif à un stimulant interdit et se voit sanctionner par le CIO le 13 janvier 2017, avec pour conséquence le retrait de la médaille d’or à l’ensemble des membres du relais jamaïcain, au profit de l’équipe de Trinité-et-Tobago. S’ensuivent une procédure d’appel devant le Tribunal arbitral du sport, l’adoption de nouvelles règles du CIO sur la réallocation des médailles et nous voici enfin arrivés à une cérémonie pour remettre l’or olympique à l’équipe initialement classée deuxième, 14 ans après la course.

A priori, il semble aisé de réattribuer des médailles après une disqualification, puisque chaque concurrent classé après l’athlète disqualifié devrait logiquement grimper au classement. Mais, la réalité est bien différente puisque chaque organisation sportive est soucieuse de ne pas récompenser un athlète potentiellement aussi sulfureux que celui qui a été disqualifié. L’exemple le plus connu est la décision des organisateurs du Tour de France qui ont choisi de ne pas proclamer de nouveaux vainqueurs, une fois Lance Armstrong dépossédés de ses 7 victoires consécutives au classement général entre 1999 et 2005. Il est vrai qu’il aurait été pour le moins audacieux de consacrer Jan Ulrich pour les éditions 2000, 2001 et 2003, connaissant ses casseroles.

Le CIO aussi a été régulièrement placé devant un choix cornélien au moment de réallouer des médailles. L’exemple le plus retentissant est le sort finalement réservé à l’épreuve du 100 m féminin lors des Jeux Olympiques de Sydney en 2000. Marion Jones avait glané l’or avant de se faire rattraper par la patrouille. La grecque Aikaterini Thanou, deuxième, aurait donc dû empocher l’or, sauf que… Sauf que cette athlète s’est retrouvée au cœur d’un autre scandale lors des Jeux d’Athènes en 2004 en évitant un contrôle anti-dopage à la suite d’un prétendu “accident de moto”, en compagnie de son acolyte Kostas Kenteris, lui-même spécialiste du 200 m. Hors de question de lui allouer l’or rétroactivement dans de telles circonstances! Le CIO a alors fait bénéficier les autres finalistes du 100 m d’une meilleure place au classement, à l’exception de la sprinteuse grecque qui a donc conservé l’argent, avec pour conséquence que le classement officiel affiche désormais deux médaillées d’argent, avec deux temps différents. Il fallait y penser.

La multiplication des cas de dopage révélés après des réanalyses a aussi poussé le CIO à se doter de règles formelles, plutôt que de décider en équité comme pour le cas Thanou. Lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012, tout le monde se félicitait que ces jeux avaient été très propres, sans le moindre scandale de dopage. Sauf que 10 ans plus tard, pas moins de 39 athlètes ont été dépossédés de leurs médailles après avoir été convaincus de dopage sur la base de nouvelles analyses. En haltérophilie, sur les 45 médailles attribuées initialement, 18 ont été retirées postérieurement! Ainsi, presque tous les podiums ont été modifiés après coup. Sachant qu’un tel sport est empêtré dans des affaires récurrentes de dopage, il est délicat de redistribuer des médailles, sachant que le risque que l’heureux bénéficiaire soit aussi dopé que l’athlète disqualifié est bien présent.

Désormais, depuis 2018, avant de prendre la décision de réattribuer une médaille, les mesures suivantes doivent être prises par le CIO :

  1. Épuisement de toutes les voies de recours légales.
  2. Lorsque de tels échantillons sont disponibles, au moins un échantillon de tout athlète réattribué doit être réanalysé et confirmé négatif. Si aucun échantillon n’est disponible pour être réanalysé, le bénéfice du doute est accordé à l’athlète.
  3. Les athlètes doivent retourner leurs médailles originales pour obtenir leurs nouvelles médailles.
  4. Il ne devrait pas y avoir de limite inférieure à la position d’arrivée originale d’un athlète qui pourrait être considéré pour une réattribution de médaille olympique.
  5. Toutes les décisions finales seront prises par la commission exécutive du CIO, les fédérations internationales étant responsables du résultat final et du classement des compétitions olympiques conformément à la Charte olympique.

En application stricte de ces nouvelles règles, Thanou aurait donc empoché l’or en 2000 puisqu’elle n’avait alors pas été testée positive.

Si les médailles sont réallouées, le sportif gagnant un nouveau métal a ensuite le choix entre six options pour la cérémonie de remise de sa médaille:

  1. Les prochains Jeux olympiques (pour les réaffectations à partir de PyeongChang 2018)
  2. Les Jeux Olympiques de la Jeunesse
  3. Le siège du CIO ou le musée olympique
  4. Lors d’une manifestation du Comité National Olympique
  5. Lors d’une manifestation ou d’une fonction de la Fédération Internationale
  6. Lors d’une cérémonie privée

Jamais rien ne remplacera les émotions dont a été privé l’athlète lors de la cérémonie officielle d’après course, surtout si c’est l’or qui est en jeu; mais il faut se féliciter que le CIO ait mis au point une cérémonie de consolation qui permet de célébrer aussi bien que possible l’exploit à récompenser, plutôt que de se contenter d’un envoi d’une médaille par courrier postal.

Les chiffres du dopage

Intéressante lecture que le rapport de l’Agence mondiale antidopage (AMA) sur les violations commise en 2019. On y apprend qu’après analyse de 278’047 échantillons prélevés dans le monde entier, un peu plus de 1’500 athlètes ont été sanctionnés à ce jour, soit un ratio inférieur à 1 %. Pas de surprise sur les sports les plus gangrénés par le dopage puisque le bodybuilding, l’athlétisme et le cyclisme se retrouvent sur le podium.

S’agissant des nations les plus touchées, la Russie arrive en première position du classement des cancres avec 167 cas, juste devant l’Italie (157 cas) et l’Inde (152 cas). Les statistiques montrent aussi que les hommes commettent un peu plus de trois quart des violations (77 %), ce qui mériterait une analyse plus fine. Les mâles seraient-ils plus tricheurs?

Ces chiffres sont à prendre avec des pincettes. Car si l’athlétisme et le cyclisme sont en apparence très touchés par le dopage, il faut faire le constat que ce sont aussi les sports pratiquant le plus de tests avec le football. En rapportant le nombre de cas au nombre de tests, ces deux sports s’en sortent en réalité mieux que la moyenne! Si l’on tient compte des cas positifs par rapport au nombre de contrôles effectués, ce sont le bodybuilding (plus 20 % d’échantillons positifs!), le powerlifting et l’haltérophilie qui se distinguent dans la fourberie.

Les statistiques de l’AMA indiquent que presque tous les sports effectuent des contrôles antidopage, même des sports mineurs ou non signataires du Code mondial antidopage. Qui d’entre vous a-t-il déjà entendu parler du “Bandy”, du “Korfball” ou du “bateau dragon”?

On apprend aussi avec un certain effroi qu’aucun sport n’est épargné par le dopage. Ainsi le jeu de dames a connu un cas de dopage, tout comme le minigolf!

Et la Suisse dans tout cela? Cinq violations des règles antidopage en 2019: deux en football, deux en cyclisme et une en tennis.

Voilà assez de chiffres pour finir l’année 2021. Ne me reste plus qu’à vous dire, à l’année prochaine! D’ici là, portez vous bien.

Sun Yang ou l’histoire d’un casse-tête chinois

C’est un drôle de cadeau de Noël qu’ont adressé les juges fédéraux au Tribunal arbitral du sport (TAS) le 23 décembre dernier. La sentence rendue dans la célèbre affaire Sun Yang a été annulée, ce qui est déjà suffisamment rare pour être signalé. Ce qui est plus rare encore, c’est qu’elle a été annulée pour une apparence de prévention d’un arbitre. C’est un véritable séisme dans le milieu.

L’affaire Sun Yang aurait pu servir de vitrine pour le TAS car tous les ingrédients étaient réunis. Sun Yang: un athlète de premier rang; triple champion olympique; véritable icône en Chine. Des enjeux faramineux: l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) qui réclamait une sanction de huit ans – le nageur étant récidiviste – alors que la fédération internationale de natation (FINA) l’avait précédemment blanchi. Cerise sur le gâteau, Sun Yang avait requis des débats publics, comme l’y autorise la Convention Européenne des Droits de l’Homme, alors que les affaires disciplinaires sont le plus souvent traitées à huis clos. (suite…)

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Coleman, victime collatérale de la lutte contre le dopage

Les championnats du monde d’athlétisme débuteront à la fin de ce mois à Doha. Le samedi 28 septembre prochain, au soir, nous saurons qui est le nouveau champion du monde du 100m, l’épreuve reine de la compétition. Il se pourrait bien que ce soit le sprinter américain Christian Coleman, qui détient la meilleure performance mondiale de la saison avec un chrono de 9’81.

Si tel est le cas, sa médaille d’or sera forcément entachée de soupçons en raison des charges portées à son encontre lors de cet été par l’agence américaine antidopage (USADA). Deux ans après le sacre sulfureux de Justin Gatlin, sanctionné deux fois pour dopage, pas sûr que la fédération internationale d’athlétisme (IAAF) y trouve son compte. (suite…)

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“RF”, comme signé Federer?

L’été dernier, lors de l’entrée en lice de notre Roger national à Wimbledon, un petit événement s’était produit. Rien de particulier à signaler au niveau du jeu puisque Federer avait passé le premier tour sans encombre; mais grande nouveauté sur le terrain puisqu’il arborait pour la première fois les couleurs de son nouvel équipementier japonais après avoir toujours été habillé par Nike. Dans un article du 2 juillet 2018, Le Temps avait rapporté les grandes lignes de la transaction avec la marque Uniqlo: un contrat de 300 millions de dollars sur 10 ans.

Le passage inattendu d’une marque à l’autre ne s’est pas fait sans encombre, comme en témoigne l’abandon de la ligne de vêtements “RF”. Ayant perdu son champion, Nike ne produit plus de nouveaux produits affublés du célèbre logo; quant à la société Uniqlo, elle ne peut manifestement pas utiliser le design développé par Nike, au grand dam des supporters et de Federer himself. (suite…)

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Joakim Noah: un fiasco synonyme de jackpot

Alors que la NBA vient de reprendre ses droits, un feuilleton a tenu en haleine le basket américain l’été dernier. Qu’allait donc bien devenir Joakim Noah, le fils de vous savez qui, au sein des New York Knicks?

Alors qu’il évoluait sous le maillot des légendaires Chicago Bulls, Joakim Noah faisait honneur au talent de son père : neuf saisons abouties avec le titre de meilleur défenseur de la ligue en 2013/14 et deux participations au All-Star Game. C’était avant son transfert en 2016 aux New York Knicks. Bilan: 53 matchs (sur 164) joués lors des deux dernières saisons; plusieurs blessures; une suspension de 20 matchs pour violation des règles antidopage et un conflit avec son coach qui lui a valu d’être mis à pied pour le reste de la dernière saison. Cela fait beaucoup de casseroles pour un joueur ayant signé un contrat de 4 ans pour 72 millions de dollars. (suite…)

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Thabo Sefolosha: de la fumette qui aurait pu coûter très cher

Le premier Suisse à jouer en NBA, Thabo Sefolosha, s’est fendu d’un tweet hier soir pour s’excuser auprès de ses coéquipiers, de son entourage et de ses fans. Pourquoi? Parce qu’il devra purger une suspension de cinq matchs une fois qu’il sera remis de sa blessure. Dans son message, on apprend qu’il a commis des “erreurs de jugement” pour lesquelles il assume l’entière responsabilité de ses actes.

On en saura pas plus. En cherchant à trouver ce qui se cache derrière les mots et les regrets, on apprend qu’il a été sanctionné par la NBA pour avoir été testé pour la troisième fois positif au cannabis.

Voilà une nouvelle occasion de relancer un vieux débat: le cannabis doit-il vraiment figurer sur la liste des produits dopants? (suite…)

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Curling, dopage et aspirine

Dans la foulée des nombreuses affaires russes qui ont secoué le Comité International Olympique (CIO) avant l’ouverture des Jeux Olympiques, on a beaucoup parlé de ce cas de dopage du curleur russe Krushelnitsky, positif au meldonium. Cela lui a coûté, ainsi qu’à son épouse et coéquipière, sa médaille de bronze.

La délégation russe n’avait certainement pas besoin d’une telle publicité dans le contexte actuel. Ce cas de dopage donne du grain à moudre à ceux qui reprochent au CIO d’avoir accepté d’inviter des athlètes russes aux Jeux Olympiques, après le scandale de Sotchi où, selon le fameux “rapport McLaren”, un programme sophistiqué de dopage avait été mis en place par l’Etat russe en vue de faire une razzia sur les médailles.

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Maria Sharapova à Roland Garros, avec quelle légitimité?

Dans dix jours, la direction de Roland Garros fera savoir si Maria Sharapova est invitée au tournoi parisien. Pour rappel, cette championne a été suspendue pendant 15 mois à la suite d’une infraction aux règles antidopage et n’a plus un classement suffisant pour entrer dans le tournoi; la logique des chiffres voudrait donc qu’elle ne joue pas, à moins de recevoir une invitation. Serait-il juste que la double tenante du titre (2012 et 2014) puisse fouler la terre battue parisienne du fait de la magnanimité des organisateurs? (suite…)

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