L’industrie horlogère suisse est-elle garante de la Belle Horlogerie ?

1975 fin d’une industrie horlogère utile, 1990 redémarrage de l’horlogerie avec des machines CNC au service de la créativité et aujourd’hui une érosion sévère des montres de moyenne gamme. Comment les belles montres pourraient-elles continuer à être accessibles, presque à tous ?

 

Un grand changement lors de la Crise du Quartz

Dès 1975, l’arrivée des montres électroniques sonne le glas des montres mécaniques. La fabrication de ce nouveau type de montre condamne les lignes de production installées dans les usines horlogères. En quelques années, beaucoup d’ateliers sont désertés par les opérateurs ; les machines sont dispersées et tout un aspect de la production industrielle horlogère disparaît. Avec un grand désarroi, les horlogers comprennent que la divulgation du temps n’est plus leur seul privilège. Maintenant, elle se fait avec des appareils très divers, comme une cuisinière, un téléphone et bien évidemment par ce nouveau type de montre. Celle-ci n’a plus besoin des horlogers, si ce n’est pour changer sa pile.

Le renouveau de l’horlogerie

A partir de 1990, le fait de porter une montre mécanique revient à la mode. Ce n’est plus un besoin, ni une nécessité, cela devient un signe de bon goût. La montre mécanique est à la mode. Toute sa promotion se fait autour de la main à l’œuvre, de la finition. Le travail dans les ateliers est presque mythifié. Pour certains lecteurs des magazines horlogers, une question se pose : tous les travailleurs, donc tous les horlogers (sic) ont-ils encore une ferme et des vaches à traire ? Hors de ces douteux errements de présentation, le travail a vraiment changé dans plusieurs entreprises.

L’arrivée de l’automatisation

Durant la Crise, la fabrication industrielle de la montre se concentre dans quelques entreprises. Puis dans celles-ci, des dispositifs automatiques, des systèmes robotisés remplacent les « petites mains ». Le nombre des employés diminue fortement et, grâce aux progrès de la mécanisation, tenue de l’heure et fiabilité augmentent. Ces fabriques d’ébauches continuent donc à proposer des mouvements qui fonctionnent encore plus efficacement, d’un faible coût, mais peu aptes à recevoir des finitions soignées.

 

L’exigence des manufactures

Ces mouvements industriels ne correspondent pas aux critères de qualité promus par la communication des marques horlogères. Très utilisée, l’appellation de Manufacture sous-entend des montres particulièrement bien exécutées, exclusives et personnalisées. Quant aux mouvements, grâce à un fond ouvert, ils sont bien mis en évidence au dos de la montre.

 

Les machines CNC, la

souplesse au rendez-vous

Avec les progrès de l’automatisation, arrivent les machines CNC. En plus d’une grande souplesse, ce type de machine-outil à commande numérique par ordinateur offre des opportunités nouvelles pour construire des mouvements de qualité, des composants sur-mesure.

 L’invention d’un mot : la production artisano-industrielle

Le travail manuel revient par la grande porte dans les ateliers, non plus pour pallier l’insuffisance des machines, mais pour assurer une finition, une décoration qui valorisera les composants de la montre. Ainsi le défi de tenir la fiabilité comme celle de maintenir des prix, relativement, raisonnables est possible par la combinaison de méthodes de production industrielles avec des terminaisons manuelles. Ce type de production alliant machines et travail manuel est baptisé d’un néologisme presque antinomique : artisano-industriel.

Un subtil équilibre entre production industrielle et Belle Horlogerie

Dans les manufactures, les montres sont construites en petites quantités par des machines très souples, capables de préparer des composants horlogers qui seront ensuite magnifiés par des mains expertes. Cette situation idyllique est presque vraie. Dans les faits, mis à part une entreprise multinationale horlogère bien connue, toutes les manufactures ont besoin, peu ou prou, de plusieurs partenaires pour leur fournir des composants.

 Le moyen de gamme horloger est à la peine

Cette production industrielle consiste en des montres suisses de qualité proposées à quelques centaines de francs.

Les quantités de montres fabriquées dans ce moyen de gamme horloger baissent d’année en année.

Rappelez-vous, la montre mécanique n’est plus le seul moyen de connaître l’heure…

Et cette diminution considérable de la production industrielle pose plusieurs problèmes à sa voisine, la Belle Horlogerie. Car par ces grandes quantités, la production industrielle facilite l’accès aux compétences, à des fournitures, à de l’outillage et à des matières premières à l’entier de la branche horlogère.

Plusieurs solutions

Pour une manufacture, la voie d’une véritable autonomie de réalisation des montres est très onéreuse et difficile. Et cette autonomie n’inclut pas la mise au point des machines et des outils, ni la préparation des matières. Alors des actions comme celle de se rassembler à plusieurs pour éviter l’écroulement des fournisseurs, ou encore celle de se fédérer autour de certains domaines périclitant au vu de la rapide diminution des quantités, risquent de devenir nécessaires. Déjà, plusieurs d’entre elles se regroupent pour étudier des problèmes communs comme la lubrification. Des entreprises naissent, d’autres se développent, toutes se mettent au service des marques horlogères. Et les progrès des techniques ouvrent des possibles, encore inenvisageables il y a peu.

Tous solidaires

Les différents acteurs horlogers s’accordant pour maintenir une réelle industrie horlogère produisant des mouvements fiables et précis, la fabrication la plus artisanale des montres pourra alors continuer à s’appuyer sur une base industrielle.

En sus des connaissances techniques mises à mal par la diminution des quantités, la seconde difficulté d’importance pour tous est de conserver à la montre mécanique le statut d’objet de notre quotidien.

Pour les marques, une voie inédite serait de promouvoir non pas leurs produits stricto sensu, mais la montre mécanique tout court. Un peu comme un bijoutier proposerait des bijoux en argent dans son magasin. A terme c’est payant car, séduites par l’idée de porter un bracelet, plusieurs personnes pourront acquérir un bijou en or massif.

Revenant à la Belle Horlogerie et à la montre, voulue comme toujours portée au poignet gauche, ne s’agirait-il pas ensuite de créer l’envie d’acquérir une montre d’exception ?

 

Benoît Conrath

Horloger chez Vaucher Manufacture Fleurier

http://www.vauchermanufacture.ch

Vaucher Manufacture Fleurier

Vaucher Manufacture Fleurier (VMF) est une manufacture de mouvements mécaniques, de kits horlogers et montres haut de gamme. Elle a pour clients et partenaires des grands noms de l’horlogerie suisse. Pour eux, elle réalise des calibres offrant différents niveaux de personnalisation, ou développe des mécanismes exclusifs de haute horlogerie à partir d’une feuille blanche.