Il faut plus de réflexion économique dans la politique d’asile (1)

Les migrants font aussi des choix économiques

L’immense débat sur la politique européenne (et suisse) de l’asile est pour l’instant monopolisé par l’urgence opérationnelle et par les sentiments (bons ou mauvais). Il est temps d’y faire entrer de la stratégie et une saine réflexion économique.

L’urgence et les sentiments (bons ou mauvais) ne font pas une stratégie

Certes, il y urgence à trouver des solutions logistiques à court terme pour l’hébergement ou la sécurité. Mais les laborieuses relocalisations sur lesquelles bute l’UE ne sont que des mesures d’optimalisation logistique, qui seront balayées par la prochaine vague de migration. Quant aux sentiments, bons ou mauvais, ils ne suffisent pas non plus à fonder une politique efficace. Le bénévole enthousiaste qui apporte une cinquantaine de paires de bottes aux migrants de Calais en prenant deux jours de congé démontre une empathie concrète, mais totalement inefficace ; pire même, son action risque d’être contre-productive et frustrante, car les bonnes volontés ne remplacent pas une bonne organisation.

A l’opposé, les réactions sécuritaires précipitées aveuglent souvent ceux qui les prennent. Un pays comme la Hongrie, qui tente brutalement de dissuader l’immigration sur son territoire, agit en fait à l’encontre de son intérêt national : The Economist rappelle à juste titre que la Hongrie est le pays de l’Est européen qui aurait le plus besoin de compenser son déficit démographique par de nouveaux arrivants sur le marché du travail.

The Economist
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Toute stratégie doit inclure une réflexion économique, y compris dans la migration

Bref, difficile de discerner une véritable stratégie à long terme dans les mesures proposées, ni la logique économique de nombreuses décisions récentes. Pourtant, de vraies solutions à long terme ne pourront exister que si des considérations économiques sont prises en compte dans la définition des stratégies, des objectifs et des moyens. Ceci est valable tant pour les individus (prise en compte de la motivation des migrants) que pour les pays de destination de la migration.

Les migrants font le meilleur (ou le moins mauvais) choix possible pour eux-mêmes

Il ne faut pas oublier que les migrants font eux-mêmes un calcul économique personnel ; pour ceux qui partent, les risques encourus sont perçus comme inférieurs aux opportunités espérées. En d’autres termes : les risques de l’exil, des passeurs, des hébergements provisoires, de la mobilité forcée, de la clandestinité et de refus d’une autorisation de séjour, malgré leur dureté et leur forte probabilité de survenance, ne dissuadent pas les migrants, car la mince chance de pouvoir vivre dans un pays en paix avec une possibilité d’emploi leur apparaît comme un espoir d’une valeur bien supérieur à ces épreuves. Ceci ne s’applique évidemment pas au premier mouvement de migration des personnes en danger qui fuient en catastrophe une zone de guerre, de conflits ou de très fortes tensions ; mais une fois installées dans un premier abri, hors du danger le plus intense, ballotées de camp en camp, celles-ci choisissent souvent le pari d’un périple risqué. Pour se rapprocher de leur destination, ces « migrants » – même démunis selon des critères occidentaux – paient des montants souvent très importants, notamment aux filières de passeurs illégaux. C’est la preuve que la perspective d’une opportunité positive a une grande valeur à leurs yeux, bien supérieure aux risques encourus, qu’ils soient personnels, familiaux ou financiers. Tant qu’il n’existera pas d’autres alternatives, moins risquées et plus intéressantes en terme de ratio « risques/opportunité », la migration massive en cours sur l’Europe se poursuivra.

Les migrants mettent les pays de destination en “concurrence”

Le calcul économique des migrants est aussi évident dans le choix de leur destination finale souhaitée. Grossièrement, leur choix d’un pays de destination est guidé par trois considérations : la perspective d’obtenir un emploi et un salaire ; la qualité de la procédure d’accueil et de demande d’asile (ou d’une autorisation d’établissement) ; la probabilité d’obtenir l’asile (ou un permis). L’Allemagne est la destination prioritaire, parce qu’elle est perçue comme étant en tête de liste dans les trois catégories. La Suisse est cotée en-dessous de l’Allemagne, probablement car elle ne fait pas partie de l’UE (d’où un risque accru d’absence de mobilité en matière d’emploi) et n’a pas créé un « appel d’air » aussi fort que l’Allemagne, qui s’est déclarée (un peu trop vite, sans doute) très ouverte à l’immigration urgente. Le Royaume-Uni reste attractif pour l’emploi (même clandestin), malgré la brutalité de ses procédures d’immigration. La France semble en queue du peloton de l’attractivité parmi les pays de l’Ouest européen : faible perspective de trouver un emploi, message national largement hostile à l’idée de l’immigration (dans tous les partis politiques), procédure sévère et laissant peu d’espoir aux requérants. Que les Erythréens, Irakiens ou Syriens en détresse à Calais n’aient même plus envie de France en 2015 devrait résonner comme un message tragique aux élites de ce pays, même plus « concurrentiel » pour accueillir les blessés de la mondialisation (cf. notamment l’article de Xavier Alonso “Ces migrants qui ne viennent pas en France”, 24 Heures, 22.9.2015.

Augmenter la qualité des filières de migration : sécurité, efficacité, vitesse de traitement

La solution la plus désirable pour imiter l’ »attractivité » de la migration est évidemment le retour à la paix des régions de guerre et de tensions qui génèrent le plus de réfugiés. Immense et noble mission diplomatique et militaire, qui ne déploiera des effets qu’à très long terme, et encore. Dans l’intervalle, il faudrait travailler sur l’amélioration durable de la qualité des filières de migration, en particulier la sécurité offerte aux migrants durant leur périple, ainsi que sur l’efficacité et la vitesse de traitement de leur demande. Demande d’asile et/ou d’établissement, car la masse de migrants et l’intensité des conflits mondiaux rend de plus en plus illusoire le « tri » efficace à la source du « bon » migrant – qui a droit à l’asile – et du requérant « économique » – qui cherche un emploi et une vie meilleure. Outre les efforts des pays de destination, cet objectif devrait aussi être (partiellement) financé par les migrants eux-mêmes.

L’argent payé par les migrants aux passeurs serait infiniment mieux utilisé s’il était utilisé pour créer un statut légitime de requérant

Ainsi, l’argent payé par les migrants aux passeurs serait infiniment mieux utilisé s’il permettait de créer un statut administratif légitime de requérant – au plus tôt et au plus proche du pays de départ. En contrepartie de l’émolument qu’il devrait payer (qui pourrait aussi être pris en charge par un tiers – employeur potentiel, garant ou ONG), le requérant obtiendrait un statut juridique procédural efficace et privilégié. Il aurait notamment droit à un traitement rapide, humain et efficace de sa demande, en diminuant la prise de risques personnels (en permettant notamment de déposer la demande le plus proche possible des zones de tension), en donnant une réponse claire dans les meilleurs délais, en garantissant des droits de procédure stricts. De plus, en canalisant sur une filière légitimée l’argent que les migrants dépensent de toute façon pour leur périple, on réduirait la taille et l’attractivité criminelle du marché noir des passeurs.

La filière légitime doit être plus attractive que les procédures illégales ou clandestines

Bien entendu, la création d’un statut légitime partiellement financé par les migrants eux-mêmes ne peut être efficace que si, en parallèle, les filières illégales ou non légitimées sont traitées plus sévèrement (tout en évitant l’arbitraire, car il y aura toujours de vrais réfugiés issus de zones de guerre ou de conflits, qui n’auront pas le temps ou la possibilité matérielle de faire les démarches d’entrée dans un système de légitimation administrative officielle). En particulier, la perspective actuelle de régularisation dans un pays occidental pour les clandestins de longue durée – avec le sentiment que cela pourrait se faire, tôt ou tard- dépasse encore largement les inconvénients et les risques, réels et perçus. La création d’un statut procédural légitimé de requérant ne fait donc du sens que si cette filière est à la fois plus efficace pour tous, et offre aux migrants une relation « risques/bénéfices potentiels » bien supérieure à la situation actuelle. Se déclarer légitimement et accepter une décision rapide doit être moins cher et plus sûr que de migrer clandestinement et d’attendre en se cachant. A défaut, le chaos migratoire actuel en Europe continuera sans entraves, entretenu par le flot des illusions des migrants et l’immense profitabilité du marché noir des passeurs illégaux.


Crédit photo: Travailleur venu d’Erythrée sur un chantier en Allemagne, 2015, Reuters

La Longue Marche vers un service citoyen a déjà commencé

L’esprit de milice « à la suisse » doit être redynamisé

AS_système de milice_cover_250x384pxL’identité politique suisse est profondément imprégnée, pour le meilleur et pour le mythe, par trois principes cardinaux : la démocratie directe, le fédéralisme et l’esprit de milice. De ce tryptique, le troisième volet est clairement le moins étudié et le moins spectaculaire. Pourtant, cet esprit de milice, qui consiste en une présence systématique de citoyens non professionnels dans l’armée et les autorités politiques est l’un facteurs-clefs du succès de la Suisse. Les avantages du système de milice « à la suisse » sont nombreux : outil de cohésion sociale, facteur de cohésion puissant, véhicule d’intégration, proximité constante entre la population et ses autorités. Malgré cela, la participation des citoyens aux activités de milice est en déclin, en particulier dans les communes, qui peinent à pourvoir leurs autorités. Avenir Suisse a consacré un livre à ce sujet (« Etat citoyen et citoyens dans l’Etat », avec les Editions Slatkine, septembre 2015) dont l’une des propositions-phares est l’extension de l’actuelle obligation de servir (service militaire et civil exclusivement masculin) à un service citoyen universel.

Service militaire obligatoire: 1/3 de réalité, 2/3 de fiction

Historiquement, le principe de milice est bien entendu ancré dans l’armée et le service militaire; tant l’obligation de servir que la figure du citoyen-soldat restent des symboles puissants et populaires. Preuve en est notamment le rejet massif par le peuple (à 73, 2 %) et par tous les cantons de l’initiative populaire « Oui à l’abrogation du service militaire obligatoire » en votation populaire le 22 septembre 2013. Si le mythe de l’armée de milice reste puissant, la réalité est plus décevante : moins d’un tiers des jeunes gens en âge de servir accomplissent effectivement leur service militaire. Quelle que soit l’appréciation portée sur la contribution d’une armée non professionnelle à la politique de sécurité du pays (y a t-il une stratégie suisse de sécurité au fait ? est-elle connue ?) ou les contraintes liées aux constantes baisses de budget de l’armée, ce pourcentage en baisse constante est inquiétant. Tout comme le « Welschlandjahr » des jeunes filles au pair alémaniques, la rituel du passage à l’armée des jeunes hommes suisses participait à la découverte, superficielle mais humainement riche, du reste du pays. A coups de rencontres, de contacts, de baragouinages, de petites explorations, au prix d’innombrables répétitions de souvenirs de troufion, la cohésion sociale du pays, cette forme de civilité rendue possible par réduction des préjugés sur « les autres », s’en trouvait renforcée.

Service civil, un “concurrent” en pleine croissance

Non seulement le service militaire est en baisse quantitativement, mais il est de plus en plus concurrencé par le service civil. De plus en plus de jeunes gens font le choix du service civil plutôt que militaire (quand bien même la durée du service civil est 1,5 fois plus longue que le service militaire), à tel point que plus de 1,5 million de journées de service civil ont dû être organisées en 2014. Les nouveaux civilistes sont pour la plupart d’accord de s’engager et ne rejettent pas l’obligation de servir en soi ; mais ils sont rebutés par un service militaire perçu comme peu attractif, non formateur et peu intéressant. Pour satisfaire la « demande » croissante en matière de service civil, il faut donc élargir le champ des domaines d’activités possibles, sans empiéter pour autant sur ce que les entreprises privées peuvent elles-mêmes réaliser. Dans ce mouvement, la décision prise hier (14.9.2015) par le Parlement fédéral (cf. le compte-rendu dans 24 heures) autorisant les civilistes à accomplir leur devoir dans les écoles marque une étape supplémentaire vers l’élargissement des options ouvertes pour satisfaire à l’obligation de servir.

Le service citoyen proposé par Avenir Suisse…

Dans son livre sur le système de milice, Avenir Suisse imagine – sans entrer dans les détails opérationnels – la création d’un service citoyen universel, incluant tant le militaire que plusieurs activités sociales et civiles, et qui s’imposerait non seulement aux jeunes hommes de nationalité suisse, mais aussi aux femmes et aux étrangers établis depuis quelques années. Certes, cette large extension de l’obligation générale de servir est présentée comme une mesure de dernier recours si d’autres correctifs ponctuels (amélioration des rémunérations pour les miliciens, meilleure organisation du temps, revalorisation sociale et de la valeur de formation, etc.) ne permettent pas de revivifier suffisamment l’esprit et les activités de milice. Mais le déclin constant de l’engagement citoyen et bénévole constaté en Suisse force à penser qu’une décision forte et spectaculaire en faveur de la cohésion sociale sera tôt ou tard nécessaire, sous une forme ou une autre.

… est une idée qui recueille de plus en plus d’adhésion

L’idée du service citoyen gagne du terrain dans les esprits. Dans un sondage publié par l’Hebdo en avril 2015, les jeunes Romands se déclarent favorables à ce que l’obligation du service militaire soit remplacée par un service citoyen obligatoire (70 % d’approbation pour les jeunes « leaders », 58 % pour les jeunes en général)

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Confirmant cette tendance, de nombreux groupements se mobilisent, bien au-delà ou en dehors des partis, pour promouvoir l’idée d’un service citoyen. Ainsi, parmi d’autres, Servicecitoyen.ch, une association de bénévoles à but non lucratif créée à Genève, a publié le 1er août 2015 (jour de la Fête nationale, ce n’est pas un hasard) un stimulant Manifeste pour un service citoyen bilingue.

La Longue Marche vers un service citoyen universel a commencé.

La Suisse, ce bastion de libéraux pratiquants

Capture d’écran 2015-09-03 à 2.02.07 PMQue veut dire être libéral aujourd’hui ?

Cette semaine est paru chez NZZ Libro un livre collectif sur le thème « Que veut dire être libéral aujourd’hui ? ». Edité par Béatrice Acklin, Yann Grandjean et Fulvio Pelli, le livre rassemble une série d’entretiens doubles (deux personnes sont à chaque fois interrogées par l’un des éditeurs), en allemand ou en français. Le livre entend réaffirmer et rafraîchir la pensée libérale sur quelques grands thèmes politiques et sociaux : responsabilité sociale (Jean-Pierre Bonny et Jean-Daniel Gerber), migration (Tibère Adler, auteur des ces lignes, et Claude Ruey), sphère privée et monde digital (Konrad Hummler et Markus Spillmann), santé (Thierry Carrel et Ignazio Cassis), famille (Suzette Sandoz et Philippe Nantermod), religion et communautés religieuses (Martine Brunschwig Graf et Andrea Caroni), droit et démocratie (Michel Hottelier et Olivier Meuwly) et environnement (Filippo Leutenegger et Thomas Maier).

Chaque auteur est prié d’expliquer d’entrée de jeu ce qu’il entend par libéralisme. Deux grands axes de définition ressortent clairement pour tous: la combinaison des valeurs de liberté et de responsabilité  d’une part ; la défense des droits de l’individu (notamment les droits fondamentaux de la personne), tant à l’égard de l’Etat que la possible tyrannie de la majorité (même démocratique) d’autre part. La possibilité (pas la garantie) de l’épanouissement individuel est au cœur de la pensée libérale.

 Faut-il s’excuser d’être libéral ?

Ce qui frappe pourtant, dans ce livre comme dans d’autres cercles, est la connotation défensive, voire le ton d’excuse employé pour se déclarer libéral ou pour en parler. Eric Gujer, rédacteur en chef de la NZZ, commence sa préface par «Le libéralisme est une position politique qui ne trouve plus de soutiens de manière évidente». Les éditeurs entament leur introduction par «si l’on en croit l’opinion générale, le libéralisme est la cause de tous les maux de notre temps», pour mieux la réfuter. Mais pourquoi tant de retenue, pourquoi ces hésitations, surtout en Suisse, l’un des pays les plus libéraux du monde?

Certes, l’étiquette «libérale» n’est pas porteuse pour gagner une élection: le FDP allemand s’est récemment effondré; les partis purement «libéraux» n’ont eu du succès en Suisse que dans les cantons urbains et bourgeois de Genève, Vaud, Neuchâtel et Bâle, avant d’être phagocytés par le nouveau parti libéral-radical. Certes, il n’y a pas de définition incontestable et homogène de ce qu’est le libéralisme (mais c’est tout aussi vrai pour le socialisme, le conservatisme, le populisme, le nationalisme ou le progressisme). Certes, le tic communicationnel d’accoler «néo» ou «ultra» à «libéral» fait circuler le préjugé que ce courant de pensée se limite à une étroite vision économique à court terme (mais ajouter «néo» ou «ultra» fonctionne aussi très bien pour caricaturer les socialistes, les conservateurs, les populistes, les nationalistes ou les progressistes).

La Suisse est majoritairement libérale

La réalité, surtout en Suisse, est que les valeurs libérales restent omniprésentes dans la population et majoritaires dans la plupart des décisions politiques. L’idée de défendre les libertés individuelles, tout en assumant la responsabilité de ses propres décisions, reste prédominante dans la majorité des votations nationales (ainsi celle sur le marché du travail, où toutes les propositions de régulation supplémentaire sont largement rejetées). Comme souvent dans notre pays, les faits parlent plus fort et plus clair que les mots. L’étiquette libérale ne mobilise pas les foules dans les campagnes électorales, mais la pensée libérale imprègne (encore) puissamment la politique de fond. La Suisse est libérale et agit en conséquence, mais n’ose pas le dire trop fort. C’est mieux que le contraire.

 Libéralisme chez nos voisins: le faire sans le dire

Cette puissance de l’idée libérale dans les faits, et sa relative faiblesse dans l’imagerie politique, est entièrement corroborée au niveau international. Le chancelier allemand Schröder, sous étiquette socialiste (SDP), a eu le courage de lancer au milieu des années 2000 les réformes économiques (Agenda 2010) dont l’Allemagne avait besoin pour rester compétitive. Cette politique a réussi au pays et coûté son poste au chancelier, non-réélu. En Grande-Bretagne, Tony Blair n’a cessé de gagner les élections sous étiquette «labour» en pratiquant une politique d’inspiration largement libérale. La France politique dans son immense majorité ne cesse de honnir l’idée du libéralisme, alors qu’aucun gouvernement français, de gauche ou de droite (surtout sous la présidence Sarkozy), ne l’a jamais pratiqué et qu’aucun parti politique d’envergure ne l’inscrit à son programme. C’est donc – apparent paradoxe –à MM. Valls et Macron, ministres socialistes, qu’il appartient en 2015 de concrétiser les indispensables réformes libérales nécessaires à la France, tout en tentant de continuer à prétendre qu’ils sont de gauche. Il leur faudra choisir entre servir le pays ou satisfaire les militants de leur parti.

 Les pays les plus libéraux sont aussi les plus prospères

Porter un label libéral n’est donc pas toujours la voie royale pour gagner une élection. Mais pratiquer une politique libérale réussit aux pays qui le font, et bénéficie donc à leurs citoyens. En effet, les pays les plus libéraux du monde sont aussi les plus prospères. Les deux phénomènes s’alimentent réciproquement en un cercle vertueux: peu importe que ce soit la prospérité qui créée les conditions de la liberté, ou au contraire la liberté qui permette l’essor de la prospérité. Malgré sa boulimie de réglementations et une forme d’attirance paresseuse pour la dilution des libertés et de la responsabilité individuelles dans les mollesses sociales-démocrates, la Suisse reste l’un des pays les plus libéraux du monde, comme l’attestent notamment plusieurs classements internationaux.

Ainsi le Human Freedom Index 2015, co-édité par trois prestigieux think tank (Fraser Institute, Canada; Cato Institute, Etats-Unis; Friedrich Naumann Stiftung, Allemagne) tient compte tant de la liberté des individus que de la liberté économique. La Suisse y apparaît en deuxième position, juste derrière Hong Kong (moins bien coté que la Suisse pour les libertés civiles, mais moins réglementé sur le plan économique). Nos voisins ne brillent guère (Autriche no 12; Allemagne no 13; France no 33; Italie no 34).

Ou alors le rapport annuel canadien du Fraser Institute «Economic Freedom of the World 2014», qui se concentre – plus limitativement – uniquement sur les conditions d’exercice des libertés économiques. La Suisse y figure en quatrième position (après Hong Kong, Singapour et la Nouvelle-Zélande), largement devant l’Allemagne (no 29), l’Autriche (no 31), la France (no 58) et l’Italie (no 79). Par ailleurs, Avenir Suisse mesure régulièrement depuis 2013 le niveau des libertés sociales et économiques dans les cantons suisses dans son Indice de liberté (les valeurs y sont en moyenne élevées partout, avec Argovie en tête et Genève en lanterne rouge).

Le succès de la Suisse repose largement sur les valeurs libérales que la pays continue à cultiver et pratiquer, quelle que soit l’étiquette sous lesquelles elles sont avancées. Ici comme ailleurs, le libéralisme vécu est donc infiniment plus puissant que le libéralisme rhétorique. Serait-ce donc le destin des valeurs libérales que de ne jamais être aussi efficaces que lorsqu’elles sont concrétisées sous d’autres labels? Le libéralisme est la «marque blanche» des pays qui fonctionnent bien.