Ce n’est pas tous les jours que la Cour Européenne des droits de l’homme est amenée à se prononcer sur une affaire sportive. Pourtant, le 18 janvier dernier, elle a rendu un jugement important avalisant le “système Big Brother” mis en place par les autorités de lutte contre le dopage que Jeannie Longo et des syndicats français contestaient. Décryptage.
Les données de l’équation
Tous les sportifs de haut niveau sont soumis à des contrôles antidopage. Lorsque ceux-ci ont lieu lors des compétitions, ils ne sont pas très efficaces: le sportif qui encourt le risque d’être contrôlé saura être propre le jour de la compétition.
Pour que la lutte contre le dopage soit plus dissuasive, il est nécessaire que les tests puissent être effectués sans préavis et hors compétition. En ce sens, le Directeur de l’Agence mondiale antidopage, le Suisse Olivier Niggli, s’est exprimé ainsi:
“Il serait impossible de lutter contre le dopage par de simples contrôles en compétition, car de nombreuses substances sont rapidement éliminées du corps humain, mais conservent leurs effets sur la performance d’un sportif jusqu’au moment d’une compétition. L’élément de surprise constitue donc la clé. L’abolition des contrôles hors compétition sonnerait aussi le glas du fructueux programme du Passeport biologique de l’athlète, qui exige un certain nombre de prélèvements d’échantillons, pour la plupart hors compétition.”
Le problème devient alors de localiser les sportifs. D’où le besoin de Big Brother.
On a alors adopté un système de surveillance, qui ne concerne que les athlètes de très haut niveau. Ceux-ci sont inclus dans ce qu’on appelle des “groupes cible de sportifs soumis aux contrôles du dopage“; ils doivent alors dévoiler où ils se trouvent et spécifier une période de 60 minutes par jour pendant laquelle ils acceptent d’être testés.
Un tel système est pour le moins intrusif car les sportifs faisant partie d’un groupe cible doivent informer là où ils se trouvent sept jour sur sept et ils encourent continuellement le risque de voir débarquer un agent pour les tester, étant précisé que les tests ne peuvent en principe pas être réalisés entre 23h et 5h du matin. Il est fréquent que les sportifs indiquent un créneau horaire tôt le matin pour être certain de bien être présent au lieu spécifié pour le cas où un contrôleur se pointerait et ainsi éviter des sanctions en cas de contrôle manqué. Cela donne lieu à des fâcheries fréquentes comme lorsque huit joueurs de notre Nati s’étaient fait réveiller au saut du lit, à 6 heures du matin, le lendemain d’un match par des contrôleurs zélés.
La contestation des syndicats
Plusieurs syndicats de sportifs français ont contesté devant la Cour Européenne des droits de l’homme les obligations sur la localisation auxquelles leurs membres sont soumis. Ils ont été rejoint dans leur combat par l’infatigable Jeannie Longo qui, dans l’intervalle, avait été poursuivie pour n’avoir précisément pas rempli de telles obligations. Finalement, elle sera relaxée car elle n’appartenait en fait plus au groupe cible au moment où on lui reprochait de ne pas avoir informé sur sa localisation.
Les syndicats et Jeannie Longo plaidaient en substance qu’il était contraire à la liberté de mouvement et au droit au respect de la vie privée et familiale, de devoir indiquer constamment où l’on se trouve, tout en vivant avec la crainte constante de voir un intrus débarquer à la maison pour effectuer un contrôle antidopage. Ils estimaient que le sort des sportifs de très haut niveau n’était pas si différent d’un criminel condamné à effectuer des arrêts domiciliaire. When Big Brother is watching you…
Ces arguments ont été rejetés par les juges de Strasbourg. Pour eux, la lutte contre le dopage relève de l’intérêt public et elle se doit d’être efficace. Il y a certes une atteinte à la vie privée, mais elle est justifiée car le dopage met en danger la santé des sportifs. Or, en procédant à une pesée des intérêts, la protection de la santé des sportifs prévaut sur leur droit à la vie privée. En somme, les juges ont reconnu que le système est certes intrusif, mais il est justifié au vu des enjeux que présente la lutte contre le dopage.
Efficace, la lutte contre le dopage?
Le jugement rendu par la Cour Européenne a naturellement été salué comme il se doit par l’Agence mondiale antidopage qui s’est exclamée qu’il s’agissait “d’un grand jour pour le sport sans dopage“.
Pourtant, si la validation judiciaire du système sur la localisation des sportifs est une bonne nouvelle pour les autorités antidopage, elle ne doit pas faire oublier la réalité des chiffres. Selon les statistiques publiées pour l’année 2015, seulement 0.83 % des contrôles antidopage ont conduit à des résultats positifs dans les sports olympiques (1’634 cas positifs sur 196’581 analyses effectuées). Si l’on prend les chiffres totaux, pour tous les sports, il n’y a eu que 3’809 échantillons positifs sur 303’369 analyses, ce qui donne un pourcentage de 1.26 %.
Or, il ne fait absolument aucun doute que la prévalence du dopage dans le sport est très largement supérieur aux statistiques précitées. Une étude néerlandaise de 2015 estimait la prévalence entre 14 et 39%. Pire, un sondage commandé par l’Agence mondiale antidopage et réalisé de façon anonyme auprès de 2’167 sportifs lors de deux compétitions d’athlétisme en 2011 indiquait grosso modo que la moitié d’entre eux s’était dopé durant les 12 mois précédents !
Le calcul est vite fait: si un bon tiers des sportifs a recours à des méthodes interdites et que moins de deux pourcents des échantillons analysés sont positifs, il est permis de douter de l’efficacité de la lutte contre le dopage. Il semblerait donc que Big Brother is watching, but he is not watching very carefully!