Pour une réforme de l’initiative populaire

Réformer l’indispensable trublion de la politique suisse

L’initiative populaire est consubstantielle à l’identité politique suisse. Depuis 1891, date de son introduction dans la Constitution fédérale, plus de 200 initiatives ont été soumises en votations et 22 d’entre elles ont été acceptées.

Huit raisons pour des changements
• Le monde a profondément changé depuis 1891. La population a massivement augmenté. La Suisse s’est ouverte à la globalisation. La révolution du numérique est en marche.
• Le nombre d’initiatives qui aboutissent ne cesse d’augmenter, vampirisant l’agenda politique. Mais la quantité n’est pas gage de qualité du débat démocratique. Ce problème quantitatif deviendra encore plus aigu lorsque la technologie permettra de collecter des signatures de soutien par voie électronique, comme des « like » sur les réseaux sociaux.
• Les initiatives acceptées en votation (9 depuis 2004) donnent systématiquement lieu à de fortes controverses dans leur exécution. Après la votation positive, c’est à chaque fois un nouveau débat politique qui commence, souvent dans la plus grande confusion. La répétition de ce processus démontre qu’une initiative populaire, même acceptée, doit presque toujours faire encore l’objet d’une interprétation de détail.
• L’initiative populaire est largement instrumentalisée par certains partis politiques représentés au Conseil fédéral. Elle devient un outil de marketing politique dédié à la mobilisation électorale, toujours plus fondé sur l’émotionnel que sur la recherche de solutions concrètes.
• L’initiative ne peut que modifier la Constitution. Celle-ci est donc encombrée de dispositions objectivement secondaires, défendant des causes spécifiques et des intérêts particuliers.
• Le contrôle préalable des initiatives populaires (unité de la matière, respect du droit international impératif) est confié au Parlement fédéral, après le dépôt des signatures. Ce contrôle est laxiste : en 125 ans, le Parlement n’a invalidé que quatre initiatives.
• Le seuil de signatures requis pour faire aboutir une initiative populaire est devenu trop faible. Les 50’000 signatures de 1891 représentaient presque 8% du corps électoral de l’époque. Les 100’000 signatures actuelles (décidées en 1978, après l’octroi du droit de vote aux femmes) ne représentent plus que 1,7% de l’ensemble des votants.
• La « cohabitation » entre initiative populaire et droit international est parfois laborieuse. Certaines initiatives visent (explicitement ou sournoisement) à remettre en question des engagements internationaux déjà souscrits par la Suisse, ce qui crée des situations inédites d’incertitude institutionnelle.

Les votants et les partis sont les premiers garants de l’initiative populaire

La meilleure forme de protection de l’initiative populaire viendra des votants eux-mêmes, en rejetant les propositions qui dénaturent l’esprit de l’institution. On pourrait aussi espérer des partis représentés au Conseil fédéral une plus grande retenue dans le lancement de nouvelles initiatives. Toutefois, ceci ne suffira pas. Avenir Suisse a formulé des propositions de réforme dans son étude de 2015 «L’initiative populaire».

Sur le fond: ne pas limiter le contenu possible des initiatives

Sur le fond, le contenu possible des initiatives doit rester aussi ouvert que possible ; seule l’interdiction de la rétroactivité pourrait être ajoutée aux conditions de validité actuelles. Car c’est la nature même de l’institution que de faire des propositions de changement de l’existant, même provocatrices.

Sur la forme: canaliser la procédure

En revanche, sur la forme, de nombreuses réformes sont souhaitables, notamment:
– Confier le contrôle de validité des initiatives à un autre organe que le Parlement (s Chancellerie ou commission ad hoc) avant la récolte des signatures ;
– Augmenter le nombre de signatures requises pour l’initiative constitutionnelle à 4% du corps électoral (soit un peu plus de 210’000 signatures en 2016);
– Permettre l’initiative législative au niveau fédéral (elle existe déjà dans tous les cantons), soutenue par 2% des votants (environ 105’000 signatures);
– Organiser un référendum obligatoire pour la législation d’exécution d’une initiative acceptée. Le peuple aurait ainsi non seulement le premier mot, mais aussi le dernier.
– Limiter le vote à une seule initiative constitutionnelle par bloc de votations. Ceci calmerait le jeu, et garantirait à chaque initiative l’attention démocratique qu’elle mérite.

Voter explicitement quand un traité international est en jeu
Enfin, la proposition de foraus exigeant d’une initiative qu’elle pose explicitement et séparément la question de la résiliation d’engagements internationaux en cours, et qui seraient contraires au but de l’initiative, mérite d’être soutenue.

Tibère Adler

Tibère Adler est directeur romand du think tank libéral Avenir Suisse depuis 2014. Il a une double formation en droit (master, brevet d'avocat) et en business (EMBA, IMD).