Citoyens et contribuables en Suisse : l’écart s’agrandit

Les résidents étrangers paient des impôts mais ne peuvent que rarement être élus

Dans six cantons, les étrangers sont autorisés à exercer des fonctions politiques au niveau communal : voter, élire, être élu. C’est possible à Fribourg, Vaud, Neuchâtel et Jura, ainsi que dans les communes des Grisons et d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui l’ont elles-mêmes décidé (cf. mon blog sur le sujet). Cette situation reste une exception en Suisse.

La nationalité suisse est la condition  de l’accès aux droits politiquespasseport suisse

Le plus souvent, le passeport suisse est considéré comme une condition indispensable à l’accès aux droits politiques. Les conditions de l’accès à la nationalité suisses sont sévères (notamment la durée obligatoire de domiciliation), comparées à d’autres pays. Pourtant, la population résidente suisse est composée plus de 25% par des étrangers, qui y travaillent, paient des impôts et sont soumis aux lois du pays. Dans une approche libérale, ceux qui contribuent au financement de l’Etat devraient avoir un mot à dire sur sa gestion (« no taxation without representation »). La conception de citoyenneté étant une décision politique, variable selon l’époque et les circonstances, il est temps de songer sérieusement à mieux intégrer les étrangers résidents, notamment en leur conférant des droits politiques.

Les droits politiques liés au passeport suisse? Il n’en a pas toujours été ainsi
Pourtant, l’humeur politique suisse est actuellement peu favorable à l’octroi de droits politiques à des étrangers. Dans les votations cantonales ayant  pour objet l’octroi de droits politiques aux étrangers (une trentaine dans les cantons ces dernières décennies), une large majorité  – surtout en Suisse alémanique – se dégage généralement pour refuser la proposition (dans les six cantons qui font exception, la mesure a passé dans le cadre d’une révision complète de la Constitution cantonale, donc un peu “noyée” dans l’ensemble). La possession du passeport suisse est encore considérée comme le sésame absolu, la condition préalable indispensable pour élire et être élu.   La question est légitime : si un étranger veut exercer des droits politiques en Suisse, pourquoi ne se naturalise-t-il pas ?

Pourtant, la citoyenneté formelle n’est pas toujours liée à la nationalité. Ainsi, les cantons suisses du 19e siècle n’accordaient pas le droit de vote cantonal à des ressortissants Suisse provenant d’autres cantons : un Zurichois établi à Genève ne pouvait pas y voter. Plus spectaculaire encore (et parfaitement incompréhensible aujourd’hui) : les femmes suisses, bien que de nationalité suisse depuis toujours, ont dû attendre 1971 pour avoir le droit de vote au niveau fédéral.

La définition formelle de la citoyenneté, un outil au service des Etatsciceron-verres
Dans l’Antiquité, l’Empire romain avait fait de la citoyenneté romaine (et des droits qui y étaient attachés) l’arme absolue pour l’intégration des nombreux peuples et populations objets de ses conquêtes. Dans sa célèbre plaidoirie « In Verrem » (- 70 av. J.-C.), Cicéron dénonce les crimes de Verrès, propréteur de Sicile, l’un des plus graves étant d’avoir fait crucifier un citoyen romain, en violation de ses droits.

La définition formelle de la citoyenneté par l’octroi des droits politiques est donc un outil au service des Etats, dont les critères peuvent changer selon les circonstances et l’époque.

 

Etrangers en Suisse et Suisses de l’étranger

Selon l’OFS, la Suisse comptait fin 2014 près de 2 millions de étrangers au sein de sa population résidente (soit un taux de 24,3 % sur une population totale de 8,24 millions). Pour leur immense majorité, ces étrangers paient des impôts et ne votent pas en Suisse.Dans le même temps, le nombre de Suisses établis à l’étranger ne cesse de croître : à fin 2014, l’OFS en recensait 746’900, en constante augmentation. Pour leur plus grande part, ces Suisses de l’étranger ne paient pas d’impôt dans leur pays de nationalité, mais peuvent y exercer leurs droits politiques.
A Genève, la Tribune de Genève relevait récemment que près de 34% des ménages imposables du canton étaient exonérés d’impôts (mais la proportion de Suisses et d’étrangers parmi eux n’est pas précisée). C’est le plus fort taux de résidents non contribuables pour un canton suisse.

L’écart entre contribuables et citoyens ne cesse d’augmenter
Ces exemples montrent que l’écart entre les contribuables et les citoyens ne cesse d’augmenter en Suisse. Une part croissante de contribuables effectifs (payant des impôts) n’a pas de droits politiques ; une part croissante de citoyens au sens formel (titulaires du passeport suisse, avec le droit d’exercer des droits politiques) ne paie pas d’impôts. Ce déséquilibre n’est pas sain.

La constante évolution du phénomène posera au fil du temps des questions importantes de (manque de) légitimité démocratique. Comment vivre sereinement dans une communauté dont une partie grandissante paie sans pouvoir voter, alors qu’une autre (également en augmentation) vote sans rien payer ?

Il est donc temps de réfléchir à des solutions permettant de réduire ce grand écart entre contribuables et citoyens. L’octroi élargi de droits politiques à des étrangers résidents dans les communes suisses, tel que recommandé par Avenir Suisse dans son étude “Pour la participation politique des étrangers au niveau local” (2015). est un bon début

Tibère Adler

Tibère Adler est directeur romand du think tank libéral Avenir Suisse depuis 2014. Il a une double formation en droit (master, brevet d'avocat) et en business (EMBA, IMD).

Une réponse à “Citoyens et contribuables en Suisse : l’écart s’agrandit

  1. Français vivant en terre genevoise, je constate donc que la Suisse est globalement en retard. Elle n’a pas encore atteint le stade irréversible où la moitié des électeurs ne sont pas imposables, mais elle avance sur cette voie périlleuse ! Il est grand temps de s’en soucier.
    Le remède apparent est la modification de la loi électorale, toutefois la véritable cause n’est pas soignée : à savoir la paupérisation progressive des classes moyennes fruit de la prédominance des pratiques du monde financier dans presque toutes les entreprises. Cette évolution déverse chaque jour un nombre croissant de non imposables dans l’électorat avec les conséquences que l’on peut deviner en regardant la France.
    Ainsi le monde financier voyant toujours à court terme scie joyeusement la branche sur laquelle il est assis…
    Comment éviter la chute ? C’est à résoudre ce problème que pourrait s’employer la sagesse et l’esprit de dialogue que chacun reconnaît aux Helvètes.

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