Indice de liberté d’Avenir Suisse: jouons avec le professeur Grin !

Dans une opinion publiée dans Le Temps, le professeur François Grin critique l’indice de liberté d’Avenir Suisse. Il conteste que Genève soit le canton le moins libre de Suisse, comme le présente Avenir Suisse. En pondérant les critères de l’Indice selon ses propres valeurs, le prof. Grin fait remonter Genève dans le milieu du classement.

Cette divergence est un beau succès pour l’Indice de liberté, dont l’objectif premier est une invitation, modérément provoquante, à la réflexion sur la liberté (sans prétendre à une inatteignable prétention scientifique). Le prof. Grin a donc eu parfaitement raison de jouer avec les critères de l’Indice et d’établir son propre classement personnel.

Qu’est-ce que l’Indice de liberté d’Avenir Suisse ?

Avenir Suisse a publié récemment son Indice de liberté annuel comparant les libertés civiles et économiques dans les différents cantons suisses. En tant que pays, la Suisse jouit d’un niveau de liberté élevé, en comparaison internationale. Cependant, dans un Etat pratiquant le fédéralisme avec ardeur, les cantons peuvent aussi, dans leurs domaines de compétences, adopter des positions qui stimulent ou restreignent les libertés. Le but de l’Indice est d’illustrer ces différences cantonales et leur évolution depuis 2007.

Les critères de l’Indice doivent être comparables et mesurables

Les critères utilisés dans l’Indice sont clairement décrits et documentés. Toutefois, le choix des critères est limité par la nature même de l’exercice. Ainsi, l’Indice ne contient que des critères mesurés et disponibles, de façon comparable, dans chacun des 26 cantons suisses. Des critères plus subjectifs ou qualitatifs, par exemple la dimension culturelle ou sociale du canton analysé, ne sont donc pas utilisés.

Comme la liberté est une notion éminemment subjective, l’Indice a été principalement conçu comme un outil en ligne, dont l’observateur peut faire varier les paramètres. Chacun peut se référer à ses propres valeurs et intuitions pour définir la combinaison de critères qui lui semble la plus pertinente. La liberté vit du débat, et chacun peut en faire sa propre définition.

Les critères de l’Indice sont relatifs, et pas absolus

Par exemple, le critère « Protection des non-fumeurs » ne conteste pas la nécessité d’une réglementation de santé publique (souhaitable) en la matière. Il mesure l’ampleur des restrictions additionnelles à la loi fédérale sur la protection contre le tabagisme passif, que certains cantons ont cru nécessaire d’imposer. Par exemple, une interdiction cantonale de servir les clients dans des fumoirs privatifs (même si le personnel de service y consent explicitement) est une chicane qui limite la liberté du fumeur, sans pour autant contribuer à la protection du non-fumeur.

Autre exemple : le nombre de radars fixes pour 10’000 véhicules immatriculés. Personne ne soutient que le bonheur, fût-il libéral, consiste en l’absence de radars. Mais de nombreux cantons peuvent se targuer d’une sécurité routière équivalente avec une densité de radars moindre. Le peu glorieux « record » genevois, champion suisse de la densité de radars fixes, s’explique alors aussi par d’autres arguments que la sécurité routière : stéréotype politique négatif envers l’automobiliste ? Attrait pour les revenus faciles des contraventions. ? Même ce critère apparemment simpliste des radars peut servir de tremplin au débat sur la liberté.

Avenir Suisse propose sa conception de la liberté, libérale et responsable

 Les valeurs proposées par Avenir Suisse dans son propre classement sont libérales, en ce sens qu’elles favorisent la liberté de choix des individus, ainsi que leur sens de la responsabilité personnelle. Le poids de l’Etat ou la densité réglementaire ne sont pas systématiquement considérés en soi comme un point négatif. Mais Avenir Suisse s’interroge toujours si, et dans quelle mesure, la finalité de l’action étatique contribue réellement au développement de la liberté des citoyens.

Le professeur Grin a une autre vision. Il semble apprécier la liberté telle que définie et soutenue par l’Etat, à grand renfort de normes diverses. Nos conceptions divergent. Par exemple, il loue la politique d’étatisation massive du marché du logement pratiquée à Genève, alors que, au contraire, Avenir Suisse voit dans les restrictions à la liberté d’investir dans l’immobilier un facteur-clef de la pénurie chronique vécue par le canton depuis des décennies.

La lanterne rouge de Genève reflète le goût du canton pour la réglementation

Au-delà des querelles d’interprétation, la constance de Genève dans la médiocrité (le canton a toujours été dernier à l’Indice de liberté selon Avenir Suisse) devrait quand même inquiéter. Comme pour tout classement de ce genre, l’évolution de la tendance est plus significative que le résultat en soi. Le poids de la dette genevoise restreint drastiquement la liberté du canton pour ses dépenses et investissements, mais aussi la liberté économique des citoyens et entreprises contraints de la financer. Et l’hygiénisme réglementaire semble sévir à Genève plus fortement que dans d’autres cantons, avec des conséquences sociales concrètes. Les récentes polémiques sur l’Usine illustrent parfaitement le malaise ambiant, entre désir de réglementation toujours plus cadrée et besoin d’espaces de respiration moins normés. Quand les soupapes de liberté disparaissent, les frustrations augmentent.

(Ce blog a paru dans la page Opinions de l’édition imprimée du Temps du 13.1.2016)

UDC et “Secondos”: quand les satrapes s’attrapent

L’initiative de “mise en oeuvre” illustre le casse-tête de l’exécution des initiatives acceptées

L’initiative dite « de mise en œuvre » devrait-elle être appliquée aux étrangers nés en Suisse ?

Intéressante polémique ces derniers jours sur la future interprétation de l’application de l’initiative UDC dite « de mise en œuvre », si elle était acceptée en votation le 28 février 2016.

Le professeur Hans-Ueli Vogt, candidat malheureux de l’UDC à la course au Conseil des Etats dans le canton de Zürich, estime que les étrangers dits « secondos » (nés sur le territoire suisse, mais non naturalisés) ne devraient pas être automatiquement expulsés, même si l’initiative « de mise en œuvre » était acceptée. Cette opinion est partagée par plusieurs Conseillers aux Etats affiliés à l’UDC. Pour sa part, le secrétariat général du parti conteste cette interprétation, qu’il qualifie de non–officielle. Et le patriarche de l’UDC Christophe Blocher soutient que l’interprétation de M. Vogt est contraire au texte strict de l’initiative soumise en votation. D’après ce dernier, les « secondos » criminels seraient expulsés comme les autres.

La Suisse, près de 400’000 « secondos »

Selon l’Office fédéral de la statistique (Migration et Intégration – Indicateurs : Population selon le lieu de naissance), il y avait à fin 2014 en Suisse 388’700 personnes de nationalité étrangère nées en Suisse. Ca fait du monde ! Si l’on considère que chacun d’entre eux pourrait être un criminel en puissance, à expulser automatiquement en cas d’infraction, la divergence soulevée par M. Vogt n’est pas anodine.

Même s’il est favorable à l’initiative « de mise en œuvre », le citoyen votant est donc prié de se fier soit à M. Vogt, soit à M. Blocher pour savoir si (et comment) elle sera appliquée aux près de 400’000 étrangers nés et vivant dans notre pays. C’est une bien étrange conception de la prévisibilité des conséquences du vote populaire.

Une controverse utile, qui rappelle que tout texte constitutionnel doit être interprété

Cette controverse interne à l’UDC rappelle utilement qu’un texte constitutionnel doit toujours être interprété, et qu’il existe toujours différentes approches. L’interprétation « authentique » unique n’existe pas.

La sanctification d’une quelconque interprétation qui s’appuyerait sur le paradigme de la « volonté populaire », telle que reflétée par le résultat d’une votation, est un argument essentiellement idéologique, donc sujet à contre-argumentation. Pour cette raison, des débats et discussions parlementaires sains sont nécessaires pour savoir comment appliquer dans le détail une initiative populaire acceptée en votation.

Comment s’y retrouver quand les auteurs d’une initiative se contredisent avant la votation ?

Jusqu’à présent, les controverses portaient sur l’application d’une initiative après qu’elle ait été acceptée en votation. Presque à chaque fois, le comité d’initiative « vainqueur » de la votation se déclare déçu, voire trahi, par la mise en œuvre faite de « son«  initiative.

Désormais, l’UDC innove. En étalant ses contradictions sur la place publique avant même la votation de l’initiative « de mise en œuvre », elle invente la polémique préalable d’application anticipée interne au comité d’initiative. En langage trotskyste, on dirait que des éléments non contrôlés défient le « centralisme démocratique » souhaité par le Parti. Présenter cette diversité comme une preuve de démocratie interne à l’UDC est habile, mais augmente la confusion et les difficultés d’interprétation subséquente (si l’initiative est acceptée). Pour quelle forme d’application de l’initiative les citoyens ont-ils réellement voté ?

En bref: comment les citoyens votants peuvent-ils y voir clair si les initiants ne savent pas eux-mêmes comment concrétiser leur éventuel succès ?

La solution : le référendum obligatoire sur la loi d’application d’une initiative acceptée

Une solution possible et simple a été proposée par Avenir Suisse  dans sa publication sur « L’initiative populaire » (avril 2014): toute législation d’application d’une initiative populaire acceptée devrait faire l’objet d’un référendum obligatoire (cf. mon blog du 5 janvier 2016). Le peuple pourrait ainsi valider lui-même l’interprétation de l’initiative faite dans la loi d’exécution. La question de la légitimité de la « volonté populaire » serait ainsi pleinement résolue : ce que le peuple a accepté (dans l’initiative), il peut le préciser (dans la loi d’application).

 

Une solution au casse-tête des initiatives acceptées : le référendum obligatoire pour la loi d’exécution

L’initiative dite de « mise en oeuvre » aurait été inutile

Le peuple et les cantons suisses se prononceront le 28 février 2016 sur l’initiative populaire « Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (Initiative de mise en œuvre)». Au-delà de son contenu et de sa claire volonté de limitation des droits de l’homme, l’initiative « de mise en œuvre » pose un défi inédit à l’institution même de l’initiative populaire.

L’initiative « de mise en œuvre » de 2016 a pour seul but de forcer l’exécution d’une initiative « sur le renvoi » de même contenu, acceptée en votation en 2010. Mécontente de la lenteur de la procédure et du contenu de la loi d’application, l’UDC a lancé et fait aboutir l’initiative « de mise en œuvre », qui veut faire exécuter de manière plus détaillée et contraignante l’initiative « sur le renvoi ». Cette action provocatrice aurait pu être évitée si une solution proposée par Avenir Suisse était déjà en vigueur : le référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative acceptée.

Initiatives acceptées en votation : la polémique sur l’exécution est systématique

Au-delà de la saga des initiatives pour le renvoi des criminels étrangers, c’est devenu une constante de la politique suisse que les auteurs d’une initiative populaire acceptée en votation (9 initiatives acceptées depuis 2004) se déclarent déçus, voire trahis, par la loi de mise en œuvre de « leur » initiative. Ainsi, notamment:

Mise en œuvre d’une initiative populaire : insatisfaction programmée

L’insatisfaction postérieure à une initiative acceptée n’est pas étonnante. Tout d’abord, toute règle constitutionnelle doit être interprétée, et il existe forcément plusieurs méthodes d’interprétation. Une fois acceptée, l’initiative n’appartient plus à ses auteurs, mais devient une norme valable pour tous les citoyens suisses. Chacun a donc le droit d’avoir son opinion sur la question.

Mais le casse-tête de l’exécution des initiatives acceptées est inhérent à la structure même du droit d’initiative, qui contient ses propres contradictions. En effet, le droit d’initiative est par essence un droit populaire anti-gouvernemental et antiparlementaire : c’est pour voter sur des sujets considérés comme négligés par le Parlement que l’initiative est la plus utile. Pourtant, c’est le Parlement fédéral qui doit mettre en œuvre les initiatives acceptées, alors qu’il les a généralement combattues pendant la campagne de votation. De plus, c’est ce même Parlement qui décide de la validité juridique préalable d’une initiative et donne un mot d’ordre politique sur l’initiative avant la votation (négatif, dans neuf cas sur dix). Les conflits d’intérêts sont permanents.

Quels sont les moyens à disposition des auteurs d’initiatives déçus ?

Les moyens à disposition des auteurs d’initiatives acceptées mécontents de l’exécution de celles-ci sont aujourd’hui insatisfaisants :

  • l’interdiction du contrôle de constitutionnalité des lois fédérales ( 190 Cst) ne permet pas de faire constater par un tribunal l’éventuelle non-conformité à la Constitution (donc au texte de l’initiative acceptée) de la législation d’exécution ;
  • les initiants peuvent organiser un référendum contre la loi d’application de « leur » initiative (devenue entretemps une disposition constitutionnelle du peuple suisse tout entier) en recueillant 50’000 signatures ; l’effort est lourd, et ne devrait pas devoir être exigé des « vainqueurs » de la votation initiale.

Avec l’initiative de « mise en œuvre », l’UDC a lancé un processus encore plus agressif, traduisant une profonde méfiance envers le Parlement et les tribunaux. L’initiative d’exécution est une forme de « coup de gueule » institutionnel tentant de prévenir à l’avance toute interprétation ultérieure qui serait considérée comme non-conforme au texte strict de l’initiative. Evidemment, un tel processus est encore plus lourd qu’un référendum, puisqu’il a fallu récolter à nouveau 100’000 signatures. Quasiment impossible pour un comité d’initiative citoyen, mais possible pour l’UDC, « machine politique » efficace et riche : on est bien loin de l’idéal des droits populaires, à portée de tous les citoyens.

La solution : le référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative populaire acceptée en votation

La mise en œuvre des initiatives populaires acceptées est donc devenue un casse-tête politique et institutionnel. Alors que le débat devrait être définitivement clos avec la votation, l’acceptation d’une initiative populaire en votation marque à chaque fois le début d’une nouvelle controverse, enflammée et partisane, sur sa mise en oeuvre.

Il existe pourtant un remède assez simple, déjà bien connu dans le système politique suisse, et proposé par Avenir Suisse dans son étude récente (avril 2014) sur « L’initiative populaire –Réformer l’indispensable trublion de la politique fédéral ». Il consiste à soumettre au référendum obligatoire chaque législation de mise en œuvre d’une initiative populaire acceptée en votation.

Le référendum n’aurait pas à être demandé, mais serait donc systématiquement organisé. Les auteurs de l’initiative, comme tous les autres citoyens, pourraient se prononcer sur le projet de loi. S ‘ils estiment que le projet ne respecte pas assez bien le texte ou l’esprit de l’initiative acceptée (devenue norme constitutionnelle), ils pourraient faire campagne pour son rejet. Le Parlement pourrait se concentrer sur son rôle de législateur, en usant de sa marge de manœuvre pour proposer des solutions pratiques ou concrètes aux problèmes d’application qui subsisteraient ou se seraient révélés après l’acceptation de l’initiative. Le référendum obligatoire marquerait la fin des jeux tactiques ou de menaces de référendum, puisque le résultat des travaux parlementaires serait dans tous les cas soumis au vote du peuple.

Que veut “vraiment” le peuple ? Demandons-le lui

Et si jamais la loi d’application devait – selon certains – s’écarter de la norme constitutionnelle, quoi de plus démocratique et de plus suisse que de faire valider cet « écart » par le peuple en votation ? De stériles discussions sur le « respect de la volonté populaire » seraient ainsi évitées, puisque c’est le peuple qui déciderait par lui-même comment il souhaite faire appliquer les initiatives populaires qu’il a déjà accepté, en votation, de faire entrer dans la Constitution fédérale.