Votations fédérales du 28 février 2016: beaucoup de bruit pour rien !

Les votations fédérales accouchent de souris (et d’un tunnel)

Sur la forme, pour l’atmosphère, la campagne politique a pu paraître vigoureuse et enflammée, donc réjouissante. Mais en substance, les votations fédérales ont accouché de souris (et d’un tunnel). La décision du Gothard est ancrée dans le passé, et les décisions de rejets ne font rien progresser. Il serait temps de voter sur des questions décisives pour l’avenir du pays.

Le passé rénové: et un tunnel supplémentaire, un !

Le projet du Gothard ne convainquait pas vraiment, même ceux qui l’ont soutenu, mais l’absence d’alternatives crédibles a suffi pour l’emporter. Il se dégage un parfum de poussière dans cette votation, fortement ancrée dans le passé.  A l’heure de la révolution digitale du 21e siècle, un tsumami technologique et social dont la Suisse n’a pas encore pris la pleine mesure, les esprits se sont échauffés sur la meilleure manière de rénover un tunnel déjà existant, dont le potentiel d’innovation – sensationnel au 19e siècle – est tombé à zéro. On a parlé nuisance, sécurité, ferroutage, milliards, en esquivant le vrai débat : celui de l’adaptation de nos infrastructures de transports à une Suisse galopant vers les 10 millions d’habitants. Au final, le deuxième tube sera construit. C’est une expression presque insolente de notre richesse et de notre prospérité. Heureux pays qui peut dépenser près de CHF 3 milliards et payer à 100% une infrastructure (le 2e tube) en annonçant ne vouloir l’utiliser qu’à 50% (en limitant la circulation à une seule voie). Le bon sens et la pression des circonstances se chargeront de corriger tôt ou tard cette luxueuse aberration.

Le passé (presque) corrigé : 30 ans d’inégalités

La très courte majorité favorable au rejet l’initiative” pour les couples mariés” est une surprise, car le PDC, seul contre tous pour la défendre, n’est pas un parti politique réputé pour son habileté tactique avec les droits populaires. Sur le fond, les discriminations fiscales bien réelles dénoncées par l’initiative pour certains couples mariés ne seront pas corrigées. Voici plus de 30 ans que le Tribunal fédéral a indiqué le chemin d’une évolution législative (fin de la pénalisation fiscale des couples mariés) que le Parlement n’a jamais effectué: la sanction a failli tomber. En tout état de cause, c’était un vote fondé sur le passé, et non porteur d’avenir.

La votation inutile : le faux problème (initiative de mise en oeuvre)

Exemple parfait de vote inutile sur le fond : quel que soit le résultat, il était acquis que les règles d’expulsion des étrangers délinquants seraient renforcées (soit par la loi d’exécution de la première initiative « sur le renvoi » de 2010, soit par l’initiative « de mise en œuvre »). Dans la réalité du terrain, il est aussi acquis qu’émettre de nouvelles règles ne changera de toute façon pas grand chose : les cantons actuellement rigoureux (dont Genève) continueront à pratiquer les expulsions ; les cantons laxistes le resteront ; et la quasi-impossibilité de renvoyer des délinquants étrangers vers leur pays d’origine si celui-ci refuse de les reprendre subsistera.

L’initiative de mise en œuvre était surtout un défi aux institutions suisses, ainsi qu’une tentative de tester les limites du droit d’initiative. Ce défi a été rejeté. Les politologues et journalistes se réjouiront peut-être de l’intensité émotionnelle de la campagne, qui pourrait tactiquement marquer un tournant dans le style politique suisse. Il ne faut peut-être pas s’en réjouir trop vite, tant l’exemple de l’initiative de mise en œuvre était l’illustration d’une démocratie directe s’époumonant à débattre d’un objet abstrait et provocateur, ne répondant pas du tout à une véritable préoccupation concrète et pratique.

La votation inutile (bis): les fausses solutions (initiative anti-spéculation)

Enfin, l’initiative anti-spéculation des Jeunes Socialistes avait le mérite de démontrer que notre système politique permet de porter n’importe quel thème jusqu’à la votation populaire. La Suisse peut être fière de cette ouverture d’esprit. En revanche, proposer de résoudre un problème mondial (la faim, la pauvreté dans le monde agricole des pays émergents) avec des mesure locales helvétiques relève de la symbolique sans efficience. Les votants ne s’y sont pas trompés.

A quand des votations sur des sujets réellement stratégiques pour la Suisse ?

La Suisse est fière à juste titre de ses droits populaires étendus, permettant à ses citoyens de s’exprimer sur tous les sujets. Pourtant, l’instrumentalisation croissante des initiatives populaires par les partis politiques, pour des thèmes spécifiques et particuliers qui leur servent de marketing électoral, fait souci. Le génie politique suisse, s’il existe, s’exprime dans la capacité à trouver des solutions à des problèmes concrets, souvent lentement et sans grande vision, mais avec une remarquable compétence d’apprentissage collectif et un vrai talent de mise en place de solutions concrètes praticables. Débattre avec flamme de problèmes abstraits, objectivement secondaires pour l’avenir du pays, nous éloigne des racines de notre identité politique.

Il est temps que les votations fédérales portent à nouveau sur des sujets essentiels : à quand la votation sur la stabilisation (ou non) de nos relations avec l’Union Européenne, notamment quant à la libre circulation des personnes ? Quand le peuple pourra-t-il (enfin) se prononcer sur la stratégie énergétique prévoyant la sortie du nucléaire ?

 

 

Citoyens et contribuables en Suisse : l’écart s’agrandit

Les résidents étrangers paient des impôts mais ne peuvent que rarement être élus

Dans six cantons, les étrangers sont autorisés à exercer des fonctions politiques au niveau communal : voter, élire, être élu. C’est possible à Fribourg, Vaud, Neuchâtel et Jura, ainsi que dans les communes des Grisons et d’Appenzell Rhodes-Extérieures qui l’ont elles-mêmes décidé (cf. mon blog sur le sujet). Cette situation reste une exception en Suisse.

La nationalité suisse est la condition  de l’accès aux droits politiquespasseport suisse

Le plus souvent, le passeport suisse est considéré comme une condition indispensable à l’accès aux droits politiques. Les conditions de l’accès à la nationalité suisses sont sévères (notamment la durée obligatoire de domiciliation), comparées à d’autres pays. Pourtant, la population résidente suisse est composée plus de 25% par des étrangers, qui y travaillent, paient des impôts et sont soumis aux lois du pays. Dans une approche libérale, ceux qui contribuent au financement de l’Etat devraient avoir un mot à dire sur sa gestion (« no taxation without representation »). La conception de citoyenneté étant une décision politique, variable selon l’époque et les circonstances, il est temps de songer sérieusement à mieux intégrer les étrangers résidents, notamment en leur conférant des droits politiques.

Les droits politiques liés au passeport suisse? Il n’en a pas toujours été ainsi
Pourtant, l’humeur politique suisse est actuellement peu favorable à l’octroi de droits politiques à des étrangers. Dans les votations cantonales ayant  pour objet l’octroi de droits politiques aux étrangers (une trentaine dans les cantons ces dernières décennies), une large majorité  – surtout en Suisse alémanique – se dégage généralement pour refuser la proposition (dans les six cantons qui font exception, la mesure a passé dans le cadre d’une révision complète de la Constitution cantonale, donc un peu “noyée” dans l’ensemble). La possession du passeport suisse est encore considérée comme le sésame absolu, la condition préalable indispensable pour élire et être élu.   La question est légitime : si un étranger veut exercer des droits politiques en Suisse, pourquoi ne se naturalise-t-il pas ?

Pourtant, la citoyenneté formelle n’est pas toujours liée à la nationalité. Ainsi, les cantons suisses du 19e siècle n’accordaient pas le droit de vote cantonal à des ressortissants Suisse provenant d’autres cantons : un Zurichois établi à Genève ne pouvait pas y voter. Plus spectaculaire encore (et parfaitement incompréhensible aujourd’hui) : les femmes suisses, bien que de nationalité suisse depuis toujours, ont dû attendre 1971 pour avoir le droit de vote au niveau fédéral.

La définition formelle de la citoyenneté, un outil au service des Etatsciceron-verres
Dans l’Antiquité, l’Empire romain avait fait de la citoyenneté romaine (et des droits qui y étaient attachés) l’arme absolue pour l’intégration des nombreux peuples et populations objets de ses conquêtes. Dans sa célèbre plaidoirie « In Verrem » (- 70 av. J.-C.), Cicéron dénonce les crimes de Verrès, propréteur de Sicile, l’un des plus graves étant d’avoir fait crucifier un citoyen romain, en violation de ses droits.

La définition formelle de la citoyenneté par l’octroi des droits politiques est donc un outil au service des Etats, dont les critères peuvent changer selon les circonstances et l’époque.

 

Etrangers en Suisse et Suisses de l’étranger

Selon l’OFS, la Suisse comptait fin 2014 près de 2 millions de étrangers au sein de sa population résidente (soit un taux de 24,3 % sur une population totale de 8,24 millions). Pour leur immense majorité, ces étrangers paient des impôts et ne votent pas en Suisse.Dans le même temps, le nombre de Suisses établis à l’étranger ne cesse de croître : à fin 2014, l’OFS en recensait 746’900, en constante augmentation. Pour leur plus grande part, ces Suisses de l’étranger ne paient pas d’impôt dans leur pays de nationalité, mais peuvent y exercer leurs droits politiques.
A Genève, la Tribune de Genève relevait récemment que près de 34% des ménages imposables du canton étaient exonérés d’impôts (mais la proportion de Suisses et d’étrangers parmi eux n’est pas précisée). C’est le plus fort taux de résidents non contribuables pour un canton suisse.

L’écart entre contribuables et citoyens ne cesse d’augmenter
Ces exemples montrent que l’écart entre les contribuables et les citoyens ne cesse d’augmenter en Suisse. Une part croissante de contribuables effectifs (payant des impôts) n’a pas de droits politiques ; une part croissante de citoyens au sens formel (titulaires du passeport suisse, avec le droit d’exercer des droits politiques) ne paie pas d’impôts. Ce déséquilibre n’est pas sain.

La constante évolution du phénomène posera au fil du temps des questions importantes de (manque de) légitimité démocratique. Comment vivre sereinement dans une communauté dont une partie grandissante paie sans pouvoir voter, alors qu’une autre (également en augmentation) vote sans rien payer ?

Il est donc temps de réfléchir à des solutions permettant de réduire ce grand écart entre contribuables et citoyens. L’octroi élargi de droits politiques à des étrangers résidents dans les communes suisses, tel que recommandé par Avenir Suisse dans son étude “Pour la participation politique des étrangers au niveau local” (2015). est un bon début

Elections communales: les étrangers peuvent être élus dans six cantons

2015-09_as_eligibilite-etrangers_Cover_250pxElections communales : les étrangers sont éligibles dans six cantons
Le premier tour des élections communales aura lieu le 28 février 2016 dans les cantons de Vaud et de Fribourg. Particularité pour ces deux cantons : les étrangers résidents de longue durée peuvent se porter candidats, élire et être élus dans leur commune de domicile. Vaud et Fribourg sont deux des six cantons suisses qui octroient des droits politiques aux étrangers au niveau communal (en plus de Neuchâtel, Jura, Grisons et Appenzell Rhodes-Extérieures). Genève permet aux étrangers résidents de voter et d’élire, mais pas (encore) celui d’être élus.

Sur ce sujet, le « Röstigraben » est évident. Les droits politiques des étrangers existent principalement en Suisse romande (sauf le Valais), alors que les cantons alémaniques en refusent systématiquement le principe (une vingtaine de votations cantonales rejetées ces dernières décennies). Seuls des cantons particulièrement fédéralistes comme les Grisons et Appenzell Rhodes-Extérieures font exception, en conférant à leurs propres communes le droit de décider sur ce point.

Elire des étrangers dans les communes, une solution pragmatique et appréciée
Toutefois, même là où elle autorisée, l’élection effective d’étrangers dans les communes reste quantitativement modeste. Dans son étude “Pour la participation politique des étrangers au niveau local” (2015), Avenir Suisse recensait quelques dizaines de conseillers exécutifs de nationalité étrangère dans les communes suisses (et quelques centaines dans les parlements municipaux). Pas de quoi révolutionner le système de milice politique au niveau local. Mais pas de quoi inquiéter non plus : le fait que des étrangers siègent dans les communes ne pose aucun problème, et aucun des cantons leur ayant accordé des droits politiques n’envisage un retour en arrière.

La solution permet à des étrangers résidents de s’engager activement pour la communauté, sans avoir à attendre l’écoulement des longs délais pour la naturalisation. Pourquoi se priver de ces énergies et compétences quand les candidats aux fonctions de milice politique manquent si souvent ?