Ateliers horlogers et habitat des horlogers, une longue histoire de construction dans l’Arc jurassien

Pratiquer l’horlogerie, loger les horlogers c’est construire ou adapter des bâtiments. Au rythme des changements et des crises, les réponses aux besoins se traduisent en trois dimensions. Aujourd’hui dans l’Arc jurassien, l’histoire industrielle horlogère se lit le nez au vent dans nos villages comme dans les rues de nos villes.

 

 

Difficulté de classifier l’histoire du bâti horloger

Décrire la longue histoire des bâtiments édifiés autour de l’horlogerie est un exercice difficile. Il y a toujours une indocilité des faits et des dates, ici bien visible car, de fait, le bâti reste sur le sol. Ici, un paysan-horloger travaillera toujours dans sa ferme en 1950, comme des travailleurs œuvreront encore à domicile au moment de la Crise Horlogère. Néanmoins de grandes étapes dans les constructions sont bien discernables dans cette longue histoire.

 

Modification des façades des fermes

Dès l’arrivée de l’horlogerie au début du 18e siècle, les fermes des villages et des hameaux de l’Arc jurassien sont adaptées à cette activité. Le besoin de lumière demande l’ouverture de fenêtres supplémentaires. La grammaire perturbée des façades et la présence de moellons différents autour des grandes embrasures désignent ces fermes où s’activaient les paysans-horlogers.

 

Maisons spécifiques

Au tournant du 18e, plusieurs paysans délaissent le travail de la terre pour l’horlogerie, qui devient leur principale source de revenus. C’est alors le temps de l’édification d’immeubles horlogers même dans les petits villages. Plus de grands toits pour abriter une grange, plus de « train de ferme », mais des logements pour les familles dans les étages inférieurs et sous le toit de longues fenêtres éclairant l’atelier d’horlogerie. Elles sont orientées en évitant soigneusement le sud, source d’un soleil incommodant. Elles sont aussi en hauteur avec une vue dégagée pour jouir d’une lumière sereine et évoluant paisiblement, une nécessité pour les activités à l’établi. Quant aux agglomérations, elles grandissent. Après l’incendie de 1794, La Chaux-de-Fonds est reconstruite selon un plan en damier élaboré pour les besoins des activités horlogères: de l’espace autour des maisons garantissant une lumière régulière sans ombres portées et de larges voies de communication facilitant les échanges d’ateliers à ateliers en toutes saisons.

Maison d’établisseurs

A la même époque, apparaissent des maisons de prestige, celles des établisseurs. Ces bâtiments abritent l’habitat et les bureaux de l’établisseur horloger qui organise la production des montres et les commercialise. Souvent la magnificence des façades, des jardins et quelques pièces d’apparat témoignent de la réussite des affaires de leur propriétaire.

 

Ateliers sans habitat

Dès le début du 19e, l’horlogerie se mécanise avec des machines lourdes. Elles sont donc installées au rez-de-chaussée, soit dans des bâtiments abritant aussi des logements, soit dans des constructions qui ne sont que des ateliers. Les progrès techniques permettent, à la fin de ce siècle, l’édification de bâtiments spécifiques en métal et en briques, bien adaptées à la mécanisation de l’horlogerie.

 

Fabriques avec maison directoriale 1870-1930

Dans une logique de rationalisation de la production, le système de l’établissage s’estompe dans la deuxième moitié du 19e siècle. C’est le début des fabriques et certaines sont intégrées. Dissociées de l’habitation de l’ouvrier, elles sont contiguës au logement du directeur. Ces longs volumes sont facilement dissociables. D’abord la villa patronale très soignée avec des balcons et un perron monumental, viennent les bureaux et ensuite les ateliers avec leurs longues lignées d’ouvertures.

 

Fabriques 1870-1930

Il y a aussi les fabriques sans villa. Libérées de cette volonté de témoigner d’un certain succès dans les affaires, elles présentent sur leurs quatre côtés un strict aspect d’usine horlogère, toujours bien identifiable avec la multitude des fenêtres. Avec la difficulté des trajets du personnel, quelques grandes fabriques prennent place dans des villages, devenus alors mono-industriels.

 

Villas des patrons et mécénat culturel : théâtre, musée etc… 1850-1970

Lorsqu’il n’habite pas accolé à sa fabrique, le propriétaire se fait construire une villa. Il y a, presque, une rivalité entre les bâtisseurs. La taille, les décors, les jardins et bien sûr l’implantation des villas sont évalués par tous. Dans les villes, via un mécénat important, cette motivation à témoigner de sa réussite profite à tous par l’édification de salles de musique, de théâtres et de musées.

 

Logement des horlogers à partir de 1870

Les horlogers ayant pris le chemin des fabriques, les maisons n’ont plus besoin d’abriter des ateliers. Il ne s’agit plus que d’y loger des familles dont la plupart des membres partent à la fabrique. Et le succès des activités horlogères entraine un grand besoin de logements pour les nouveaux arrivants dans les villes qui s’étoffent.

 

Extension des fabriques 1930 puis 1950

Au rythme des périodes prospères, les fabriques sont agrandies. Souvent en continuité esthétique, parfois non, car les styles et les techniques permettent alors d’autres structures donnant un nouveau visage à ces bâtiments.

 

Rénovation des fabriques, construction d’usines horlogères et mise en place de la Manufacture 1990-

Avec le renouveau de l’horlogerie, les usines horlogères sont rénovées, réadaptées aux besoins largement diminués en personnel comme à l’omniprésence des machines CNC. La volonté est de mettre en adéquation l’aspect des bâtiments, désormais nommés « Manufacture » ou « Ateliers » avec l’esprit de la marque. Ils se doivent donc résolument modernes ou alors les témoins d’un passé revisité, présenté comme pur, propre et net.

Une autre option est de partir de zéro. La marque, faisant appel à des architectes reconnus, construit alors un immeuble voulu et pensé comme un véritable vecteur promotionnel des montres qu’elle propose.

 

Reconversion des ateliers vers 1900, puis des fabriques depuis 1930

Les changements d’organisation de la production et les difficultés économiques condamnent l’usage professionnel des ateliers indépendants puis de plusieurs locaux industriels. En diminuant leurs ouvertures, en en bouchant d’autres, ils deviennent alors des logements. Fractionnées presque tronçonnées, les longues fabriques abritent des occupations bien loin de leur destination première comme des lofts, de la mécanique auto, des activités culturelles. Parfois l’ouverture de grandes baies, l’installation de balcons, des rajouts incongrus perturbent profondément leurs façades qui présentaient une harmonie et un certain esthétisme.

 

L’histoire horlogère se lit dans nos villages comme dans les rues de nos villes

Ainsi une déambulation innocente dans les agglomérations de nos montagnes et vallées peut être l’occasion de belles découvertes. Pas à pas, cette lecture de la physionomie du bâti régional permet de visualiser les lieux où se faisait, où se fait l’horlogerie. Ces bâtiments horlogers, comme les outils et les machines autour des établis, ont évolués. Mais ils restent des outils mixtes aidant à la réalisation des pièces horlogères comme à leur promotion.

Benoît Conrath

Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier

http://www.vauchermanufacture.ch

Vaucher Manufacture Fleurier

Vaucher Manufacture Fleurier (VMF) est une manufacture de mouvements mécaniques, de kits horlogers et montres haut de gamme. Elle a pour clients et partenaires des grands noms de l’horlogerie suisse. Pour eux, elle réalise des calibres offrant différents niveaux de personnalisation, ou développe des mécanismes exclusifs de haute horlogerie à partir d’une feuille blanche.

2 réponses à “Ateliers horlogers et habitat des horlogers, une longue histoire de construction dans l’Arc jurassien

  1. Je suis sincèrement admiratif avec laquelle vous traitez ce sujet et je tiens a vous remercier. J’ai toujours un reel plaisir de replonger dans l’histoire horlogère de notre région!

  2. Merci pour cette très belle synthèse de l’histoire de nos habitats horlogers.
    Pierre-André Delachaux

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