La Ligue des Champions ou la fable de la poule aux œufs d’or

C’est reparti: la Ligue des Champions reprend ses droits demain soir!

Pour le téléspectateur suisse, la compétition n’aura plus la même saveur puisque la RTS a perdu les droits télévisés des compétitions européennes au profit de la chaîne privée Teleclub. L’information n’est pas nouvelle, Le Temps s’en était déjà fait l’écho l’été dernier, mais elle devient d’actualité.

Le passionné de foot devra donc s’abonner à Teleclub, à Fr. 19.90 par mois, tout en souscrivant un abonnement auprès de Swisscom TV ou de Sunrise TV, pour continuer à bénéficier d’une offre digne de ce nom, ou se contenter du match programmé chaque semaine sur les chaînes du service public. Fin de l’eldorado helvétique; désormais, pour tous les téléspectateurs européens, il faut passer par des chaînes privées, en déboursant quelques deniers, pour suivre les compétitions phares de l’UEFA.

Avec la prolifération des smartphones et des tablettes, la généralisation de la fonction “replay” et l’arrivée du mastodonte Netflix, le paysage audio-visuel vit une mutation importante et il devient de plus en plus rare de regarder la télévision en direct. Mais le sport se vit dans l’instant et seul le direct est vecteur d’émotions. Dans ce contexte, les chaînes privées mettent le paquet pour acquérir les droits TV du football qui devient le symbole d’une guerre commerciale sans merci. Nos voisins français l’ont aussi appris à leur dépens avec le rachat surprise des droits de la Champions League par SFR qui mise sa survie en misant tout sur cette compétition. Un investissement de 350 millions d’euros sur trois ans pour prendre des parts de marché à ses concurrents et capter des recettes publicitaires.

A ce jeu de poker menteur, le football s’en met plein les poches. Cette année, les clubs participant à la Champions League se partageront 2.04 milliards d’euros, nouveau record.

En mettant ses compétitions aux enchères, l’UEFA réalise une opération commerciale exemplaire. Les businessmen applaudiront. Les vedettes du football et leurs agents aussi: ce sont bien eux les grands gagnants de la manne provenant des droits TV. Le mercato de cet été s’est encore distingué par un nouveau record: un marché à plus de 5 milliards de dollars, dont plus de 4 milliards, rien que pour les cinq plus grands championnats européens.

Dire que le football est devenu un produit commercial est un euphémisme. Ce n’est pourtant pas cette image que veut se donner l’UEFA. Dans une jolie opération de communication, celle-ci prétend se doter de 11 valeurs fondamentales. La valeur numéro 1 est la suivante:

Dans tout ce que nous faisons, le football doit toujours être le premier et le plus important élément à prendre en considération. Le football est un jeu avant d’être un produit, un sport avant d’être un marché, un spectacle avant d’être un business

Si véritablement le football n’est pas un business, alors il faut le rendre au peuple et arrêter de le vendre au plus offrant. Plutôt que de chercher un profit maximum, l’UEFA devrait s’assurer que ses compétitions européennes demeurent visibles sur les chaînes publiques afin qu’elles soient accessibles à tous et pas seulement aux abonnés des chaînes privées. Voilà qui serait une belle illustration de la valeur numéro un de l’UEFA!

En démocratisant les droits TV, les compétitions européennes engrangeraient moins d’argent. Serait-ce un mal pour autant? Cela permettrait de mettre un terme à la flambée ridicule des prix des joueurs sur le marché des transferts, avec à la clé une plus grande égalité entre les clubs. En effet, la spirale infernale dans laquelle le football évolue désormais crée des inégalités qui à terme pourraient bien tuer la poule aux œufs d’or: seuls les plus grands clubs qui participent régulièrement à la phase finale de la Ligue des Champions ont désormais les moyens de s’acheter les meilleurs joueurs, créant ainsi un football à deux vitesses. L’intérêt de suivre une compétitions est moindre si ce sont toujours les mêmes qui gagnent à la fin. Sur ces vingt dernières années, c’est toujours une équipe provenant de l’un des quatre grands championnats qui triomphe à une exception près: Porto en 2004.

Devinez quoi? Lutter contre les inégalités est précisément ce que dit vouloir le Président de l’UEFA :

“L’équilibre compétitif est désormais notre priorité numéro un à l’UEFA ! Nous n’aurons pas peur de prendre des décisions fermes pour corriger les problèmes. Nous devons impérativement protéger la magie du football et agir avant qu’il ne soit trop tard”

Une des “décisions fermes” à prendre est certainement de revoir la manière dont les droits télévisés sont gérés et redistribués. Si l’UEFA persiste dans cette voie, il faudra toujours payer plus cher pour voir du football pour le seul profit des plus grandes équipes européennes qui écrasent la Champions League dans une suprématie qui devient d’une monotonie frontalement contraire aux valeurs du sport et à celles que l’UEFA prétend défendre.

Monsieur Ceferin, si vous voulez joindre la parole aux actes, à vous de jouer!

Yvan Henzer

Avocat spécialisé en droit du sport, Yvan Henzer est un observateur privilégié des manœuvres politiques qui font l’actualité sportive et se trouve au cœur de l’action au gré des affaires qui occupent son quotidien.