L’initiative de “mise en oeuvre” illustre le casse-tête de l’exécution des initiatives acceptées
L’initiative dite « de mise en œuvre » devrait-elle être appliquée aux étrangers nés en Suisse ?
Intéressante polémique ces derniers jours sur la future interprétation de l’application de l’initiative UDC dite « de mise en œuvre », si elle était acceptée en votation le 28 février 2016.
Le professeur Hans-Ueli Vogt, candidat malheureux de l’UDC à la course au Conseil des Etats dans le canton de Zürich, estime que les étrangers dits « secondos » (nés sur le territoire suisse, mais non naturalisés) ne devraient pas être automatiquement expulsés, même si l’initiative « de mise en œuvre » était acceptée. Cette opinion est partagée par plusieurs Conseillers aux Etats affiliés à l’UDC. Pour sa part, le secrétariat général du parti conteste cette interprétation, qu’il qualifie de non–officielle. Et le patriarche de l’UDC Christophe Blocher soutient que l’interprétation de M. Vogt est contraire au texte strict de l’initiative soumise en votation. D’après ce dernier, les « secondos » criminels seraient expulsés comme les autres.
La Suisse, près de 400’000 « secondos »
Selon l’Office fédéral de la statistique (Migration et Intégration – Indicateurs : Population selon le lieu de naissance), il y avait à fin 2014 en Suisse 388’700 personnes de nationalité étrangère nées en Suisse. Ca fait du monde ! Si l’on considère que chacun d’entre eux pourrait être un criminel en puissance, à expulser automatiquement en cas d’infraction, la divergence soulevée par M. Vogt n’est pas anodine.
Même s’il est favorable à l’initiative « de mise en œuvre », le citoyen votant est donc prié de se fier soit à M. Vogt, soit à M. Blocher pour savoir si (et comment) elle sera appliquée aux près de 400’000 étrangers nés et vivant dans notre pays. C’est une bien étrange conception de la prévisibilité des conséquences du vote populaire.
Une controverse utile, qui rappelle que tout texte constitutionnel doit être interprété
Cette controverse interne à l’UDC rappelle utilement qu’un texte constitutionnel doit toujours être interprété, et qu’il existe toujours différentes approches. L’interprétation « authentique » unique n’existe pas.
La sanctification d’une quelconque interprétation qui s’appuyerait sur le paradigme de la « volonté populaire », telle que reflétée par le résultat d’une votation, est un argument essentiellement idéologique, donc sujet à contre-argumentation. Pour cette raison, des débats et discussions parlementaires sains sont nécessaires pour savoir comment appliquer dans le détail une initiative populaire acceptée en votation.
Comment s’y retrouver quand les auteurs d’une initiative se contredisent avant la votation ?
Jusqu’à présent, les controverses portaient sur l’application d’une initiative après qu’elle ait été acceptée en votation. Presque à chaque fois, le comité d’initiative « vainqueur » de la votation se déclare déçu, voire trahi, par la mise en œuvre faite de « son« initiative.
Désormais, l’UDC innove. En étalant ses contradictions sur la place publique avant même la votation de l’initiative « de mise en œuvre », elle invente la polémique préalable d’application anticipée interne au comité d’initiative. En langage trotskyste, on dirait que des éléments non contrôlés défient le « centralisme démocratique » souhaité par le Parti. Présenter cette diversité comme une preuve de démocratie interne à l’UDC est habile, mais augmente la confusion et les difficultés d’interprétation subséquente (si l’initiative est acceptée). Pour quelle forme d’application de l’initiative les citoyens ont-ils réellement voté ?
En bref: comment les citoyens votants peuvent-ils y voir clair si les initiants ne savent pas eux-mêmes comment concrétiser leur éventuel succès ?
La solution : le référendum obligatoire sur la loi d’application d’une initiative acceptée
Une solution possible et simple a été proposée par Avenir Suisse dans sa publication sur « L’initiative populaire » (avril 2014): toute législation d’application d’une initiative populaire acceptée devrait faire l’objet d’un référendum obligatoire (cf. mon blog du 5 janvier 2016). Le peuple pourrait ainsi valider lui-même l’interprétation de l’initiative faite dans la loi d’exécution. La question de la légitimité de la « volonté populaire » serait ainsi pleinement résolue : ce que le peuple a accepté (dans l’initiative), il peut le préciser (dans la loi d’application).