Religion : un service public sans esprit

Les coupes budgétaires dans les émissions religieuses illustrent les faiblesses actuelles du soutien financier aux médias

La SSR, depuis peu en quête d’économies, a annoncé réemment vouloir réduire de moitié le budget dévolu à ses émissions francophones sur la spiritualité et les religions, dès 2017. L’annonce a été faite quatre jours après les attentats de Paris du 13 novembre, qui nous ont pourtant rappelé que la religion et la spiritualité imprègnent nos vies quotidiennes, pour le meilleur et pour le pire. L’épisode démontre bien les limites du système actuel de soutien étatique aux médias.

Le problème: l’argent va aux structures, alors qu’il devrait être dédié aux contenus.

Il se dépense environ CHF 1,3 milliard d’argent public chaque année en Suisse pour les médias. La SSR en touche la part du lion (environ CHF 1,2 milliard) alors que quelques dizaines de chaînes privées radio-TV se partagent les miettes de la redevance (environ CHF 50 millions). Avec la nouvelle LRTV, la SSR ne touchera « plus que » 94% de la redevance (au lieu de 96%), Pour la presse écrite, la Confédération allège le coût de la distribution postale par une maigre subvention annuelle de CHF 50 millions, dispersée sur plus de 1’100 éditeurs. Ce système est inefficace et anachronique. La convergence des médias vers le numérique (Internet) rend obsolètes les systèmes de soutien d’un canal de diffusion en particulier. Ce sont les contenus, et non pas leur mode de diffusion, qui constituent la véritable prestation de service public. Il faut donc subventionner directement les contenus.

Les émissions religieuses, un bon exemple pour un nouveau modèle de soutien aux médias

Les contenus relatifs à la spiritualité et à la religion entrent en plein dans la définition d’un service public exigeant et responsable. Ils méritent d’être défendus, préservés, et même développés. Leur maintien est actuellement dépendant d’une décision interne de la technostructure SSR (qui semble préférer orienter ses ressources pour d’autres émissions), alors qu’un soutien financier direct à la production des émissions serait plus sûr et plus efficace. D’autres pays ont déjà adopté cette approche, par exemple la Nouvelle-Zélande (voir l’étude d’Avenir Suisse, « Le soutien aux médias à l’ère du numérique », 2014). Comment cela pourrait-il fonctionner? Plutôt simplement. Les mandats de production de contenus considérés comme relevant du service public font l’objet d’un appel d’offres. La commission d’octroi des subventions pourrait être une émanation modernisée des actuelles institutions régionales de la SSR. Le producteur choisi bénéficierait d’un mandat de production d’une durée de trois à cinq ans. Une obligation de diffusion pourrait être imposée aux canaux de diffusion encore financés par la redevance.

En bref : concurrence des idées et des contenus pour garantir leur qualité ; subventionnement de la production plutôt que de la structure ; soutien direct aux contenus sans favoriser un mode de diffusion spécifique. Il est temps que le service public s’incarne de manière moderne et efficace.

Clemenceau, Jésus, Moïse et la SSR

Coupe annoncées par la SSR dans les contenus de religion et de spiritualité

« La guerre est une chose bien trop grave pour la confier à des militaires », disait Clemenceau. Aujourd’hui, le service public des médias est un bien trop précieux pour être laissé à la direction de la SSR. Car celle-ci, depuis peu en quête d’économies, semble vouloir réduire le budget dévolu à ses émissions francophones sur la spiritualité et les religions. Précisément : deux magazines radio (A vue d’Esprit et Hautes Fréquences) et un magazine TV (Faut pas croire) sont menacés de disparition pour 2017. L ‘information émane des agences Cath-Info et Médias-pro, partenaires de la SSR au sein de la cellule de production RTS Religion. L’annonce a été faite quatre jours après les attentats de Paris du 13 novembre, qui nous ont pourtant rappelé que la religion et la spiritualité imprègnent nos vies quotidiennes, pour le meilleur et pour le pire.

Le service public dans les médias, un concept en mutation

Rappelons le contexte général. Acceptée de justesse en juin 2015, la révision de la loi sur la radio et la télévision (LRTV) imposera bientôt la redevance obligatoire universelle : tous les ménages et de nombreuses entreprises paieront pour financer le « service public des médias ». En parallèle, le nouveau Parlement fédéral exige un débat de fond sur le contenu et les limites du service public. Enfin, une récente décision du Tribunal fédéral relative à la TVA pèse sur les comptes SSR pour un coût estimé à CHF 35 millions par an.

Pour faire face à cette situation, la SSR veut réduire ses coûts de CHF 40 millions par an. Cette réduction est nécessaire, et la SSR a raison de vouloir l’entreprendre. Mais il est impératif qu’elle le fasse bien, en prenant en compte les véritables priorités du service public.

La décision de couper dans les émissions de spiritualité et de religion est incompréhensible.

Dans une société nerveuse, bousculée par la révolution technologique la plus rapide de l’Histoire, fascinante mais inconfortable, il est plus que jamais nécessaire de partager des réflexions de qualité sur la quête de sens dans nos vies, en nous et avec les autres. Dans un monde complexe, violent, tourmenté par les conflits et les tensions à caractère prétendument religieux, des émissions de qualité permettant de trier le bon grain de l’ivraie font partie du service public.

Quant au contenu, les journalistes et partenaires de la SSR ont démontré qu’ils avaient les compétences pour fournir un contribution de qualité dans ces domaines. Comme l’ont relevé à juste titre  Le Courrier,  Pascal Decaillet, ou encore  l’abbé François-Xavier Amherdt, les émissions religieuses menacées par le couperet de la SSR se sont depuis longtemps affranchies de tout prosélytisme paroissial pour offrir une information large et riche sur le « fait religieux » et la spiritualité.

Du point de vue économique, la coopération entre agences spécialisées et SSR au sein de RTSReligion est exemplaire d’efficacité. De plus, elle porte sur des contenus que le marché privé des médias serait bien en peine de fournir et de livrer, faute de potentiel commercial important. Or, c’est précisément la mission d’un service public financé par tous que de stimuler la production de contenus non rentables, ou qui ne peuvent pas (ou difficilement) être produits directement par des acteurs privés.

Enfin, la décision de suppression des magazines religieux bafoue l’esprit des textes fondamentaux régissant la Suisse et le service public des médias. Le préambule de notre Constitution fédérale, entrée en vigueur en 2000, commence par « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! ». L’article 2 alinéa 2 de la concession octroyée à la SSR énonce : « :..dans ses programmes, elle (la SSR) promeut la compréhension, la cohésion et l’échange entre les différentes régions du pays, les communautés linguistiques, les cultures, les religions et les groupes sociaux. ». Au-delà même de leur fonction spirituelle, les religions sont donc reconnues comme l’une de nos racines sociales, culturelle et politiques.

Motivations et arguments de la SSR insuffisants

Dès lors, pourquoi cet acharnement ? Pourquoi cette mesquine réduction budgétaire, dans un domaine de contenu se situant de toute évidence au cœur d’une mission de service public ? Quels arguments pour les justifier ? Quelles autres priorités méritent-elles de faire passer la spiritualité à la trappe ? Veut-on forcer sans le dire une laïcisation médiatique ?

Les explications a posteriori de la RTS ne convainquent pas: les thèmes de religion et spiritualité pourraient être « traités dans d’autres magazines d’actualité et de société », pour « les rendre accessibles à plus large public ». Terrible aveu de nivellement par le bas : élargir l’audience en baissant l’exigence, voilà le chemin proposé.

Jusqu’à quand nous sera-t-il servi inlassablement l’inlassable et si peu pertinente litanie de la « concurrence étrangère », comme si la mission de la SSR était d’affronter les géants TF1 ou M6 sur leurs terrains de prédilection du télé-crochet, des concours et castings pipolisés, du racolage de l’audience et de la scénarisation du monde ? Comment peut-on couper dans les émissions de spiritualité religieuse et continuer à se réjouir de diffuser sur la RTS un grand film populaire de qualité (contre paiement obligatoire de la redevance) un jour avant les grandes chaînes française (gratuites pour le téléspectateur) ?

Décidément, ce premier train de mesures d’économies ne rassure pas. La SSR semble manquer de lucidité quant à sa mission. Certes, nul ne sait quelle sera sa décision définitive ; un sursaut positif n’est pas à exclure, qui permettrait de maintenir le niveau actuel des émissions religieuses. Mais l’épisode démontre bien les limites du système actuel de soutien étatique aux médias.